OUISTREHAM - Emmanuel Carrère

A PROPOS

Souvent au cinéma il y a le film dans le film, avec "Ouistreham", on teste le film avant le film. Enfin, avant le livre ! Marianne Winckler est une écrivaine qui se plonge dans le milieu du nettoyage pour son prochain bouquin. Elle rejoint donc celles et ceux qui triment pour assurer la propreté de nos bureaux, nos chambres d'hôtels ou nos cabines de ferries. Elle s'immerge avec la France d'en bas, les petites gens qui essaient de survivre, de raccrocher les deux bouts, qui se privent pour leurs enfants, qui ne peuvent pas débourser 200 euros pour récupérer leur voiture à la fourrière alors qu’elle en vaut 10 fois plus à l'argus. Elle observe, elle prend des notes et elle écrit une fois chez elle.
Emmanuel Carrère, lui-même célèbre écrivain, passe pour la troisième fois derrière la caméra pour une introspection sur l'art littéraire, mais qui peut très bien être étendu à tous les autres, et notamment au cinéma. Comment rendre la réalité des faits, comment comprendre les personnes dont on veut parler sans les côtoyer de près, sans vivre ce qu'elles vivent, sans partager leur quotidien ? Et jusqu'où peut-on aller moralement quand deux mondes totalement opposés se mélangent artificiellement ? Est-ce bien là le rôle des acteurs de la culture de se fondre dans un univers qui n'est pas le leur, quitte à aiguiser jalousie, rancœur et esprit malsain ? Qui y gagne, qui y perd ? C'est tout l'enjeu de ce nouveau très beau film d'Emmanuel Carrère, réalisateur de "La Moustache" (2005), qui adapte ici l'œuvre de Florence Aubenas, qui s'était elle-même - six mois durant - confrontée aux boulots précaires et à la vie de femme de ménage à Caen afin d'en tirer une œuvre la plus fidèle possible.
On pense au film "À l'origine" de Xavier Giannoli, où François Cluzet usurpait l'identité d'un chef de chantier pour redonner espoir à des gens en mal de travail. Juliette Binoche incarne ici une femme qui joue aussi un rôle, se fait passer pour ce qu’elle n’est pas, allant jusqu'à tisser des liens forts avec certaines de ses collègues. Jouer un personnage qui joue lui-même un rôle pour une actrice : en voilà une vraie mise en abyme pour une comédienne ! Et une réflexion pour Binoche, avec ce film qui interroge aussi sur son métier et la préparation à ses futurs rôles.
Dans une scène du début, un chercheur d'emploi qui la drague lui demande quelles qualités elle met en avant dans ses entretiens d'embauche. « L'honnêteté ? », lui demande-t-il, avant d'ajouter « Ça vous arrive de mentir ? », « Oui je mens mais je finis toujours par dire la vérité », répond Marianne Winckler. Voilà comment en une scène Juliette Binoche nous dévoile la structure du film, du mensonge à la révélation. Avec au cœur du métrage, des portraits de travailleurs d'une grande richesse, des moments de pure comédie, de l'émotion à revendre et des comédiens d'une incroyable justesse. Binoche excelle une fois de plus dans ce double jeu qui ne sera pas sans conséquence sur elle et son entourage ; et le reste du casting - en grande partie amateur - impressionne. On retiendra surtout Christèle, la meilleure amie de Marianne Winckler, interprétée par Hélène Lambert. Elle est la révélation du film. Elle en impose dès la première scène et est confondante de vérité tout du long.
"Ouistreham" s'impose donc comme une œuvre à ne pas manquer, un film miroir de notre société et du monde de la culture. Il interroge derrière la caméra mais aussi devant l'écran, le spectateur ne pouvant rester insensible à ces métiers dits essentiels, ceux que l'on a applaudi pendant la pandémie en 2020 et auxquels on doit notre respect au-delà de cet événement. Un film drôle, dur, comme le sont ces hommes et ces femmes qui se lèvent tôt et qui ne pourront que vous toucher et vous laisser un souvenir impérissable.
Mathieu Payan (abus de ciné)

Cap ciné
vendredi 21 janvier 2022 à 15h35

Séance en audiodescription, sous-titrée en français, présentée par Claire Lambry, Association Cinéma Parlant.

Séance organisée en collaboration avec les associations Cinéma Parlant et Premiers Plans


OUISTREHAM

de Emmanuel Carrère

avec Juliette Binoche, Hélène Lambert, Léa Carne
FRANCE - 2021 - 1h47 - Cannes 2021

Marianne Winckler, écrivaine reconnue, entreprend un livre sur le travail précaire. Elle s'installe près de Caen et, sans révéler son identité, rejoint une équipe de femmes de ménage. Confrontée à la fragilité économique et à l'invisibilité sociale, elle découvre aussi l'entraide et la solidarité qui unissent ces travailleuses de l'ombre.

https://www.memento-distribution.com/ouistreham/

A PROPOS

Souvent au cinéma il y a le film dans le film, avec "Ouistreham", on teste le film avant le film. Enfin, avant le livre ! Marianne Winckler est une écrivaine qui se plonge dans le milieu du nettoyage pour son prochain bouquin. Elle rejoint donc celles et ceux qui triment pour assurer la propreté de nos bureaux, nos chambres d'hôtels ou nos cabines de ferries. Elle s'immerge avec la France d'en bas, les petites gens qui essaient de survivre, de raccrocher les deux bouts, qui se privent pour leurs enfants, qui ne peuvent pas débourser 200 euros pour récupérer leur voiture à la fourrière alors qu’elle en vaut 10 fois plus à l'argus. Elle observe, elle prend des notes et elle écrit une fois chez elle.
Emmanuel Carrère, lui-même célèbre écrivain, passe pour la troisième fois derrière la caméra pour une introspection sur l'art littéraire, mais qui peut très bien être étendu à tous les autres, et notamment au cinéma. Comment rendre la réalité des faits, comment comprendre les personnes dont on veut parler sans les côtoyer de près, sans vivre ce qu'elles vivent, sans partager leur quotidien ? Et jusqu'où peut-on aller moralement quand deux mondes totalement opposés se mélangent artificiellement ? Est-ce bien là le rôle des acteurs de la culture de se fondre dans un univers qui n'est pas le leur, quitte à aiguiser jalousie, rancœur et esprit malsain ? Qui y gagne, qui y perd ? C'est tout l'enjeu de ce nouveau très beau film d'Emmanuel Carrère, réalisateur de "La Moustache" (2005), qui adapte ici l'œuvre de Florence Aubenas, qui s'était elle-même - six mois durant - confrontée aux boulots précaires et à la vie de femme de ménage à Caen afin d'en tirer une œuvre la plus fidèle possible.
On pense au film "À l'origine" de Xavier Giannoli, où François Cluzet usurpait l'identité d'un chef de chantier pour redonner espoir à des gens en mal de travail. Juliette Binoche incarne ici une femme qui joue aussi un rôle, se fait passer pour ce qu’elle n’est pas, allant jusqu'à tisser des liens forts avec certaines de ses collègues. Jouer un personnage qui joue lui-même un rôle pour une actrice : en voilà une vraie mise en abyme pour une comédienne ! Et une réflexion pour Binoche, avec ce film qui interroge aussi sur son métier et la préparation à ses futurs rôles.
Dans une scène du début, un chercheur d'emploi qui la drague lui demande quelles qualités elle met en avant dans ses entretiens d'embauche. « L'honnêteté ? », lui demande-t-il, avant d'ajouter « Ça vous arrive de mentir ? », « Oui je mens mais je finis toujours par dire la vérité », répond Marianne Winckler. Voilà comment en une scène Juliette Binoche nous dévoile la structure du film, du mensonge à la révélation. Avec au cœur du métrage, des portraits de travailleurs d'une grande richesse, des moments de pure comédie, de l'émotion à revendre et des comédiens d'une incroyable justesse. Binoche excelle une fois de plus dans ce double jeu qui ne sera pas sans conséquence sur elle et son entourage ; et le reste du casting - en grande partie amateur - impressionne. On retiendra surtout Christèle, la meilleure amie de Marianne Winckler, interprétée par Hélène Lambert. Elle est la révélation du film. Elle en impose dès la première scène et est confondante de vérité tout du long.
"Ouistreham" s'impose donc comme une œuvre à ne pas manquer, un film miroir de notre société et du monde de la culture. Il interroge derrière la caméra mais aussi devant l'écran, le spectateur ne pouvant rester insensible à ces métiers dits essentiels, ceux que l'on a applaudi pendant la pandémie en 2020 et auxquels on doit notre respect au-delà de cet événement. Un film drôle, dur, comme le sont ces hommes et ces femmes qui se lèvent tôt et qui ne pourront que vous toucher et vous laisser un souvenir impérissable.
Mathieu Payan (abus de ciné)