ÉVÉNEMENTS ET SÉANCES SPECIALES

A PROPOS
Rien de plus tragique que la cascade (cavalcade, diraient les Italiens) de déboires qui s'abat sur Alberto Sordi dans Une vie difficile, de Dino Risi (1961). Or c'est une comédie, ce que l'on appelle une comédie italienne, d'une part parce qu'on y rit des candeurs du héros, d'autre part parce qu'on y assiste aux mutations politiques, sociales et culturelles du pays. Ce film, qui est peut-être le meilleur de Risi, illustre la fameuse réplique de Nous nous sommes tant aimés, d'Ettore Scola : "Nous voulions changer la société, c'est la société qui nous a changés."
Silvio est un étudiant idéaliste, qui, pendant la guerre, rejoint la Résistance. Risi a choisi de le faire incarner par Alberto Sordi, extraordinaire acteur au mieux de sa forme qui, dans la tradition de la commedia dell'arte, représente d'ordinaire l'Arlequin, le poltron, hâbleur, velléitaire. Or, ici, c'est un personnage d'idéaliste tenace qui lui est confié, celui du type qui refuse les compromis. Il n'en est pas moins fidèle à son art de la combine et, traqué par les fascistes, se retrouve pendant trois mois choyé dans un vieux moulin, entouré de salamis et enlacé par la jeune Elena (Lea Massari), qu'il finira par épouser après la Libération, alors qu'il est devenu journaliste de gauche.
Une vie difficile dépeint les désillusions de ce citoyen intègre, de la guerre au début des années 1960, et, parallèlement, les problèmes de l'Italie jusqu'au boom économique. C'est le portrait d'un pur, dénué du "sens des réalités", dit son patron, qui va tout perdre par fidélité à ses idéaux. Abandonné par sa femme, petite-bourgeoise provinciale fascinée par le mythe de la réussite, qui voudrait le voir plus opportuniste. Trahi par ses concitoyens, tous peu à peu gagnés par la philosophie du bien-être et convertis au carriérisme, à la prudence, à l'égoïsme, la crainte de la censure, le paraître, la corruption.
Le voilà en prison à cause de ses articles sulfureux, bientôt fauché, chômeur, refusant toujours de lâcher le moindre lest, sans famille, tentant vainement de publier un roman ou de vendre un scénario à Cinecitta, avant de se résoudre à troquer le duffle-coat pour le costume bien taillé, faire le larbin pour survivre, à frimer en se pavanant comme un mondain riche et célèbre. Jusqu'à l'ultime sursaut...
Cette évocation grinçante des malheurs d'un anticonformiste est rythmée de scènes homériques, parmi lesquelles une audition pour un emploi honorable qui tourne au fiasco, et un gag à répétition à partir de l'art de manier une bouteille d'eau de Seltz. La plus belle est un dîner chez des aristocrates le soir du référendum de 1946 : "Monarchie ou république ?" Seul avec son épouse à rester à table après la proclamation des résultats, Sordi se goinfre en faisant fi des bonnes manières tandis que le domestique vient lui remplir sa coupe de champagne.
Il va sans dire que l'une des qualités de ce film à la fois drolatique et poignant est son extrême actualité.
Jean Luc Douin (Le monde)
Ciné classique
dimanche 6 mars
2022 à 17h45
présenté par Jean Pierre Bleys, spécialiste en histoire du cinéma
Soirée organisée dans le cadre de la semaine de cinéma de langue italienne
UNE VIE DIFFICILE
de Dino Risi
avec Alberto Sordi, Léa Massari, Franco Fabrizi
ITALIE - 1961 - 1h59 - VOST - Réédition - Version restaurée 4K
https://www.acaciasfilms.com/film/une-vie-difficile/
A PROPOS
Rien de plus tragique que la cascade (cavalcade, diraient les Italiens) de déboires qui s'abat sur Alberto Sordi dans Une vie difficile, de Dino Risi (1961). Or c'est une comédie, ce que l'on appelle une comédie italienne, d'une part parce qu'on y rit des candeurs du héros, d'autre part parce qu'on y assiste aux mutations politiques, sociales et culturelles du pays. Ce film, qui est peut-être le meilleur de Risi, illustre la fameuse réplique de Nous nous sommes tant aimés, d'Ettore Scola : "Nous voulions changer la société, c'est la société qui nous a changés."
Silvio est un étudiant idéaliste, qui, pendant la guerre, rejoint la Résistance. Risi a choisi de le faire incarner par Alberto Sordi, extraordinaire acteur au mieux de sa forme qui, dans la tradition de la commedia dell'arte, représente d'ordinaire l'Arlequin, le poltron, hâbleur, velléitaire. Or, ici, c'est un personnage d'idéaliste tenace qui lui est confié, celui du type qui refuse les compromis. Il n'en est pas moins fidèle à son art de la combine et, traqué par les fascistes, se retrouve pendant trois mois choyé dans un vieux moulin, entouré de salamis et enlacé par la jeune Elena (Lea Massari), qu'il finira par épouser après la Libération, alors qu'il est devenu journaliste de gauche.
Une vie difficile dépeint les désillusions de ce citoyen intègre, de la guerre au début des années 1960, et, parallèlement, les problèmes de l'Italie jusqu'au boom économique. C'est le portrait d'un pur, dénué du "sens des réalités", dit son patron, qui va tout perdre par fidélité à ses idéaux. Abandonné par sa femme, petite-bourgeoise provinciale fascinée par le mythe de la réussite, qui voudrait le voir plus opportuniste. Trahi par ses concitoyens, tous peu à peu gagnés par la philosophie du bien-être et convertis au carriérisme, à la prudence, à l'égoïsme, la crainte de la censure, le paraître, la corruption.
Le voilà en prison à cause de ses articles sulfureux, bientôt fauché, chômeur, refusant toujours de lâcher le moindre lest, sans famille, tentant vainement de publier un roman ou de vendre un scénario à Cinecitta, avant de se résoudre à troquer le duffle-coat pour le costume bien taillé, faire le larbin pour survivre, à frimer en se pavanant comme un mondain riche et célèbre. Jusqu'à l'ultime sursaut...
Cette évocation grinçante des malheurs d'un anticonformiste est rythmée de scènes homériques, parmi lesquelles une audition pour un emploi honorable qui tourne au fiasco, et un gag à répétition à partir de l'art de manier une bouteille d'eau de Seltz. La plus belle est un dîner chez des aristocrates le soir du référendum de 1946 : "Monarchie ou république ?" Seul avec son épouse à rester à table après la proclamation des résultats, Sordi se goinfre en faisant fi des bonnes manières tandis que le domestique vient lui remplir sa coupe de champagne.
Il va sans dire que l'une des qualités de ce film à la fois drolatique et poignant est son extrême actualité.
Jean Luc Douin (Le monde)