ÉVÉNEMENTS ET SÉANCES SPECIALES
A PROPOS
Après La zone d’intérêt, huis clos férocement glaçant de Jonathan Glazer sur la vie rêvée de Rudolf Höss, le commandant du camp d’Auschwitz, et de sa famille, brillamment interprétés par Christian Friedel et Sandra Hüller, Daniela Völker nous confronte à la réalité pure et dure en réunissant coupables et victimes de l’Holocauste. Si le premier film concernait la pleine « activité » du camp d’Auschwitz entre 1943 et 1944, l’ombre du commandant s’intéresse aux traumatismes intergénérationnels de tout un peuple. Il s’ouvre sur l’image d’un père et de son fils dans le désert de Judée (le cœur du peuple juif dans l’Antiquité). Ils sont venus sur les traces de leur père et grand-père, nazi convaincu, responsable de la mort d’innocents, engagé volontaire lors de la Première Guerre mondiale. Il se referme sur la même image signe d’une rédemption accordée à une nation égarée.
Hans-Jürgen Höss est le fils du monstrueux Rudolf Höss qui programma avec une minutie effrayante l’extermination de millions de juifs et de Tziganes au camp d’Auschwitz à partir de 1942 et fut condamné à la pendaison en 1947. Pendant que le jeune Hans-Jürgen vivait une enfance choyée, entre un père et une mère aimants, dans une maison qui jouxtait le camp, Anita Lasker-Wallfisch, jeune juive emprisonnée dont les parents périront, se battait pour survivre dans ce même camp. Il a 87 ans, elle en a un peu plus de 90. L’heure est venue de mesurer le poids de l’horreur et ses conséquences d’un côté comme de l’autre. Accompagnés de leurs enfants, dotés de la même volonté non pas de pardonner (c’est impossible en convient Anita) mais de se parler pour mieux se comprendre, ils militent à l’unisson pour l’acceptation du passé dans le seul but d’éviter la répétition de l’Histoire.
Avant de nous faire partager cette rencontre essentielle, la réalisatrice multiplie les témoignages, confronte parfois durement père et fils, mère et fille. À son père qui affirme n’avoir jamais imaginé ce qui se passait derrière ces hauts murs et évoque son jeune âge pour tenter de se justifier, Kai oppose son incrédulité et accuse son géniteur de déni. Alors que Maya rappelle à sa mère la difficulté de leurs relations mère/fille, elle s’étonne que celle-ci ait toujours refusé d’évoquer les détails de cette douloureuse détention qui a irrémédiablement modifié sa personnalité au point de les opposer l’une à l’autre. Si Anita fait preuve d’une lucidité et d’une vivacité d’esprit admirables, Hans-Jürgen se réfugie dans la culpabilité et l’incompréhension. Comment son père, cet homme intelligent, doux et bon père de famille, a t-il pu à ce point se laisser berner par l’idéologie totalitaire du national-socialisme, au point d’obéir sans la moindre restriction à la demande de Himmler, l’un des plus hauts dignitaires du Troisième Reich, de bâtir un centre d’extermination des juifs et même d’en augmenter les capacités exterminatrices de sa propre initiative ? Ses interrogations qui sont aussi les nôtres restent sans réponse et remuent bon nombre d’émotions. Quelques instants plus tard, sa sœur Brigitte dite Puppi, réfugiée aux États-Unis, prise en flagrant délit de désaveu (tout ça n’a pas finalement été si terrible, puisqu’il y a des survivants, affirme t-elle sans ciller), nous glace le sang. L’un et l’autre ne parviennent pas à condamner totalement leur père contrairement à Kai, devenu pasteur dans la région de Stuttgart, qui n’hésite à avouer le rejet que son grand-père lui inspire. De nombreux extraits de l’autobiographie de Rudolf Höss, écrite peu de temps avant son exécution, renseignent précisément sur les exactions commises, l’univers concentrationnaire et l’attitude des tortionnaires, ne laissant aucun doute sur l’ampleur du génocide auquel se livra l’Allemagne nazie durant la Seconde Guerre mondiale.
Un documentaire émouvant et essentiel à plus d’un titre. D’abord pour les questions morales qu’il pose autour de la part d’héritage des descendants de criminels de guerre tout autant que sur la manière dont les générations suivantes vont pouvoir s’arranger de ce morceau d’histoire familiale, tant du côté des martyrs que des bourreaux. Enfin, alors que les conflits grondent dans tous les coins de la planète, il propose une réflexion sur l’impact de l’Holocauste et la quête de réconciliation.
Claudine Levanneur (avoiralire.com)
Soirée rencontre
lundi 9 décembre
2024 à 20h00
en présence de Alain Jacobzone, historien
Soirée organisée en collaboration avec Cinéma Parlant dans le cadre de la semaine de cinéma de langue anglaise
L'OMBRE DU COMMANDANT
de Daniela Völker
Documentaire
USA - 2024 - 1h43 - VOST
Tandis que Hans Jürgen Höss vivait une enfance paisible dans la maison familiale aux abords d’Auschwitz, Anita Lasker-Wallfisch, prisonnière juive, luttait pour survivre dans le camp. Au cœur de ce film se trouve le moment historique – huit décennies plus tard – où Hans et Anita se retrouvent face à face. C’est la première fois que le descendant de ce criminel de guerre rencontre une survivante dans un cadre aussi intime, le salon londonien d’Anita. Accompagnés de leurs enfants, Kai Höss et Maya Lasker-Wallfisch, ils explorent ensemble leurs lourds et très différents héritages familiaux.
A PROPOS
Après La zone d’intérêt, huis clos férocement glaçant de Jonathan Glazer sur la vie rêvée de Rudolf Höss, le commandant du camp d’Auschwitz, et de sa famille, brillamment interprétés par Christian Friedel et Sandra Hüller, Daniela Völker nous confronte à la réalité pure et dure en réunissant coupables et victimes de l’Holocauste. Si le premier film concernait la pleine « activité » du camp d’Auschwitz entre 1943 et 1944, l’ombre du commandant s’intéresse aux traumatismes intergénérationnels de tout un peuple. Il s’ouvre sur l’image d’un père et de son fils dans le désert de Judée (le cœur du peuple juif dans l’Antiquité). Ils sont venus sur les traces de leur père et grand-père, nazi convaincu, responsable de la mort d’innocents, engagé volontaire lors de la Première Guerre mondiale. Il se referme sur la même image signe d’une rédemption accordée à une nation égarée.
Hans-Jürgen Höss est le fils du monstrueux Rudolf Höss qui programma avec une minutie effrayante l’extermination de millions de juifs et de Tziganes au camp d’Auschwitz à partir de 1942 et fut condamné à la pendaison en 1947. Pendant que le jeune Hans-Jürgen vivait une enfance choyée, entre un père et une mère aimants, dans une maison qui jouxtait le camp, Anita Lasker-Wallfisch, jeune juive emprisonnée dont les parents périront, se battait pour survivre dans ce même camp. Il a 87 ans, elle en a un peu plus de 90. L’heure est venue de mesurer le poids de l’horreur et ses conséquences d’un côté comme de l’autre. Accompagnés de leurs enfants, dotés de la même volonté non pas de pardonner (c’est impossible en convient Anita) mais de se parler pour mieux se comprendre, ils militent à l’unisson pour l’acceptation du passé dans le seul but d’éviter la répétition de l’Histoire.
Avant de nous faire partager cette rencontre essentielle, la réalisatrice multiplie les témoignages, confronte parfois durement père et fils, mère et fille. À son père qui affirme n’avoir jamais imaginé ce qui se passait derrière ces hauts murs et évoque son jeune âge pour tenter de se justifier, Kai oppose son incrédulité et accuse son géniteur de déni. Alors que Maya rappelle à sa mère la difficulté de leurs relations mère/fille, elle s’étonne que celle-ci ait toujours refusé d’évoquer les détails de cette douloureuse détention qui a irrémédiablement modifié sa personnalité au point de les opposer l’une à l’autre. Si Anita fait preuve d’une lucidité et d’une vivacité d’esprit admirables, Hans-Jürgen se réfugie dans la culpabilité et l’incompréhension. Comment son père, cet homme intelligent, doux et bon père de famille, a t-il pu à ce point se laisser berner par l’idéologie totalitaire du national-socialisme, au point d’obéir sans la moindre restriction à la demande de Himmler, l’un des plus hauts dignitaires du Troisième Reich, de bâtir un centre d’extermination des juifs et même d’en augmenter les capacités exterminatrices de sa propre initiative ? Ses interrogations qui sont aussi les nôtres restent sans réponse et remuent bon nombre d’émotions. Quelques instants plus tard, sa sœur Brigitte dite Puppi, réfugiée aux États-Unis, prise en flagrant délit de désaveu (tout ça n’a pas finalement été si terrible, puisqu’il y a des survivants, affirme t-elle sans ciller), nous glace le sang. L’un et l’autre ne parviennent pas à condamner totalement leur père contrairement à Kai, devenu pasteur dans la région de Stuttgart, qui n’hésite à avouer le rejet que son grand-père lui inspire. De nombreux extraits de l’autobiographie de Rudolf Höss, écrite peu de temps avant son exécution, renseignent précisément sur les exactions commises, l’univers concentrationnaire et l’attitude des tortionnaires, ne laissant aucun doute sur l’ampleur du génocide auquel se livra l’Allemagne nazie durant la Seconde Guerre mondiale.
Un documentaire émouvant et essentiel à plus d’un titre. D’abord pour les questions morales qu’il pose autour de la part d’héritage des descendants de criminels de guerre tout autant que sur la manière dont les générations suivantes vont pouvoir s’arranger de ce morceau d’histoire familiale, tant du côté des martyrs que des bourreaux. Enfin, alors que les conflits grondent dans tous les coins de la planète, il propose une réflexion sur l’impact de l’Holocauste et la quête de réconciliation.
Claudine Levanneur (avoiralire.com)