ÉVÉNEMENTS ET SÉANCES SPECIALES

A PROPOS
On a encore en tête le dernier film de Tarik Saleh La conspiration du Caire qui se plongeait tambour battant dans la critique du fondamentalisme religieux en Égypte. Le cinéaste récidive avec un discours fort qui vise cette fois directement le gouvernement égyptien présidé parAbdel Fattah al-Sissi qui est au pouvoir depuis 2014, après avoir échappé à une tentative de coup d’État en 2023. Le réalisateur n’y va pas avec le dos de la cuillère. Il met en scène un long-métrage implacable, sévère, sur les méthodes de cet homme et son gouvernement pour se maintenir au pouvoir et surtout éteindre toutes les velléités à faire valoir une parole alternative à la vision officielle et défendue des choses.
Deux films se jouent donc dans ce spectacle macabre du fonctionnement dictatorial, à savoir la fiction en elle-même du réalisateur égyptien qui met en scène un acteur adulé du grand public, George Fahmy, qui faillit à la disgrâce nationale sous la pression des autorités ; et le tournage auquel ce dernier est contraint de participer, qui restitue une biographie du parcours du président. Le comédien se retrouve contraint d’avaler des couleuvres, en interprétant un homme politique lisse, consensuel, engagé pour la nation, étant lui-même convaincu des manigances abjectes du pouvoir. Le spectateur est alors entraîné dans un rythme effréné, où chaque seconde, chaque scène accroissent la tension qui pèse sur l’acteur et ses proches afin qu’il soit contraint de se soumettre aux exigences de communication des services du président. Une figure diabolique en la personne du docteur Manssour rode toujours pas très loin du comédie, pour s’assurer que le ton employé, les mots utilisés n’abîment pas la réputation de l’homme d’État, rappelant chez Victor Hugo le ténébreux inspecteur Javert toujours aux trousses de Jean Valjean.
Les Aigles de la République est projeté à Cannes quasiment en même temps que le documentaire de Raoul Peck Orwell 2+2 =5 qui décrit avec brio, la mécanique ignoble de l’abus de pouvoir et de la manipulation des peuples. La fiction ô combien réaliste de Tarik Saleh illustre mot pour mot les contenus philosophiques de l’écrivain britannique Georges Orwell, retranscrits au cinéma par Raoul Peck, dans un récit qui a fortement à voir avec le thriller politique. L’efficacité de la mise en scène met le spectateur dans les mêmes tensions que celles éprouvées par le personnage principal, avec ces exactions sordides, cette surveillance permanente des faits et gestes du comédien et des personnes qui gravitent autour de lui, cette manipulation de la communication, et les pressions exercées quotidiennement auprès des membres de la famille ou de l’amante du héros. Voilà un régime qui appuie sa domination sur les détours moraux et sexuels que chacun d’entre nous sommes libres d’assumer en matière de vie conjugale notamment.
On peut tout à fait comprendre que Tarik Saleh ne tourne pas depuis l’Égypte mais depuis son pays dont il a la nationalité, à savoir la Suède. Ses origines égyptiennes de par ses parents lui confèrent à un regard extérieur sur ce qui se passe dans le pays de ses origines, et surtout lui ouvrent toutes les latitudes pour brandir un discours sévère et critique contre le régime égyptien qui, même après Nasser, se poursuit dans l’autocratie brutale et sans compromis. Le cinéaste se donne le droit de critiquer ouvertement non pas la religion musulmane en tant que telle, mais la manière dont certains gouvernements appuient leur autorité sur l’appropriation du discours religieux. Du coup, la contestation n’est théoriquement plus possible, puisque bâtie sur une légitimité divine et de fait indiscutable.
Les Aigles de la République élabore un discours tout à fait intéressant sur le métier d’acteur. On perçoit, ce qui d’une certaine façon peut relever de l’archétype, qu’il est souvent complexe de séparer la personnalité du comédien de celle les rôles qu’il endosse. Dit autrement, Tarik Saleh démontre qu’il est tout à fait possible de s’affranchir d’un cinéma autorisé ou étatique, dès lors que les interprètes ont conscience qu’ils peuvent surjouer les choses pour marquer une distance éthique entre leur idéologie personnelle et la vision qu’ils souhaitent donner des personnages qu’ils habitent. Le cinéma, le théâtre nous rappellent combien ils peuvent constituer des outils au service de la liberté, et on se souvient à ce titre du funeste sort d’un Molière dont les dispositions à la farce lui ont valu certes beaucoup de pression de la royauté de l’époque, mais surtout la réputation que l’art est un puissant moteur politique.
La conspiration du Caire avait reçu le prix du scénario à Cannes et le prix du meilleur film étranger des auditeurs du Masque et la Plume. Tarik Saleh franchit un cap supplémentaire dans la maîtrise de son art, grâce notamment à une reconstitution assez magistrale du coup d’État de 2023, ce qui, on l’espère, aboutira à un succès dans les salles.
Laurent Cambon (avoiralire.com)
Avant-première
mardi 11 novembre
à 18h30
LES AIGLES DE LA RÉPUBLIQUE
de Tarik Saleh
Avec Fares Fares, Zineb Triki, Lyna Khoudri
Suède - France - 2025 - 2h09 - VOST - Cannes 2025
George Fahmy, l'acteur le plus adulé d'Egypte, accepte sous la contrainte de jouer dans un film commandé par les plus hautes autorités du Pays. Il se retrouve plongé dans le cercle étroit du pouvoir. Comme un papillon de nuit attiré par la lumière, il entame une liaison avec la mystérieuse épouse du général qui supervise le film.
https://www.memento.eu/les-aigles-de-la-republique/
A PROPOS
On a encore en tête le dernier film de Tarik Saleh La conspiration du Caire qui se plongeait tambour battant dans la critique du fondamentalisme religieux en Égypte. Le cinéaste récidive avec un discours fort qui vise cette fois directement le gouvernement égyptien présidé parAbdel Fattah al-Sissi qui est au pouvoir depuis 2014, après avoir échappé à une tentative de coup d’État en 2023. Le réalisateur n’y va pas avec le dos de la cuillère. Il met en scène un long-métrage implacable, sévère, sur les méthodes de cet homme et son gouvernement pour se maintenir au pouvoir et surtout éteindre toutes les velléités à faire valoir une parole alternative à la vision officielle et défendue des choses.
Deux films se jouent donc dans ce spectacle macabre du fonctionnement dictatorial, à savoir la fiction en elle-même du réalisateur égyptien qui met en scène un acteur adulé du grand public, George Fahmy, qui faillit à la disgrâce nationale sous la pression des autorités ; et le tournage auquel ce dernier est contraint de participer, qui restitue une biographie du parcours du président. Le comédien se retrouve contraint d’avaler des couleuvres, en interprétant un homme politique lisse, consensuel, engagé pour la nation, étant lui-même convaincu des manigances abjectes du pouvoir. Le spectateur est alors entraîné dans un rythme effréné, où chaque seconde, chaque scène accroissent la tension qui pèse sur l’acteur et ses proches afin qu’il soit contraint de se soumettre aux exigences de communication des services du président. Une figure diabolique en la personne du docteur Manssour rode toujours pas très loin du comédie, pour s’assurer que le ton employé, les mots utilisés n’abîment pas la réputation de l’homme d’État, rappelant chez Victor Hugo le ténébreux inspecteur Javert toujours aux trousses de Jean Valjean.
Les Aigles de la République est projeté à Cannes quasiment en même temps que le documentaire de Raoul Peck Orwell 2+2 =5 qui décrit avec brio, la mécanique ignoble de l’abus de pouvoir et de la manipulation des peuples. La fiction ô combien réaliste de Tarik Saleh illustre mot pour mot les contenus philosophiques de l’écrivain britannique Georges Orwell, retranscrits au cinéma par Raoul Peck, dans un récit qui a fortement à voir avec le thriller politique. L’efficacité de la mise en scène met le spectateur dans les mêmes tensions que celles éprouvées par le personnage principal, avec ces exactions sordides, cette surveillance permanente des faits et gestes du comédien et des personnes qui gravitent autour de lui, cette manipulation de la communication, et les pressions exercées quotidiennement auprès des membres de la famille ou de l’amante du héros. Voilà un régime qui appuie sa domination sur les détours moraux et sexuels que chacun d’entre nous sommes libres d’assumer en matière de vie conjugale notamment.
On peut tout à fait comprendre que Tarik Saleh ne tourne pas depuis l’Égypte mais depuis son pays dont il a la nationalité, à savoir la Suède. Ses origines égyptiennes de par ses parents lui confèrent à un regard extérieur sur ce qui se passe dans le pays de ses origines, et surtout lui ouvrent toutes les latitudes pour brandir un discours sévère et critique contre le régime égyptien qui, même après Nasser, se poursuit dans l’autocratie brutale et sans compromis. Le cinéaste se donne le droit de critiquer ouvertement non pas la religion musulmane en tant que telle, mais la manière dont certains gouvernements appuient leur autorité sur l’appropriation du discours religieux. Du coup, la contestation n’est théoriquement plus possible, puisque bâtie sur une légitimité divine et de fait indiscutable.
Les Aigles de la République élabore un discours tout à fait intéressant sur le métier d’acteur. On perçoit, ce qui d’une certaine façon peut relever de l’archétype, qu’il est souvent complexe de séparer la personnalité du comédien de celle les rôles qu’il endosse. Dit autrement, Tarik Saleh démontre qu’il est tout à fait possible de s’affranchir d’un cinéma autorisé ou étatique, dès lors que les interprètes ont conscience qu’ils peuvent surjouer les choses pour marquer une distance éthique entre leur idéologie personnelle et la vision qu’ils souhaitent donner des personnages qu’ils habitent. Le cinéma, le théâtre nous rappellent combien ils peuvent constituer des outils au service de la liberté, et on se souvient à ce titre du funeste sort d’un Molière dont les dispositions à la farce lui ont valu certes beaucoup de pression de la royauté de l’époque, mais surtout la réputation que l’art est un puissant moteur politique.
La conspiration du Caire avait reçu le prix du scénario à Cannes et le prix du meilleur film étranger des auditeurs du Masque et la Plume. Tarik Saleh franchit un cap supplémentaire dans la maîtrise de son art, grâce notamment à une reconstitution assez magistrale du coup d’État de 2023, ce qui, on l’espère, aboutira à un succès dans les salles.
Laurent Cambon (avoiralire.com)

