ÉVÉNEMENTS ET SÉANCES SPECIALES

A PROPOS
Après Borgo, reconstitution d’un fait divers criminel en Corse qui impliquait une gardienne de prison, Stéphane Demoustier s’inspire à nouveau de faits réels pour son cinquième long métrage, présenté à Un certain regard. Mais en prenant de la hauteur : la construction de la monumentale Grande Arche de la Défense, un cube (ou presque) de 110 mètres de côté dont le réalisateur raconte ici la genèse mouvementée, s’est en effet jouée au sommet du pouvoir.
L’« inconnu » du titre, c’est l’architecte Johan Otto von Spreckelsen (1929-1987), lauréat surprise du concours anonyme lancé par François Mitterrand pour édifier l’un des grands travaux les plus emblématiques de sa présidence. La scène d’ouverture du film, très drôle, montre l’embarras des conseillers élyséens, incapables de trouver la moindre information sur l’heureux élu — même l’ambassade du Danemark n’en a jamais entendu parler. Il faut dire que cet architecte, contrairement aux usages, n’a ni agence, ni associé et, avant ce chantier pharaonique, n’avait conçu que quatre églises dans son pays natal et… sa propre maison. Mais « Spreck », que Claes Bang (le héros de The Square, Palme d’or à Cannes 2017) interprète avec beaucoup d’émotion comme un Don Quichotte du BTP, est un pur, résolu à ne pas modifier d’un millimètre son projet révolutionnaire quitte à employer un matériau trois fois plus cher qu’un autre. Les enjeux économiques sur fond de rivalités entre puissants, les contraintes budgétaires et, bientôt, les soubresauts politiques (la victoire de la droite aux législatives de 1986 qui entraîne la première cohabitation) vont en décider autrement.
Les dialogues sont bourrés de chiffres et de normes techniques pointues mais restent constamment intelligibles — et captivants ! — sans tomber dans le didactisme. Stéphane Demoustier parvient même à créer un suspense inattendu sur l’utilisation (ou pas) du « verre collé » sur la façade de l’Arche. À travers la collaboration, puis l’affrontement entre Johan Otto von Spreckelsen et son collègue Paul Andreu, le concepteur du terminal 1 de l’aéroport de Roissy appelé à devenir le « maître d’œuvre de réalisation » du chantier (Swann Arlaud, toujours impeccable), s’expriment deux conceptions de l’architecture que l’on retrouve, aussi, dans le cinéma. La première met l’art au-dessus de tout au nom d’un idéal, la seconde se soumet au primat de la technique et, donc, aux compromis.
Le débat est, ici, arbitré par un technocrate aux manières faussement onctueuses (Xavier Dolan est parfait dans le rôle) et, surtout, par le chef de l’État lui-même. Pour incarner François Mitterrand (ou toute autre personnalité historique, d’ailleurs), Michel Fau a bien retenu la leçon de Michel Bouquet dans Le Promeneur du Champ-de-Mars (Robert Guédiguian, 2005) : en matière de jeu d’acteur, la composition est toujours plus pertinente, toujours plus féconde que l’imitation. Fau ne ressemble pas du tout à Mitterrand. Mais son interprétation du président de la République en monarque à la fois hautain et d’un humour ravageur, manipulateur parfois cynique mais esthète sincère dont les yeux s’illuminent au simple toucher d’un échantillon de marbre de Carrare, est plus vraie que nature.
Samuel Douhaire (Télérama)
Avant première / Rencontre
lundi 6 octobre
à 20h00
suivi d'une rencontre avec Stéphane Demoustier, réalisateur
Séance organisée en collaboration avec Cinéma Parlant
L'INCONNU DE LA GRANDE ARCHE
de Stéphane Demoustier
avec Claes Bang, Sidse Babett Knudsen, Michel Fau
FRANCE - 2025 - 1h46 - Cannes 2025
1983, François Mitterrand décide de lancer un concours d'architecture international pour le projet phare de sa présidence : la Grande Arche de la Défense, dans l'axe du Louvre et de l'Arc de Triomphe ! A la surprise générale, Otto von Spreckelsen, architecte danois, remporte le concours. Du jour au lendemain, cet homme de 53 ans, inconnu en France, débarque à Paris où il est propulsé à la tête de ce chantier pharaonique. Et si l'architecte entend bâtir la Grande Arche telle qu’il l’a imaginée, ses idées vont très vite se heurter à la complexité du réel et aux aléas de la politique.
A PROPOS
Après Borgo, reconstitution d’un fait divers criminel en Corse qui impliquait une gardienne de prison, Stéphane Demoustier s’inspire à nouveau de faits réels pour son cinquième long métrage, présenté à Un certain regard. Mais en prenant de la hauteur : la construction de la monumentale Grande Arche de la Défense, un cube (ou presque) de 110 mètres de côté dont le réalisateur raconte ici la genèse mouvementée, s’est en effet jouée au sommet du pouvoir.
L’« inconnu » du titre, c’est l’architecte Johan Otto von Spreckelsen (1929-1987), lauréat surprise du concours anonyme lancé par François Mitterrand pour édifier l’un des grands travaux les plus emblématiques de sa présidence. La scène d’ouverture du film, très drôle, montre l’embarras des conseillers élyséens, incapables de trouver la moindre information sur l’heureux élu — même l’ambassade du Danemark n’en a jamais entendu parler. Il faut dire que cet architecte, contrairement aux usages, n’a ni agence, ni associé et, avant ce chantier pharaonique, n’avait conçu que quatre églises dans son pays natal et… sa propre maison. Mais « Spreck », que Claes Bang (le héros de The Square, Palme d’or à Cannes 2017) interprète avec beaucoup d’émotion comme un Don Quichotte du BTP, est un pur, résolu à ne pas modifier d’un millimètre son projet révolutionnaire quitte à employer un matériau trois fois plus cher qu’un autre. Les enjeux économiques sur fond de rivalités entre puissants, les contraintes budgétaires et, bientôt, les soubresauts politiques (la victoire de la droite aux législatives de 1986 qui entraîne la première cohabitation) vont en décider autrement.
Les dialogues sont bourrés de chiffres et de normes techniques pointues mais restent constamment intelligibles — et captivants ! — sans tomber dans le didactisme. Stéphane Demoustier parvient même à créer un suspense inattendu sur l’utilisation (ou pas) du « verre collé » sur la façade de l’Arche. À travers la collaboration, puis l’affrontement entre Johan Otto von Spreckelsen et son collègue Paul Andreu, le concepteur du terminal 1 de l’aéroport de Roissy appelé à devenir le « maître d’œuvre de réalisation » du chantier (Swann Arlaud, toujours impeccable), s’expriment deux conceptions de l’architecture que l’on retrouve, aussi, dans le cinéma. La première met l’art au-dessus de tout au nom d’un idéal, la seconde se soumet au primat de la technique et, donc, aux compromis.
Le débat est, ici, arbitré par un technocrate aux manières faussement onctueuses (Xavier Dolan est parfait dans le rôle) et, surtout, par le chef de l’État lui-même. Pour incarner François Mitterrand (ou toute autre personnalité historique, d’ailleurs), Michel Fau a bien retenu la leçon de Michel Bouquet dans Le Promeneur du Champ-de-Mars (Robert Guédiguian, 2005) : en matière de jeu d’acteur, la composition est toujours plus pertinente, toujours plus féconde que l’imitation. Fau ne ressemble pas du tout à Mitterrand. Mais son interprétation du président de la République en monarque à la fois hautain et d’un humour ravageur, manipulateur parfois cynique mais esthète sincère dont les yeux s’illuminent au simple toucher d’un échantillon de marbre de Carrare, est plus vraie que nature.
Samuel Douhaire (Télérama)