PORTRAIT DE LA JEUNE FILLE EN FEU - Céline Sciamma

A PROPOS

On va tout entendre sur ce film. Mille et une mauvaises raisons de ne pas lui donner la Palme et mille et une tout aussi mauvaises de la lui remettre. Peut-on ignorer le contexte dans lequel une oeuvre est faite pour la juger librement? Pas si sûr. C'est un fait, Céline Sciamma ne fait ni du Lanthimos ("La Favorite") ni du Sofia Coppola ("Marie-Antoinette") et ceux qui attendaient une révolution formelle ou l'irruption du macaron rose bonbon dans le film d'époque ne pourront que bailler poliment. Mais "Portrait de la jeune fille en feu" avec son titre pied-de-nez à tous les clichés proustiens de lolitas en fleur, impose d'entrée un autre point de vue que le fameux "male gaze" phallo-centré auquel des décennies de fiction patriarcale nous a habitué. Il revendique un droit au récit. Et à l'Histoire.
 
Sciamma se livre à l'autopsie clinique d'une passion amoureuse, du désir au souvenir, de la cristallisation stendhalienne à la nostalgie éternelle, de quoi déverser des torrents de larmes contenues devant un mélo sous influence hitchcockienne qui jamais n'avance en terrain conquis mais au contraire se déploie à pas feutrés dans la résistance et la clandestinité. Surtout, la cinéaste place son conte corseté dans une histoire plus large. Celle de la représentation de la féminité et de toutes ses injonctions. Devoir d'épouse, de fille, de mère. Interdiction de ne pas enfanter, de ne pas servir, de ne pas sourire.
 
Impossible d'ignorer que cette éloge de la liberté et du pas de côté par la réalisatrice de "Tomboy" et de "Naissance des pieuvres" est avant tout un grand film sur le regard et sa réappropriation. Celui que l'artiste (la narratrice, peintre) pose sur son modèle (Héloïse jouée par Adèle)  alors que celle-ci refuse de  se laisser amadouer, domestiquer, réduire à une fonction d'objet, bonne à marier. Mais aussi le regard que la cinéaste (Sciamma) pose sur sa muse de toujours (Adèle Haenel, actrice) et dans les deux cas, la réciprocité que ce pas-de-deux implique. Oui, tout acte de création est une collaboration.
 
Comme "Atlantique" et "Sibyl" les deux autres entrées françaises féminines de la compétition, "Portrait de la jeune-fille en feu" clame haut et fort le droit des femmes à disposer de leur corps et de leur destin. Il contient d'ailleurs l'une des plus belles scènes d'avortement jamais vues à l'écran. Rien que pour elle, à l'heure où les droits humains les plus fondamentaux sont remis en cause, ce long-métrage est éminemment important. Un grand film d'amour doublé d'un geste politique en forme de manifeste qui questionne la place des images dans nos vies et dit la nécessité de l'art et de la fiction pour transcender l'éphémère. Varda s'en va, vive Sciamma.
 
Karelle Fitoussi (Paris Match)

Avant-première
mercredi 21 août 2019 à 20h15

en présence de Céline Sciamma, réalisatrice

Présenté cette année en Sélection officielle du Festival de Cannes, Portrait de la jeune fille en feu a reçu le Prix du scénario et la Queer Palm. Céline Sciamma est venue à plusieurs reprises à Angers, au Festival ou aux Ateliers. 

Sortie le 18 septembre 2019

Soirée organisée dans le cadre des Ateliers d'Angers en collaboration avec l'association "Premiers Plans"


PORTRAIT DE LA JEUNE FILLE EN FEU

de Céline Sciamma

avec Noémie Merlant, Adèle Haenel, Luàna Bajrami
FRANCE - 2019 - 1h59 - Prix du scénario Cannes 2019

1770. Marianne est peintre et doit réaliser le portrait de mariage d’Héloïse, une jeune femme qui vient de quitter le couvent. Héloïse résiste à son destin d’épouse en refusant de poser. Marianne va devoir la peindre en secret. Introduite auprès d’elle en tant que dame de compagnie, elle la regarde.
http://distrib.pyramidefilms.com/pyramide-distribution-prochainement/portrait-de-la-jeune-fille-en-feu.html

A PROPOS

On va tout entendre sur ce film. Mille et une mauvaises raisons de ne pas lui donner la Palme et mille et une tout aussi mauvaises de la lui remettre. Peut-on ignorer le contexte dans lequel une oeuvre est faite pour la juger librement? Pas si sûr. C'est un fait, Céline Sciamma ne fait ni du Lanthimos ("La Favorite") ni du Sofia Coppola ("Marie-Antoinette") et ceux qui attendaient une révolution formelle ou l'irruption du macaron rose bonbon dans le film d'époque ne pourront que bailler poliment. Mais "Portrait de la jeune fille en feu" avec son titre pied-de-nez à tous les clichés proustiens de lolitas en fleur, impose d'entrée un autre point de vue que le fameux "male gaze" phallo-centré auquel des décennies de fiction patriarcale nous a habitué. Il revendique un droit au récit. Et à l'Histoire.
 
Sciamma se livre à l'autopsie clinique d'une passion amoureuse, du désir au souvenir, de la cristallisation stendhalienne à la nostalgie éternelle, de quoi déverser des torrents de larmes contenues devant un mélo sous influence hitchcockienne qui jamais n'avance en terrain conquis mais au contraire se déploie à pas feutrés dans la résistance et la clandestinité. Surtout, la cinéaste place son conte corseté dans une histoire plus large. Celle de la représentation de la féminité et de toutes ses injonctions. Devoir d'épouse, de fille, de mère. Interdiction de ne pas enfanter, de ne pas servir, de ne pas sourire.
 
Impossible d'ignorer que cette éloge de la liberté et du pas de côté par la réalisatrice de "Tomboy" et de "Naissance des pieuvres" est avant tout un grand film sur le regard et sa réappropriation. Celui que l'artiste (la narratrice, peintre) pose sur son modèle (Héloïse jouée par Adèle)  alors que celle-ci refuse de  se laisser amadouer, domestiquer, réduire à une fonction d'objet, bonne à marier. Mais aussi le regard que la cinéaste (Sciamma) pose sur sa muse de toujours (Adèle Haenel, actrice) et dans les deux cas, la réciprocité que ce pas-de-deux implique. Oui, tout acte de création est une collaboration.
 
Comme "Atlantique" et "Sibyl" les deux autres entrées françaises féminines de la compétition, "Portrait de la jeune-fille en feu" clame haut et fort le droit des femmes à disposer de leur corps et de leur destin. Il contient d'ailleurs l'une des plus belles scènes d'avortement jamais vues à l'écran. Rien que pour elle, à l'heure où les droits humains les plus fondamentaux sont remis en cause, ce long-métrage est éminemment important. Un grand film d'amour doublé d'un geste politique en forme de manifeste qui questionne la place des images dans nos vies et dit la nécessité de l'art et de la fiction pour transcender l'éphémère. Varda s'en va, vive Sciamma.
 
Karelle Fitoussi (Paris Match)