1917 - Sam Mendes

A PROPOS

Avec quelques confrères, Sam Mendes est probablement l’un des cinéastes les plus passionnants du paysage anglo-saxon actuel. Un cinéaste avec des neurones et un style fort qui s’exprime à travers des œuvres à la fois spectacles et personnelles. Fort d’une filmographie exaltante à peine ternie par le très moyen Spectre, le réalisateur d’American Beauty, Jarhead ou Skyfall revient avec un nouveau projet à la démesure artistique fascinante. Beaucoup commenté pour le pari qu’il tente d’accomplir, 1917 est un film de guerre dont l’action ramassée sur quelques heures, suit le périple de deux soldats envoyés au-delà des lignes ennemies pour accomplir une mission de la plus haute importance stratégique. La particularité du film ? Se présenter comme un seul plan-séquence ! 

Clairement, il fallait une certaine dose de folie pour s’attaquer à pareille entreprise. Tourner un film en plan-séquence est déjà affaire très difficile. Y rajouter la logistique d’un film d’époque, des centaines de figurants, un passage du jour à la nuit et des séquences particulièrement difficiles, étaient autant de contraintes encore plus périlleuses qui auraient eu raison de bien des cinéastes. Mais c’est Sam Mendes aux commandes. Si le nom inspirait déjà une certaine confiance, le résultat est au-delà de tout ce que l’on pouvait imaginer. Brillant.

Évacuons d’emblée le point qui pourrait fâcher les puristes, non 1917 n’est finalement pas un seul et unique plan-séquence de deux heures. Les fins cinéphiles y repéreront d’ailleurs assez aisément les 3 ou 4 coupes plus ou moins cachées. Mais qu’importe, le film reste un exploit sidérant, pour ne pas dire dément. Quelques plans-séquences constituent au final le film et chacun déverse son lot d’incroyable. Comment a t-on pu réaliser une telle hallucination cinématographique ? C’est ce que l’on n’a de cesse de se dire en contemplant l’œuvre finie, et encore des heures et des heures après la projection. La frustration de toutes les questions qui tourneboulent réclamerait presque un énorme making-of de plusieurs heures pour venir à notre rescousse, y répondre et ainsi éteindre l’incendie cérébral qui ravage notre cerveau en miettes post-choc. Parce qu’on veut savoir comment l’impossible a pu être rendu possible. Comment les scènes les plus hallucinantes ont pu être mises en boîte. Une chose est sûre, il fallait une virtuosité immense et cette virtuosité, Sam Mendes l’avait. L’entreprise lui a coûté sans doute un paquet de cheveux blancs supplémentaires mais à l’arrivée, 1917 tutoie le génie en permanence, multiplie les morceaux de bravoure dantesques, souffle le spectateur sur place et aligne des séquences d’une beauté à se damner. Des tranchées empestant la mort et la barbarie à des lieux isolés où le danger peut surgir de n’importe où, en passant par un segment nocturne sublime ou une incroyable séquence dans l’eau, 1917 soumet constamment le spectateur à sa force intrinsèque.
L’intérêt du plan-séquence maintenant ? Non, il n’est pas juste un gimmick artificiel, un « truc » de petit malin qui veut faire son effet. Sam Mendes est avant tout un conteur et son parti pris a un but. Clairement, il décuple tout, l’impact du film, la tension, l’immersion, la narration, l’émotion. En ayant fait le choix d’une caméra qui suit ses personnages d’une traite, presque en temps réel (« presque » car une ellipse intelligemment placée et parfaitement justifiée est à prévoir), 1917 ne nous offre pas à voir un film comme on se rassasierait d’un spectacle classique, il nous fait vivre son histoire à 100% en repoussant les limites de l’aliénant, de l’immersif, de l’authentique. Survival extrême nous attachant au calvaire de deux héros traversant des kilomètres de dangers à n’en plus finir, 1917 est comme une sorte de croisement entre The Revenant et Il Faut Sauver le Soldat Ryan, avec un côté « Gravity du film de guerre ». Sam Mendes avait déjà expérimenté le plan-séquence au détour de l’introduction de Spectre. C’était sur huit minutes et un simple galop d’essai à rebours. Car aujourd’hui, il explose tout. Cette maestria technique vient épouser un film de sensations. On ne respire plus quand le suspens est asphyxiant, on tremble de peur quand le danger est là, on sourit parfois quand le film caresse une belle histoire d’amitié, on retient ses larmes aussi quand l’émotion prend la gorge en otage, on est choqué quand il n’épargne rien de l’horreur de la grande guerre. Viscéral, 1917 est un film total.

On a beaucoup parlé de la splendeur impressionnante de la mise en scène de Sam Mendes, qui ne se résume d’ailleurs pas à la seule virtuosité de son plan-séquence fabuleusement maîtrisé mais qui déconcerte les mirettes dans des scènes à la magnificence terrassante, comme ce remarquable passage nocturne jouant avec les ombres du feu et des bombes. Mais il ne faudrait pas oublier les éléments « périphériques » qui permettent au cinéaste d’atteindre de tels sommets de brio. Pour signer pareille prodigieuse réussite, il était impératif d’être bien entouré. Et Sam Mendes était très très bien accompagné. Par Roger Deakins pour commencer. L’illustre directeur photo, sans doute l’un des plus talentueux de sa génération, est pour beaucoup dans le coup de maître qu’est 1917. Sa photographie est saisissante, inspirée, dynamique, majestueuse, capable de relever tous les challenges et d’accomplir tous les exploits. Si l’Oscar lui échappe, ce sera à ne rien y comprendre. Autres aides précieuses, Jacqueline Durran et Dennis Gassner aux costumes et à la direction artistique. L’un des points les plus fascinants de 1917, c’est son extrême précision constante. Précision dans les costumes, dans le matériel, dans les décors. La moindre gourde en métal ou le moindre bouton d’uniforme semblent avoir été étudiés avec une passion historique frôlant la démence. Ça se sent, ça se voit, ça se salue. Et enfin, impossible de ne pas évoquer la puissante composition musicale de Thomas Newman et surtout, le duo George McKay et Dean-Charles Chapman, les deux comédiens principaux. Deux acteurs qui en prennent littéralement « plein la gueule » d’un bout à l’autre du film. Consciencieux, volontaires, sans cesse dans le dépassement de soi, ils ont tout bravé sans broncher, avec un sens du devoir de comédien poussé à l’extrême. Même salis, perdus ou réellement blessés, ils continuaient à jouer sans jamais lâcher, transformant leurs prestations en performances.

Bilan, 1917 s’impose comme l’un des plus grands films de guerre de ces dernières années, un film fou et palpitant qui réussit tout ce qu’il entreprend, qui nous plonge dans une intense aventure motivée par la survie et l’héroïsme. Chaque instant est d’une puissance époustouflante. On ressort lessivé, frigorifié, boueux, comme si l’on avait vécu physiquement ce parcours harassant, avant d’être littérairement terrassé par un plan de fin à compter parmi les plus beaux que l’on ait pu admirer depuis longtemps. Exceptionnel.

Nicolas Rieux (Mondocine)

Soirée rencontre
jeudi 16 janvier 2020 à 20h00

En présence d'Alain Jacobzone, historien


1917

de Sam Mendes

avec George MacKay, Dean-Charles Chapman, Mark Strong
GRANDE BRETAGNE / USA - 2019 - 1h59

Pris dans la tourmente de la Première Guerre Mondiale, Schofield et Blake, deux jeunes soldats britanniques, se voient assigner une mission à proprement parler impossible. Porteurs d’un message qui pourrait empêcher une attaque dévastatrice et la mort de centaines de soldats, dont le frère de Blake, ils se lancent dans une véritable course contre la montre, derrière les lignes ennemies.

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A PROPOS

Avec quelques confrères, Sam Mendes est probablement l’un des cinéastes les plus passionnants du paysage anglo-saxon actuel. Un cinéaste avec des neurones et un style fort qui s’exprime à travers des œuvres à la fois spectacles et personnelles. Fort d’une filmographie exaltante à peine ternie par le très moyen Spectre, le réalisateur d’American Beauty, Jarhead ou Skyfall revient avec un nouveau projet à la démesure artistique fascinante. Beaucoup commenté pour le pari qu’il tente d’accomplir, 1917 est un film de guerre dont l’action ramassée sur quelques heures, suit le périple de deux soldats envoyés au-delà des lignes ennemies pour accomplir une mission de la plus haute importance stratégique. La particularité du film ? Se présenter comme un seul plan-séquence ! 

Clairement, il fallait une certaine dose de folie pour s’attaquer à pareille entreprise. Tourner un film en plan-séquence est déjà affaire très difficile. Y rajouter la logistique d’un film d’époque, des centaines de figurants, un passage du jour à la nuit et des séquences particulièrement difficiles, étaient autant de contraintes encore plus périlleuses qui auraient eu raison de bien des cinéastes. Mais c’est Sam Mendes aux commandes. Si le nom inspirait déjà une certaine confiance, le résultat est au-delà de tout ce que l’on pouvait imaginer. Brillant.

Évacuons d’emblée le point qui pourrait fâcher les puristes, non 1917 n’est finalement pas un seul et unique plan-séquence de deux heures. Les fins cinéphiles y repéreront d’ailleurs assez aisément les 3 ou 4 coupes plus ou moins cachées. Mais qu’importe, le film reste un exploit sidérant, pour ne pas dire dément. Quelques plans-séquences constituent au final le film et chacun déverse son lot d’incroyable. Comment a t-on pu réaliser une telle hallucination cinématographique ? C’est ce que l’on n’a de cesse de se dire en contemplant l’œuvre finie, et encore des heures et des heures après la projection. La frustration de toutes les questions qui tourneboulent réclamerait presque un énorme making-of de plusieurs heures pour venir à notre rescousse, y répondre et ainsi éteindre l’incendie cérébral qui ravage notre cerveau en miettes post-choc. Parce qu’on veut savoir comment l’impossible a pu être rendu possible. Comment les scènes les plus hallucinantes ont pu être mises en boîte. Une chose est sûre, il fallait une virtuosité immense et cette virtuosité, Sam Mendes l’avait. L’entreprise lui a coûté sans doute un paquet de cheveux blancs supplémentaires mais à l’arrivée, 1917 tutoie le génie en permanence, multiplie les morceaux de bravoure dantesques, souffle le spectateur sur place et aligne des séquences d’une beauté à se damner. Des tranchées empestant la mort et la barbarie à des lieux isolés où le danger peut surgir de n’importe où, en passant par un segment nocturne sublime ou une incroyable séquence dans l’eau, 1917 soumet constamment le spectateur à sa force intrinsèque.
L’intérêt du plan-séquence maintenant ? Non, il n’est pas juste un gimmick artificiel, un « truc » de petit malin qui veut faire son effet. Sam Mendes est avant tout un conteur et son parti pris a un but. Clairement, il décuple tout, l’impact du film, la tension, l’immersion, la narration, l’émotion. En ayant fait le choix d’une caméra qui suit ses personnages d’une traite, presque en temps réel (« presque » car une ellipse intelligemment placée et parfaitement justifiée est à prévoir), 1917 ne nous offre pas à voir un film comme on se rassasierait d’un spectacle classique, il nous fait vivre son histoire à 100% en repoussant les limites de l’aliénant, de l’immersif, de l’authentique. Survival extrême nous attachant au calvaire de deux héros traversant des kilomètres de dangers à n’en plus finir, 1917 est comme une sorte de croisement entre The Revenant et Il Faut Sauver le Soldat Ryan, avec un côté « Gravity du film de guerre ». Sam Mendes avait déjà expérimenté le plan-séquence au détour de l’introduction de Spectre. C’était sur huit minutes et un simple galop d’essai à rebours. Car aujourd’hui, il explose tout. Cette maestria technique vient épouser un film de sensations. On ne respire plus quand le suspens est asphyxiant, on tremble de peur quand le danger est là, on sourit parfois quand le film caresse une belle histoire d’amitié, on retient ses larmes aussi quand l’émotion prend la gorge en otage, on est choqué quand il n’épargne rien de l’horreur de la grande guerre. Viscéral, 1917 est un film total.

On a beaucoup parlé de la splendeur impressionnante de la mise en scène de Sam Mendes, qui ne se résume d’ailleurs pas à la seule virtuosité de son plan-séquence fabuleusement maîtrisé mais qui déconcerte les mirettes dans des scènes à la magnificence terrassante, comme ce remarquable passage nocturne jouant avec les ombres du feu et des bombes. Mais il ne faudrait pas oublier les éléments « périphériques » qui permettent au cinéaste d’atteindre de tels sommets de brio. Pour signer pareille prodigieuse réussite, il était impératif d’être bien entouré. Et Sam Mendes était très très bien accompagné. Par Roger Deakins pour commencer. L’illustre directeur photo, sans doute l’un des plus talentueux de sa génération, est pour beaucoup dans le coup de maître qu’est 1917. Sa photographie est saisissante, inspirée, dynamique, majestueuse, capable de relever tous les challenges et d’accomplir tous les exploits. Si l’Oscar lui échappe, ce sera à ne rien y comprendre. Autres aides précieuses, Jacqueline Durran et Dennis Gassner aux costumes et à la direction artistique. L’un des points les plus fascinants de 1917, c’est son extrême précision constante. Précision dans les costumes, dans le matériel, dans les décors. La moindre gourde en métal ou le moindre bouton d’uniforme semblent avoir été étudiés avec une passion historique frôlant la démence. Ça se sent, ça se voit, ça se salue. Et enfin, impossible de ne pas évoquer la puissante composition musicale de Thomas Newman et surtout, le duo George McKay et Dean-Charles Chapman, les deux comédiens principaux. Deux acteurs qui en prennent littéralement « plein la gueule » d’un bout à l’autre du film. Consciencieux, volontaires, sans cesse dans le dépassement de soi, ils ont tout bravé sans broncher, avec un sens du devoir de comédien poussé à l’extrême. Même salis, perdus ou réellement blessés, ils continuaient à jouer sans jamais lâcher, transformant leurs prestations en performances.

Bilan, 1917 s’impose comme l’un des plus grands films de guerre de ces dernières années, un film fou et palpitant qui réussit tout ce qu’il entreprend, qui nous plonge dans une intense aventure motivée par la survie et l’héroïsme. Chaque instant est d’une puissance époustouflante. On ressort lessivé, frigorifié, boueux, comme si l’on avait vécu physiquement ce parcours harassant, avant d’être littérairement terrassé par un plan de fin à compter parmi les plus beaux que l’on ait pu admirer depuis longtemps. Exceptionnel.

Nicolas Rieux (Mondocine)