ÉVÉNEMENTS ET SÉANCES SPECIALES

A PROPOS
La bourgeoisie est-elle soluble dans l’apprentissage de la maçonnerie ? Tout se passe comme si Enzo le croyait. À 16 ans, ce fils d’une ingénieure et d’un universitaire n’est plus dans le cursus scolaire classique. Il a dit stop aux études, et qu’il voulait exercer au plus vite un travail concret, manuel, utile. Chaque matin, il quitte la très confortable villa familiale avec piscine de La Ciotat pour rejoindre le chantier où des ouvriers le forment et le bizutent à la fois. Ses parents voudraient ne voir qu’une phase dans cette situation qui les désole, mais la mise en scène suggère autre chose : Enzo est filmé comme un corps étranger au sein de l’organisme (une classe sociale et une famille) qui l’a engendré.
Deux séquences sidérantes font vite décoller le propos. Dans la première, le responsable d’Enzo sur le chantier, mécontent de son travail, demande à rencontrer les parents du garçon. Or, arrivé à la villa, il perd son assurance et son autorité, intimidé par le niveau de vie de son apprenti, qu’il n’avait pas imaginé un instant. Plus tard, en voiture avec sa mère, Enzo demande à celle-ci, avec une étrange froideur, combien elle gagne. Et insiste jusqu’à obtenir une réponse précise. Informulée dans la quasi-totalité des fictions françaises, cette question pourtant simple, politique et presque philosophique, semble soudain venue d’ailleurs.
L’admiration émue que l’on éprouve devant l’ultime film de Laurent Cantet (mort le 25 avril 2024) tient à sa force intrinsèque, mais aussi aux conditions de sa fabrication — coécrit avec Robin Campillo, fidèle coscénariste, il a été finalement réalisé par ce dernier. Et ces deux aspects ont partie liée. On se souvient de la réplique cinglante qui concluait Ressources humaines (1999), premier long métrage de Cantet : « Et toi, elle est où, ta place ? » L’interrogation a hanté, ensuite, toute la filmographie du cinéaste.
Enzo, comme en exil chez lui, se rapproche ainsi d’un ouvrier ukrainien, Vlad, son mentor officieux sur le chantier — à qui il demande pourquoi il n’est pas sur le front plutôt qu’en France… Mais bientôt, affleure une autre facette de ce lien, le désir homosexuel d’Enzo pour Vlad : une dimension totalement absente de l’œuvre de Cantet, mais omniprésente chez Robin Campillo, le réalisateur de 120 Battements par minute… En somme, on assiste à la fusion rare et harmonieuse de deux univers.
Ni crise d’adolescence ni coming out, mais refus d’une certaine reproduction sociale, le moment traversé par Enzo (Eloy Pohu, une révélation) est d’autant plus troublant que ses parents (vibrants Élodie Bouchez et Pierfrancesco Favino) demeurent exemplaires d’empathie et de douceur. La mère semble anticiper les pensées de son fils, le père ramasse son linge sale et ses affaires avec humilité… Les échanges et confrontations s’enchaînent, les événements se précipitent, le tragique s’en mêle, mais un mystère demeure : le ressenti de la jeunesse face à la société et au monde contemporains. Dans ce beau film d’adieu, d’initiation, de passation, la recherche d’un élan à soi, d’un idéal, ou seulement d’une alternative, prend une tournure incandescente et marquante.
Louis Guichard (Télérama)
Ciné Cosy
vendredi 27 juin
à 13h15
Séance adaptée aux parents avec leur bébé, avec son adouci, mise à disposition d'une table à langer, d'un chauffe biberon...
Soirée organisée avec Cinéma Parlant
ENZO
de Laurent Cantet & Robin Campillo
Avec Eloy Pohu, Pierfrancesco Favino, Élodie Bouchez
FRANCE - 2025 - 1h42 - Cannes 2025
Enzo, 16 ans, est apprenti maçon à La Ciotat. Pressé par son père qui le voyait faire des études supérieures, le jeune homme cherche à échapper au cadre confortable mais étouffant de la villa familiale. C'est sur les chantiers, au contact de Vlad, un collègue ukrainien, qu'Enzo va entrevoir un nouvel horizon.
https://www.advitamdistribution.com/films/enzo/
A PROPOS
La bourgeoisie est-elle soluble dans l’apprentissage de la maçonnerie ? Tout se passe comme si Enzo le croyait. À 16 ans, ce fils d’une ingénieure et d’un universitaire n’est plus dans le cursus scolaire classique. Il a dit stop aux études, et qu’il voulait exercer au plus vite un travail concret, manuel, utile. Chaque matin, il quitte la très confortable villa familiale avec piscine de La Ciotat pour rejoindre le chantier où des ouvriers le forment et le bizutent à la fois. Ses parents voudraient ne voir qu’une phase dans cette situation qui les désole, mais la mise en scène suggère autre chose : Enzo est filmé comme un corps étranger au sein de l’organisme (une classe sociale et une famille) qui l’a engendré.
Deux séquences sidérantes font vite décoller le propos. Dans la première, le responsable d’Enzo sur le chantier, mécontent de son travail, demande à rencontrer les parents du garçon. Or, arrivé à la villa, il perd son assurance et son autorité, intimidé par le niveau de vie de son apprenti, qu’il n’avait pas imaginé un instant. Plus tard, en voiture avec sa mère, Enzo demande à celle-ci, avec une étrange froideur, combien elle gagne. Et insiste jusqu’à obtenir une réponse précise. Informulée dans la quasi-totalité des fictions françaises, cette question pourtant simple, politique et presque philosophique, semble soudain venue d’ailleurs.
L’admiration émue que l’on éprouve devant l’ultime film de Laurent Cantet (mort le 25 avril 2024) tient à sa force intrinsèque, mais aussi aux conditions de sa fabrication — coécrit avec Robin Campillo, fidèle coscénariste, il a été finalement réalisé par ce dernier. Et ces deux aspects ont partie liée. On se souvient de la réplique cinglante qui concluait Ressources humaines (1999), premier long métrage de Cantet : « Et toi, elle est où, ta place ? » L’interrogation a hanté, ensuite, toute la filmographie du cinéaste.
Enzo, comme en exil chez lui, se rapproche ainsi d’un ouvrier ukrainien, Vlad, son mentor officieux sur le chantier — à qui il demande pourquoi il n’est pas sur le front plutôt qu’en France… Mais bientôt, affleure une autre facette de ce lien, le désir homosexuel d’Enzo pour Vlad : une dimension totalement absente de l’œuvre de Cantet, mais omniprésente chez Robin Campillo, le réalisateur de 120 Battements par minute… En somme, on assiste à la fusion rare et harmonieuse de deux univers.
Ni crise d’adolescence ni coming out, mais refus d’une certaine reproduction sociale, le moment traversé par Enzo (Eloy Pohu, une révélation) est d’autant plus troublant que ses parents (vibrants Élodie Bouchez et Pierfrancesco Favino) demeurent exemplaires d’empathie et de douceur. La mère semble anticiper les pensées de son fils, le père ramasse son linge sale et ses affaires avec humilité… Les échanges et confrontations s’enchaînent, les événements se précipitent, le tragique s’en mêle, mais un mystère demeure : le ressenti de la jeunesse face à la société et au monde contemporains. Dans ce beau film d’adieu, d’initiation, de passation, la recherche d’un élan à soi, d’un idéal, ou seulement d’une alternative, prend une tournure incandescente et marquante.
Louis Guichard (Télérama)