ÉVÉNEMENTS ET SÉANCES SPECIALES

A PROPOS
« J’ai tué François Raulhac et je viens me constituer prisonnier. » Le regard de Bruno Reidal fait, à la fois, froid dans le dos et reflète une intelligence particulière. Le cinéaste français, Vincent Le Port, décide d’ouvrir son premier long-métrage par le gros plan du visage de Bruno en train de couper la tête du jeune François. Le regard est rongé par un désir, un impétueux désir.
Inspiré d’un fait divers arrivé dans le Cantal en 1905, l’histoire de ce jeune meurtrier fascine. Bruno Reidal a, par ailleurs, laissé derrière lui ses mémoires dans lesquels il explique, avec un talent littéraire certain, sa vie. Cette histoire de meurtrier révèle l’attrait de notre société pour les assassins. À travers une mise en scène sobre et réaliste, Bruno Reidal nous place face à notre obsession macabre de comprendre ce que pensent et ressentent les criminels. C’est d’ailleurs pour cette raison que trois criminologues lui demandent d’écrire son histoire. Ils pensent qu’à travers ses mots, ses paroles, ils pourront lire la folie, la maladie qui ronge cet être dérangé qui a commis l’impensable.
Le dispositif du long-métrage est assez simple. Nous sommes dans une prison à côté du jeune homme et trois hommes l’interrogent dans une salle grise. Quand il n’est pas questionné, Bruno Reidal couche sur le papier son histoire que nous entendons en voix off et l’image nous la montre. Littéraire, la mise en scène vient illustrer et apporter une compréhension plus intime du meurtrier. Sans effets superflus ni musique ostentatoire, le récit se déroule. Pour incarner Bruno Reidal, trois acteurs se succèdent. Dimitri Doré, dont il s’agit du premier film, l’interprète dans la dernière partie de sa vie, prête son physique et sa voix avec justesse. Délicat et sensible, il donne vie à un personnage trouble, dont les motivations et désirs sont ambigus.
Intelligent et capable d’étudier, le jeune homme comprend la différence entre le bien et le mal et se destine au séminaire. Il retrace le parcours de sa famille pauvre, présente ses frères et sœurs, explique son talent à l’école. Rapidement, dès l’âge de six ans, il commence à avoir des pensées de meurtre sur de jeunes camarades. Il parle de son besoin de posséder ses futures victimes, du fantasme de planter dans la chair un objet (couteau ou stylo), du besoin de venir à bout de sa souffrance. La souffrance de ne pas pouvoir agir, de se battre sans cesse contre soi-même, de ne pouvoir en parler à personne. Le cinéaste ne tire jamais de conclusion des écrits de Bruno Reidal. Il laisse, au contraire, la parole du jeune homme nous envahir, nous permettre de saisir des détails, des subtilités. Il est impossible de le comprendre, mais en le respectant, Vincent Le Port permet aussi de montrer une autre image du meurtrier sanguinaire et violent qu’ont décrit les journaux de l’époque, mais également de défaire l’image d’Épinal des meurtriers. Le cinéaste, par ailleurs, décide d’écarter certains éléments qui constituent le dossier autour de l’affaire — l’alcoolisme des parents, la violence de la mère — pour ne pas laisser penser que son cas est simplement dû au déterminisme social. La part irrationnelle du jeune homme aurait été effacée et surtout réduite.
En explorant l’enfance, la famille, l’instruction et la lutte contre les pulsions de Bruno se dessinent aussi en filigrane le portrait d’une époque faite de contraintes et de soumissions. L’éducation religieuse lui instaure des bases et des limites à sa vie. Quand il parle de son envie de lutter, d’être bon, la religion a une place centrale. C’est grâce à elle dans un premier temps qu’il combat ses pulsions sexuelles et meurtrières. Mais c’est également à cause d’elle qu’il pense que tuer une fois est moins dangereux pour le salut de son âme que de se masturber tous les jours. Le suicide auquel il songe régulièrement pour s’empêcher de souffrir lui semble aussi une option envisageable, mais là encore condamnable. Il est prisonnier d’un corps et d’une époque qui l’entravent.
Bruno Reidal est un film passionnant et puissant sur un jeune homme qui a lutté toute sa vie contre son instinct meurtrier. Avec brutalité, mais sans jamais tomber dans le gore, cette première œuvre de Vincent Le Port explore l’âme humaine avec pertinence et justesse.
Marine Moutot (cinephantasmagory.com)
Cinéma et psychanalyse
lundi 28 mars
2022 à 20h00
En présence de Dominique Fraboulet et Gérard Seyeux, psychanalystes
BRUNO REIDAL, CONFESSION D'UN MEURTRIER
de Vincent Le Port
avec Dimitri Doré, Jean-Luc Vincent, Roman Villedieu
FRANCE - 2021 - 1h41 - Prix d'interprétation masculine Festival Premiers Plans Angers 2022
1er septembre 1905. Un séminariste de 17 ans est arrêté pour le meurtre d'un enfant de 12 ans. Pour comprendre son geste, des médecins lui demandent de relater sa vie depuis son enfance jusqu'au jour du crime. D'après l'histoire vraie de Bruno Reidal, jeune paysan du Cantal qui, toute sa vie, lutta contre ses pulsions meurtrières.
Il ne s’agit pas d’une fiction mais bien d’un fait divers qui a eu lieu dans le Cantal en 1905 : le meurtre par décollation d’un de ses camarades, perpétré par un jeune séminariste lors de son retour à la ferme à l’occasion des vacances d’été. Vincent Le Port en fait le sujet de son premier long métrage. Bruno Reidal est le pseudonyme attribué par le professeur de criminologie Lacassagne qui le reçoit en prison et recueillera ses confessions. Vincent Le Port nous livre en voix off les phrases de ces écrits qu’il a rigoureusement sélectionnées et que le corps des acteurs souligne dans un jeu très précis sous l’œil du cinéaste. Le sombre contraste avec la lumière des paysages bucoliques. De l’enfance de Bruno Reidal et de ce qui fit effraction, de son apaisement au petit séminaire jusqu’au débordement et au crime puis à la prison où il s’est constitué prisonnier, le réalisateur en extrait autant d’éléments qui ne font pas interprétation mais indices. Pouvons-nous dès lors cerner la logique du passage à l’acte et nous dégager de la fascination qu’exerce sur nous l’énigme du crime ?
C. Baillou (l’Association de la Cause Freudienne à Angers)
A PROPOS
« J’ai tué François Raulhac et je viens me constituer prisonnier. » Le regard de Bruno Reidal fait, à la fois, froid dans le dos et reflète une intelligence particulière. Le cinéaste français, Vincent Le Port, décide d’ouvrir son premier long-métrage par le gros plan du visage de Bruno en train de couper la tête du jeune François. Le regard est rongé par un désir, un impétueux désir.
Inspiré d’un fait divers arrivé dans le Cantal en 1905, l’histoire de ce jeune meurtrier fascine. Bruno Reidal a, par ailleurs, laissé derrière lui ses mémoires dans lesquels il explique, avec un talent littéraire certain, sa vie. Cette histoire de meurtrier révèle l’attrait de notre société pour les assassins. À travers une mise en scène sobre et réaliste, Bruno Reidal nous place face à notre obsession macabre de comprendre ce que pensent et ressentent les criminels. C’est d’ailleurs pour cette raison que trois criminologues lui demandent d’écrire son histoire. Ils pensent qu’à travers ses mots, ses paroles, ils pourront lire la folie, la maladie qui ronge cet être dérangé qui a commis l’impensable.
Le dispositif du long-métrage est assez simple. Nous sommes dans une prison à côté du jeune homme et trois hommes l’interrogent dans une salle grise. Quand il n’est pas questionné, Bruno Reidal couche sur le papier son histoire que nous entendons en voix off et l’image nous la montre. Littéraire, la mise en scène vient illustrer et apporter une compréhension plus intime du meurtrier. Sans effets superflus ni musique ostentatoire, le récit se déroule. Pour incarner Bruno Reidal, trois acteurs se succèdent. Dimitri Doré, dont il s’agit du premier film, l’interprète dans la dernière partie de sa vie, prête son physique et sa voix avec justesse. Délicat et sensible, il donne vie à un personnage trouble, dont les motivations et désirs sont ambigus.
Intelligent et capable d’étudier, le jeune homme comprend la différence entre le bien et le mal et se destine au séminaire. Il retrace le parcours de sa famille pauvre, présente ses frères et sœurs, explique son talent à l’école. Rapidement, dès l’âge de six ans, il commence à avoir des pensées de meurtre sur de jeunes camarades. Il parle de son besoin de posséder ses futures victimes, du fantasme de planter dans la chair un objet (couteau ou stylo), du besoin de venir à bout de sa souffrance. La souffrance de ne pas pouvoir agir, de se battre sans cesse contre soi-même, de ne pouvoir en parler à personne. Le cinéaste ne tire jamais de conclusion des écrits de Bruno Reidal. Il laisse, au contraire, la parole du jeune homme nous envahir, nous permettre de saisir des détails, des subtilités. Il est impossible de le comprendre, mais en le respectant, Vincent Le Port permet aussi de montrer une autre image du meurtrier sanguinaire et violent qu’ont décrit les journaux de l’époque, mais également de défaire l’image d’Épinal des meurtriers. Le cinéaste, par ailleurs, décide d’écarter certains éléments qui constituent le dossier autour de l’affaire — l’alcoolisme des parents, la violence de la mère — pour ne pas laisser penser que son cas est simplement dû au déterminisme social. La part irrationnelle du jeune homme aurait été effacée et surtout réduite.
En explorant l’enfance, la famille, l’instruction et la lutte contre les pulsions de Bruno se dessinent aussi en filigrane le portrait d’une époque faite de contraintes et de soumissions. L’éducation religieuse lui instaure des bases et des limites à sa vie. Quand il parle de son envie de lutter, d’être bon, la religion a une place centrale. C’est grâce à elle dans un premier temps qu’il combat ses pulsions sexuelles et meurtrières. Mais c’est également à cause d’elle qu’il pense que tuer une fois est moins dangereux pour le salut de son âme que de se masturber tous les jours. Le suicide auquel il songe régulièrement pour s’empêcher de souffrir lui semble aussi une option envisageable, mais là encore condamnable. Il est prisonnier d’un corps et d’une époque qui l’entravent.
Bruno Reidal est un film passionnant et puissant sur un jeune homme qui a lutté toute sa vie contre son instinct meurtrier. Avec brutalité, mais sans jamais tomber dans le gore, cette première œuvre de Vincent Le Port explore l’âme humaine avec pertinence et justesse.
Marine Moutot (cinephantasmagory.com)