ÉVÉNEMENTS ET SÉANCES SPECIALES
A PROPOS
Inviter une caméra dans l’univers carcéral des Baumettes relève de la pure gageure. Pure gageure, car avant même de faire la rencontre intime avec ces hommes blessés, méfiants, il faut convaincre l’administration pénitentiaire et la justice qu’elles acceptent de soumettre au regard du spectateur et d’une caméra, l’horreur de la prison. La chance immense que nous offrent Jean-Robert Viallet et Alice Odiot de rentrer dans le monde carcéral, demeure en soi un véritable acte de bravoure. Les réalisateurs sont parvenus à l’inimaginable, à une époque où les prisons françaises sont au bord de l’explosion, où les condamnations contre la France se multiplient, au regard de l’état d’insalubrité des maisons d’arrêt. En cela, avant même de nous immerger dans le film, l’exploit cinématographique est remarquable.
Mais que personne ne s’y trompe. Des hommes n’est pas un documentaire banal comme on peut le voir à la télévision parfois, avec des visages floutés et des effets visuels absolument brutaux et vulgaires. Il s’agit d’une œuvre de cinéma. Les réalisateurs ne s’invitent pas aux Baumettes comme des spécialistes des prisons ou des journalistes aux aguets de quelque scoop. Les cinéastes pénètrent dans cet univers comme des artistes à la recherche d’une émotion supérieure. L’écriture du film qui a précédé le tournage permet au long-métrage de dépasser le simple témoignage contemporain. La manière de poser la caméra le long d’un mur abîmé par le vieillissement, celle de capter la détresse profonde d’un regard, celle aussi de nouer aux images la fulgurance d’une musique techno, sont l’expression d’une réflexion puissante sur le cinéma et l’esthétique de l’image. Le spectateur est proprement submergé par la beauté des lieux et des visages, alors même que les murs s’effritent et que ces vies-là, filmées pendant vingt-cinq jours, racontent un parcours de désolation affective et psychique.
Il y a cet homme qui commence et termine le film. On reconnaît dans sa façon de bouger, de cogner contre la porte vitrée qui le sépare des matons et de la caméra, de réclamer une cigarette, la gestualité maladroite du fou. La messe est dite. Viallet et Odiot décrivent en à peine 1h23 minutes, l’échec d’une société qui enferme ses malades mentaux, à défaut de mobiliser des lits psychiatriques, et ne parvient pas à remettre sur le droit chemin des enfants abîmés. L’immaturité est lisible dans chacune de ces vies qui se donnent à nous. Ils s’entretuent parfois, sans être capables de mesurer les conséquences de leurs actes. Ils évoquent leur solitude, leur désarroi affectif, et sans doute leur incapacité à se mettre en marche sur le chemin de la norme. On est totalement ébahi par la jeunesse des condamnés. Certains dépassent dix-neuf ans et ont déjà été condamnés presque cinq fois. Tout est dit. Il est impossible de voir autre chose qu’une détresse immense dans ces témoignages fugaces, mais si importants.
Il y a aussi tous ces professionnels, de la directrice au travailleur social. Les cinéastes parviennent à extraire, à travers la dureté de leur fonction, la beauté de l’empathie, l’honneur de leur tâche au service des égarés de notre société et donc au service de la République tout entière. Parfois, une surveillante laisse échapper une maladresse, quand elle confond deux mois avec les deux années véritables auxquelles tel détenu vient d’être condamné. Mais ce qui compte, c’est l’humanité de ces gens, mal payés, qui font leur boulot avec respect et distance. Les réalisateurs réécrivent un cinéma à la Depardon. Pas de spectacle. Juste la petite musique triste de ces vies décomposées et de ces professionnels dévoués à leur tâche. Les rires complices des gardiens tranchent avec la gravité des regards, la détresse perceptible dans le silence des murs. La force de la mise en scène est perceptible dans cette façon qu’ont les réalisateurs de scruter les yeux et de les mettre en perspective.
Des hommes a choisi un format relativement court. Pourtant, le temps semble suspendu. On ressent la chaleur écrasante de Marseille envahir les cellules. La longueur des condamnations impossible à imaginer, quand on n’a pas soi-même fait l’objet d’une sentence pénale, surgit dans l’inconscient du spectateur grâce à cette manière incroyable de saisir les regards, les pans de mur, et le temps qui s’écoule à l’intérieur de la forteresse. La prison apparaît comme une véritable chambre de résonance, avec ces bruits et ces cris qui se diffusent d’une pièce à l’autre. Les prisonniers s’inventent des espaces de liberté, comme ces trous qu’ils parviennent à creuser d’une cellule à l’autre, ou ces draps qui leur permettent de s’échanger du sucre ou du café. Bien sûr, la délinquance ne s’arrête pas à la porte du centre pénitentiaire et les réalisateurs ne se privent pas de montrer la drogue et la violence extrême entre les condamnés. Mais ils ne jugent pas, qu’il s’agisse des actes pour lesquels les hommes ont été incarcérés ou des décisions prises par des professionnels, sans moyens. Viallet et Odiot fabriquent un film de cinéma d’une très grande intensité émotionnelle, dont on ressort changé et bouleversé pour longtemps.
Laurent Cambon (avoiralire.com)
Ciné Doc
mardi 19 novembre
à 20h00
suivi d'une rencontre
Soirée organisée dans le cadre des Journées Nationales Prisons
DES HOMMES
de Jean-Robert Viallet & Alice Odiot
Documentaire
FRANCE - 2019 - 1h23
25 jours en immersion dans la prison des Baumettes. 30 000 mètres carrés et 2 000 détenus dont la moitié n'a pas 30 ans.
Une prison qui raconte les destins brisés, les espoirs, la violence, la justice et les injustices de la vie. C'est une histoire avec ses cris et ses silences, un concentré d'humanité, leurs yeux dans les nôtres.
A PROPOS
Inviter une caméra dans l’univers carcéral des Baumettes relève de la pure gageure. Pure gageure, car avant même de faire la rencontre intime avec ces hommes blessés, méfiants, il faut convaincre l’administration pénitentiaire et la justice qu’elles acceptent de soumettre au regard du spectateur et d’une caméra, l’horreur de la prison. La chance immense que nous offrent Jean-Robert Viallet et Alice Odiot de rentrer dans le monde carcéral, demeure en soi un véritable acte de bravoure. Les réalisateurs sont parvenus à l’inimaginable, à une époque où les prisons françaises sont au bord de l’explosion, où les condamnations contre la France se multiplient, au regard de l’état d’insalubrité des maisons d’arrêt. En cela, avant même de nous immerger dans le film, l’exploit cinématographique est remarquable.
Mais que personne ne s’y trompe. Des hommes n’est pas un documentaire banal comme on peut le voir à la télévision parfois, avec des visages floutés et des effets visuels absolument brutaux et vulgaires. Il s’agit d’une œuvre de cinéma. Les réalisateurs ne s’invitent pas aux Baumettes comme des spécialistes des prisons ou des journalistes aux aguets de quelque scoop. Les cinéastes pénètrent dans cet univers comme des artistes à la recherche d’une émotion supérieure. L’écriture du film qui a précédé le tournage permet au long-métrage de dépasser le simple témoignage contemporain. La manière de poser la caméra le long d’un mur abîmé par le vieillissement, celle de capter la détresse profonde d’un regard, celle aussi de nouer aux images la fulgurance d’une musique techno, sont l’expression d’une réflexion puissante sur le cinéma et l’esthétique de l’image. Le spectateur est proprement submergé par la beauté des lieux et des visages, alors même que les murs s’effritent et que ces vies-là, filmées pendant vingt-cinq jours, racontent un parcours de désolation affective et psychique.
Il y a cet homme qui commence et termine le film. On reconnaît dans sa façon de bouger, de cogner contre la porte vitrée qui le sépare des matons et de la caméra, de réclamer une cigarette, la gestualité maladroite du fou. La messe est dite. Viallet et Odiot décrivent en à peine 1h23 minutes, l’échec d’une société qui enferme ses malades mentaux, à défaut de mobiliser des lits psychiatriques, et ne parvient pas à remettre sur le droit chemin des enfants abîmés. L’immaturité est lisible dans chacune de ces vies qui se donnent à nous. Ils s’entretuent parfois, sans être capables de mesurer les conséquences de leurs actes. Ils évoquent leur solitude, leur désarroi affectif, et sans doute leur incapacité à se mettre en marche sur le chemin de la norme. On est totalement ébahi par la jeunesse des condamnés. Certains dépassent dix-neuf ans et ont déjà été condamnés presque cinq fois. Tout est dit. Il est impossible de voir autre chose qu’une détresse immense dans ces témoignages fugaces, mais si importants.
Il y a aussi tous ces professionnels, de la directrice au travailleur social. Les cinéastes parviennent à extraire, à travers la dureté de leur fonction, la beauté de l’empathie, l’honneur de leur tâche au service des égarés de notre société et donc au service de la République tout entière. Parfois, une surveillante laisse échapper une maladresse, quand elle confond deux mois avec les deux années véritables auxquelles tel détenu vient d’être condamné. Mais ce qui compte, c’est l’humanité de ces gens, mal payés, qui font leur boulot avec respect et distance. Les réalisateurs réécrivent un cinéma à la Depardon. Pas de spectacle. Juste la petite musique triste de ces vies décomposées et de ces professionnels dévoués à leur tâche. Les rires complices des gardiens tranchent avec la gravité des regards, la détresse perceptible dans le silence des murs. La force de la mise en scène est perceptible dans cette façon qu’ont les réalisateurs de scruter les yeux et de les mettre en perspective.
Des hommes a choisi un format relativement court. Pourtant, le temps semble suspendu. On ressent la chaleur écrasante de Marseille envahir les cellules. La longueur des condamnations impossible à imaginer, quand on n’a pas soi-même fait l’objet d’une sentence pénale, surgit dans l’inconscient du spectateur grâce à cette manière incroyable de saisir les regards, les pans de mur, et le temps qui s’écoule à l’intérieur de la forteresse. La prison apparaît comme une véritable chambre de résonance, avec ces bruits et ces cris qui se diffusent d’une pièce à l’autre. Les prisonniers s’inventent des espaces de liberté, comme ces trous qu’ils parviennent à creuser d’une cellule à l’autre, ou ces draps qui leur permettent de s’échanger du sucre ou du café. Bien sûr, la délinquance ne s’arrête pas à la porte du centre pénitentiaire et les réalisateurs ne se privent pas de montrer la drogue et la violence extrême entre les condamnés. Mais ils ne jugent pas, qu’il s’agisse des actes pour lesquels les hommes ont été incarcérés ou des décisions prises par des professionnels, sans moyens. Viallet et Odiot fabriquent un film de cinéma d’une très grande intensité émotionnelle, dont on ressort changé et bouleversé pour longtemps.
Laurent Cambon (avoiralire.com)