ÉVÉNEMENTS ET SÉANCES SPECIALES

A PROPOS
La scène du théâtre est immense, comme l’est finalement cette magnifique maison bourgeoise où Nora et Agnès organisent une réception et voient débarquer un père, réalisateur, qui manifestement a disparu de la vie de ses enfants depuis longtemps. Alors, Nora, la comédienne, est saisie de peur. Elle est prête à quitter sa loge, à s’enfuir le plus loin possible, elle déchire sa robe comme une tragédienne et est finalement rattrapée par l’équipe qui parvient à la hisser sur la scène. Le succès est immédiat, et le spectateur respire avec elle, pour un court instant.
Court instant car le nœud dramatique qui se joue dans ce film est le théâtre d’une scène familiale, hantée par cette demeure hautaine, remplie de souvenirs d’enfance et de vie que les générations se transmettent depuis des décennies, hantée aussi par les drames de l’Histoire avec un grand H notamment pendant la Seconde Guerre mondiale. Le père qui ressurgit dans la vie des filles voudrait y réaliser son dernier film, avec sa fille aînée comme actrice principale. Elle est censée jouer sa propre mère, récemment décédée d’une maladie grave, mais devant l’affront que lui fait son père, elle refuse purement et simplement le projet, et même de lire le scénario. Alors le cinéaste confie le rôle à une actrice américaine en vogue.
Valeur sentimentale est un film aux accents romanesques assumés. Le réalisateur n’a pas peur de jouer sur la longueur, de multiplier les dialogues, d’allonger le temps. Là où Julie (en 12 chapitres) et Oslo, 31 août étaient des œuvres très ancrées dans le monde contemporain, Joachim Trier met en scène un long-métrage universel, qui se moque de la modernité, symbolisé par cette demeure qui transcende le temps et les personnes. Deux sœurs inquiètes et tourmentées tentent de remplir le vide laissé par leur mère morte, leur père absent qui à leur éducation préférait son art, sans jamais y parvenir réellement. Elles s’accrochent l’une à l’autre, comme des naufragées qui n’ont plus que les épaules de l’autre comme repères. Les deux interprète, Renate Reinsve et Inga Ibsdotter Lilleaas, sont d’une justesse immense dans ces rôles où elles auraient pu céder à la faciliter lacrymale, l’emphase et le mélodrame. Rien de tout cela : elles habitent leur rôle avec grâce et ampleur, dans film maniant la langue cinématographique à la hauteur des personnages romanesques qu’elles incarnent.
On ne cesse de penser à Truffaut avec sa Nuit américaine dans cette page qui a l’éclat et la densité d’un roman. Car Valeur sentimentale est un film sur le cinéma, la création, les frontières ténues entre la personne et l’artiste et les ravages collatéraux que l’œuvre génère parfois. On aurait pu penser au début à une histoire d’héritage matériel au regard du titre et de l’ouverture du film sur la maison comme dans le très lumineux l’Heure d’été d’Olivier Assayas. Joachim Trier parle de ce qu’il connaît de l’intérieur : l’héritage laissé par une œuvre artistique et la manière dont elle imprime une mémoire particulière dans les générations qui suivent. Le film est en effet un développement très intimiste de la mémoire familiale et historique. Le projet du père est de rendre compte des fantômes qui habitent le lieu, avec ses zones d’ombre, ses traumatismes anciens et à venir, et la façon dont ces évènements continuent de ravager le quotidien des habitants.
Valeur sentimentale n’est pas du tout un film hors sol. C’est une fiction qui s’assume comme telle, dans un subtil entrelacement du réel et du récit. Joachim Trier filme plusieurs générations à l’épreuve du temps qui passe, des aléas narratifs, et des traces laissées par chacun dans une maison magnifique. Sans dévoiler la fin, on comprend avec ravissement combien le cinéaste maîtrise l’art du détournement et de la digression. On ne sait plus dans quelle temporalité, dans quelle réalité est situé le film, ce qui lui rajoute une forme de majesté absolument touchante.
Le cinéaste affiche dans ce nouveau long-métrage une maturité artistique incontestable. Depuis Oslo, 31 août, son regard, sa conduite d’acteurs, la photographie et le cadrage témoignent d’un réalisateur dont l’œuvre s’agrandit vers plus d’intensité, de pudeur et de lumière.
Laurent Cambon (avoiralire.com)
Avant Première
jeudi 26 juin
à 20h15
VALEUR SENTIMENTALE
de Joachim Trier
Avec Renate Reinsve, Inga Ibsdotter Lilleaas, Stellan Skarsgård
NORVÈGE - 2025 - 2h12 - VOST - Grand Prix Cannes 2025
Agnès et Nora voient leur père débarquer après de longues années d’absence. Réalisateur de renom, il propose à Nora, comédienne de théâtre, de jouer dans son prochain film, mais celle-ci refuse avec défiance. Il propose alors le rôle à une jeune star hollywoodienne, ravivant des souvenirs de famille douloureux.
https://www.memento.eu/valeur-sentimentale/
A PROPOS
La scène du théâtre est immense, comme l’est finalement cette magnifique maison bourgeoise où Nora et Agnès organisent une réception et voient débarquer un père, réalisateur, qui manifestement a disparu de la vie de ses enfants depuis longtemps. Alors, Nora, la comédienne, est saisie de peur. Elle est prête à quitter sa loge, à s’enfuir le plus loin possible, elle déchire sa robe comme une tragédienne et est finalement rattrapée par l’équipe qui parvient à la hisser sur la scène. Le succès est immédiat, et le spectateur respire avec elle, pour un court instant.
Court instant car le nœud dramatique qui se joue dans ce film est le théâtre d’une scène familiale, hantée par cette demeure hautaine, remplie de souvenirs d’enfance et de vie que les générations se transmettent depuis des décennies, hantée aussi par les drames de l’Histoire avec un grand H notamment pendant la Seconde Guerre mondiale. Le père qui ressurgit dans la vie des filles voudrait y réaliser son dernier film, avec sa fille aînée comme actrice principale. Elle est censée jouer sa propre mère, récemment décédée d’une maladie grave, mais devant l’affront que lui fait son père, elle refuse purement et simplement le projet, et même de lire le scénario. Alors le cinéaste confie le rôle à une actrice américaine en vogue.
Valeur sentimentale est un film aux accents romanesques assumés. Le réalisateur n’a pas peur de jouer sur la longueur, de multiplier les dialogues, d’allonger le temps. Là où Julie (en 12 chapitres) et Oslo, 31 août étaient des œuvres très ancrées dans le monde contemporain, Joachim Trier met en scène un long-métrage universel, qui se moque de la modernité, symbolisé par cette demeure qui transcende le temps et les personnes. Deux sœurs inquiètes et tourmentées tentent de remplir le vide laissé par leur mère morte, leur père absent qui à leur éducation préférait son art, sans jamais y parvenir réellement. Elles s’accrochent l’une à l’autre, comme des naufragées qui n’ont plus que les épaules de l’autre comme repères. Les deux interprète, Renate Reinsve et Inga Ibsdotter Lilleaas, sont d’une justesse immense dans ces rôles où elles auraient pu céder à la faciliter lacrymale, l’emphase et le mélodrame. Rien de tout cela : elles habitent leur rôle avec grâce et ampleur, dans film maniant la langue cinématographique à la hauteur des personnages romanesques qu’elles incarnent.
On ne cesse de penser à Truffaut avec sa Nuit américaine dans cette page qui a l’éclat et la densité d’un roman. Car Valeur sentimentale est un film sur le cinéma, la création, les frontières ténues entre la personne et l’artiste et les ravages collatéraux que l’œuvre génère parfois. On aurait pu penser au début à une histoire d’héritage matériel au regard du titre et de l’ouverture du film sur la maison comme dans le très lumineux l’Heure d’été d’Olivier Assayas. Joachim Trier parle de ce qu’il connaît de l’intérieur : l’héritage laissé par une œuvre artistique et la manière dont elle imprime une mémoire particulière dans les générations qui suivent. Le film est en effet un développement très intimiste de la mémoire familiale et historique. Le projet du père est de rendre compte des fantômes qui habitent le lieu, avec ses zones d’ombre, ses traumatismes anciens et à venir, et la façon dont ces évènements continuent de ravager le quotidien des habitants.
Valeur sentimentale n’est pas du tout un film hors sol. C’est une fiction qui s’assume comme telle, dans un subtil entrelacement du réel et du récit. Joachim Trier filme plusieurs générations à l’épreuve du temps qui passe, des aléas narratifs, et des traces laissées par chacun dans une maison magnifique. Sans dévoiler la fin, on comprend avec ravissement combien le cinéaste maîtrise l’art du détournement et de la digression. On ne sait plus dans quelle temporalité, dans quelle réalité est situé le film, ce qui lui rajoute une forme de majesté absolument touchante.
Le cinéaste affiche dans ce nouveau long-métrage une maturité artistique incontestable. Depuis Oslo, 31 août, son regard, sa conduite d’acteurs, la photographie et le cadrage témoignent d’un réalisateur dont l’œuvre s’agrandit vers plus d’intensité, de pudeur et de lumière.
Laurent Cambon (avoiralire.com)