DEUX - Filippo Meneghetti

A PROPOS

« Je voulais travailler avec des actrices qui soient à l’aise avec leur âge. » L’intention fondamentale de Filippo Meneghetti pour son premier film fait écho aux revendications dans l’air du temps pour une salutaire mixité au cinéma : plus de femmes derrière la caméra, davantage d’actrices au premier plan, portées par le regard d’une nouvelle génération de cinéastes, dont Meneghetti est un exemple adéquat. Son film, Deux, est une opportunité rare de retrouver deux comédiennes immenses, Barbara Sukowa et Martine Chevalier. Et l’occasion n’est pas anodine : l’Italien offre à chacune l’un des plus beaux rôles de sa carrière.

L’ancienne égérie des films de Fassbinder (Lola, une femme allemande, 1981), Barbara Sukowa, prête ses délicieuses intonations germaniques au profil de Madeleine, meneuse éruptive, célibataire à la crinière ébouriffée, au regard intense, à qui « on ne la raconte pas ». La seconde, l’incomparable reine de théâtre Martine Chevalier joue Nina. Mère d’Anne (Léa Drucker) et de Frédéric (Jérome Varanfrain), elle est douce, mélancolique, souvent hésitante. Portant le poids d’une culpabilité opaque, Nina cache à ses enfants le désamour qu’elle éprouve pour leur père disparu et… la passion brûlante qui l’unit à sa voisine de palier. Quand Nina n’est pas envahie par sa famille, les deux femmes ont en effet des habitudes bien à elles : les portes de leurs appartements respectifs sont grandes ouvertes et l’amour circule. Pour autant, un jour, ce bonheur sans nuage s’effondre…

À la suite d’une introduction étonnante, Filippo Meneghetti est au plus près de ses personnages dans un format cinémascope très étudié, apportant souffle et grandeur aux scènes d’appartement de son huis clos. Il scrute avec beaucoup d’attention les visages, dissémine avec parcimonie des indices psychologiques et événements marquants afin de ménager une forme saisissante de thriller. Sans pathos ni lourdeur, il parvient à créer une tension haletante via un jeu de portes, d’objets et de miroirs, dans lequel Barbara Sukowa s’engouffre aisément. Incarnant l’angoisse absolue d’un amour brutalement contrarié, cette dernière fait une chute vertigineuse, perdant ses droits, son statut et tout contrôle. Face à elle, Martine Chevalier puise dans le réel les ressorts d’un changement de personnalité cruel, effrayant, authentique. Les seconds rôles entourant les deux comédiennes sont au diapason de ce spectacle inspiré : Léa Drucker, en tête, complète le puzzle de cet amour caché, traqué par le « regard des autres », leitmotiv palpitant du film. L’aide à domicile prise en étau, Muriel Benazeraf, parachève la montée graduelle des diverses émotions à laquelle nous sommes soumis : avec un zeste du réalisme aigu de Michael Haneke (Amour, 2012), une pointe de la tension millimétrée de Jusqu’à la garde de Xavier Legrand, Filippo Meneghetti nous attache aux pulsations des cœurs enflammés de ses actrices et de leur quête de liberté : au final, Deux, ultra-maîtrisé, fin et décomplexé, est un très beau film.

Olivier Bombarda (Bande à part)

Cap ciné
vendredi 28 février 2020 à 20h00

Séance en audiodescription sous-titrée en français

Séance organisée en collaboration avec Cinéma Parlant et Premiers Plans.


DEUX

de Filippo Meneghetti

Avec Barbara Sukowa, Martine Chevallier, Léa Drucker
FRANCE - LUXEMBOURG - BELGIQUE - 2019 - 1h35

Nina et Madeleine sont profondément amoureuses l'une de l'autre. Aux yeux de tous, elles ne sont que de simples voisines vivant au dernier étage de leur immeuble. Au quotidien, elles vont et viennent entre leurs deux appartements et partagent leurs vies ensemble. Personne ne les connaît vraiment, pas même Anne, la fille attentionnée de Madeleine. Jusqu'au jour où un événement tragique fait tout basculer…

A PROPOS

« Je voulais travailler avec des actrices qui soient à l’aise avec leur âge. » L’intention fondamentale de Filippo Meneghetti pour son premier film fait écho aux revendications dans l’air du temps pour une salutaire mixité au cinéma : plus de femmes derrière la caméra, davantage d’actrices au premier plan, portées par le regard d’une nouvelle génération de cinéastes, dont Meneghetti est un exemple adéquat. Son film, Deux, est une opportunité rare de retrouver deux comédiennes immenses, Barbara Sukowa et Martine Chevalier. Et l’occasion n’est pas anodine : l’Italien offre à chacune l’un des plus beaux rôles de sa carrière.

L’ancienne égérie des films de Fassbinder (Lola, une femme allemande, 1981), Barbara Sukowa, prête ses délicieuses intonations germaniques au profil de Madeleine, meneuse éruptive, célibataire à la crinière ébouriffée, au regard intense, à qui « on ne la raconte pas ». La seconde, l’incomparable reine de théâtre Martine Chevalier joue Nina. Mère d’Anne (Léa Drucker) et de Frédéric (Jérome Varanfrain), elle est douce, mélancolique, souvent hésitante. Portant le poids d’une culpabilité opaque, Nina cache à ses enfants le désamour qu’elle éprouve pour leur père disparu et… la passion brûlante qui l’unit à sa voisine de palier. Quand Nina n’est pas envahie par sa famille, les deux femmes ont en effet des habitudes bien à elles : les portes de leurs appartements respectifs sont grandes ouvertes et l’amour circule. Pour autant, un jour, ce bonheur sans nuage s’effondre…

À la suite d’une introduction étonnante, Filippo Meneghetti est au plus près de ses personnages dans un format cinémascope très étudié, apportant souffle et grandeur aux scènes d’appartement de son huis clos. Il scrute avec beaucoup d’attention les visages, dissémine avec parcimonie des indices psychologiques et événements marquants afin de ménager une forme saisissante de thriller. Sans pathos ni lourdeur, il parvient à créer une tension haletante via un jeu de portes, d’objets et de miroirs, dans lequel Barbara Sukowa s’engouffre aisément. Incarnant l’angoisse absolue d’un amour brutalement contrarié, cette dernière fait une chute vertigineuse, perdant ses droits, son statut et tout contrôle. Face à elle, Martine Chevalier puise dans le réel les ressorts d’un changement de personnalité cruel, effrayant, authentique. Les seconds rôles entourant les deux comédiennes sont au diapason de ce spectacle inspiré : Léa Drucker, en tête, complète le puzzle de cet amour caché, traqué par le « regard des autres », leitmotiv palpitant du film. L’aide à domicile prise en étau, Muriel Benazeraf, parachève la montée graduelle des diverses émotions à laquelle nous sommes soumis : avec un zeste du réalisme aigu de Michael Haneke (Amour, 2012), une pointe de la tension millimétrée de Jusqu’à la garde de Xavier Legrand, Filippo Meneghetti nous attache aux pulsations des cœurs enflammés de ses actrices et de leur quête de liberté : au final, Deux, ultra-maîtrisé, fin et décomplexé, est un très beau film.

Olivier Bombarda (Bande à part)