ÉVÉNEMENTS ET SÉANCES SPECIALES

A PROPOS
On ne peut pas vraiment dire que le cinéma francophone subisse actuellement une pénurie de films sur le milieu hospitalier. Rien que de dans le domaine du documentaire, les exemples récents sont nombreux et de qualité (Notre corps, État limite, Sur l’Adamant…). Mais le portrait sociologique de ce monde-là est-il vraiment le sujet exact de Sauve qui peut ? Celles et ceux qui avaient eu la chance de voir Sans frapper, l’intrigant premier documentaire d’Alexe Poukine, savent déjà que la réalisatrice possède le talent de choisir des angles inattendus. De fait, Sauve qui peut n’est pas juste un reportage de plus sur ce métier, il s’y trame quelque chose de plus singulier.
Tout commence par un exercice, des jeux de rôles où des apprentis soignants s’entrainent à délivrer des pronostics graves ou délicats. De cancers avancés en soins palliatifs, ces situations imaginaires ne sont pas propices à la rigolade, mais Alexe Poukine capte néanmoins le côté étonnamment décomplexé de ces improvisation sur le vif (on bafouille, on sourit au mauvais moment), quitte à filmer les professeurs se moquer gentiment en cachette du manque de tact de leurs élèves. Tout immergé dans cet espace de formation où tout le monde joue à être un autre, Sauve qui peut ne manque pas de ludisme. Voir une jeune ostéopathe composer avec un faux-dragueur relou où un jeune homme timide peiner à interroger une dame âgée sur sa vie sexuelle ne manque pas de sel.
Alexe Poukine n’offre ni voix off ni commentaires supplémentaires à ces scènes-là. Comme dans Sans frapper, elle nous laisse profiter du léger vertige qu’il y a à se demander si ce à quoi on assiste est réel ou joué. Et lorsque l’on pourrait commencer à craindre d’avoir fait le tour de ce dispositif, elle vient justement élargir le sujet du film. On ne le découvre que progressivement, mais les personnes interprétant des patients dans ces exercices sont également des professionnels du milieu hospitalier. Ces hommes et ces femmes ont d’abord toute l’assurance distanciée et le sourire en coin de qui a déjà vécu tout ça « pour de vrai », mais ce que Sauve qui peut parvient à capter et mettre en scène, c’est comment la souffrance jouée finit par révéler une souffrance réelle qui n’aurait pas eu l’occasion de s’exprimer autrement.
Le film laisse peu à peu de côté les étudiants candides ou vaillants, et se concentre sur celles et ceux qui ont passé des décennies à prendre soin de la souffrance des autres sans avoir nécessairement l’espace pour exprimer la leur. Et paradoxalement, ce sont ces derniers qui se retrouvent plus chamboulés par ces scénarios que les adolescents en formation. Sauve qui peut devient alors autant un documentaire sur la souffrance du milieu hospitalier, lui-même maltraité par les pouvoirs publics, qu’un film sur la vertu thérapeutique du jeu de rôle. Qu’elle soit inventée ou artificielle, la parole est ici le premier des médicaments.
Gregory Coutaut (Le polyester)
Ciné Doc
jeudi 12 juin
à 20h00
suivi d'une rencontre avec Bruno Savarit, retraité, ancien directeur d’IFAS et Martine Guillemin, infirmière formatrice
Soirée organisée en collaboration avec ATTAC 49
SAUVE QUI PEUT
de Alexe Poukine
Documentaire
BELGIQUE - FRANCE - SUISSE - 2023 - 1h38
À l’hôpital, soignants et soignantes interrogent leur pratique lors d’ateliers de simulation avec des comédiens. Pour annoncer un cancer ou accompagner ses proches, l’empathie avec le patient se travaille. Mais l’idéal relationnel prôné en formation est-il applicable dans un système hospitalier de plus en plus à bout de force ? Peu à peu, la simulation devient un exutoire aux malaises qui rongent l’institution…
https://singularisfilms.fr/sauve-qui-peut/
A PROPOS
On ne peut pas vraiment dire que le cinéma francophone subisse actuellement une pénurie de films sur le milieu hospitalier. Rien que de dans le domaine du documentaire, les exemples récents sont nombreux et de qualité (Notre corps, État limite, Sur l’Adamant…). Mais le portrait sociologique de ce monde-là est-il vraiment le sujet exact de Sauve qui peut ? Celles et ceux qui avaient eu la chance de voir Sans frapper, l’intrigant premier documentaire d’Alexe Poukine, savent déjà que la réalisatrice possède le talent de choisir des angles inattendus. De fait, Sauve qui peut n’est pas juste un reportage de plus sur ce métier, il s’y trame quelque chose de plus singulier.
Tout commence par un exercice, des jeux de rôles où des apprentis soignants s’entrainent à délivrer des pronostics graves ou délicats. De cancers avancés en soins palliatifs, ces situations imaginaires ne sont pas propices à la rigolade, mais Alexe Poukine capte néanmoins le côté étonnamment décomplexé de ces improvisation sur le vif (on bafouille, on sourit au mauvais moment), quitte à filmer les professeurs se moquer gentiment en cachette du manque de tact de leurs élèves. Tout immergé dans cet espace de formation où tout le monde joue à être un autre, Sauve qui peut ne manque pas de ludisme. Voir une jeune ostéopathe composer avec un faux-dragueur relou où un jeune homme timide peiner à interroger une dame âgée sur sa vie sexuelle ne manque pas de sel.
Alexe Poukine n’offre ni voix off ni commentaires supplémentaires à ces scènes-là. Comme dans Sans frapper, elle nous laisse profiter du léger vertige qu’il y a à se demander si ce à quoi on assiste est réel ou joué. Et lorsque l’on pourrait commencer à craindre d’avoir fait le tour de ce dispositif, elle vient justement élargir le sujet du film. On ne le découvre que progressivement, mais les personnes interprétant des patients dans ces exercices sont également des professionnels du milieu hospitalier. Ces hommes et ces femmes ont d’abord toute l’assurance distanciée et le sourire en coin de qui a déjà vécu tout ça « pour de vrai », mais ce que Sauve qui peut parvient à capter et mettre en scène, c’est comment la souffrance jouée finit par révéler une souffrance réelle qui n’aurait pas eu l’occasion de s’exprimer autrement.
Le film laisse peu à peu de côté les étudiants candides ou vaillants, et se concentre sur celles et ceux qui ont passé des décennies à prendre soin de la souffrance des autres sans avoir nécessairement l’espace pour exprimer la leur. Et paradoxalement, ce sont ces derniers qui se retrouvent plus chamboulés par ces scénarios que les adolescents en formation. Sauve qui peut devient alors autant un documentaire sur la souffrance du milieu hospitalier, lui-même maltraité par les pouvoirs publics, qu’un film sur la vertu thérapeutique du jeu de rôle. Qu’elle soit inventée ou artificielle, la parole est ici le premier des médicaments.
Gregory Coutaut (Le polyester)