ÉVÉNEMENTS ET SÉANCES SPECIALES

A PROPOS
Deux hommes ont enlevé un petit garçon. L'alerte est déclenchée, toutes les polices sont à leurs trousses. Sauf que, dans la nuit profonde des petites routes américaines, où les fuyards circulent tous feux éteints, rien n'est ce qu'il paraît. Pourquoi le gamin, Alton, cache-t-il son regard derrière de curieuses lunettes noires ? Et surtout, pourquoi n'a-t-il pas peur de ses ravisseurs ? Presque tout de suite, on comprend que Roy, l'un d'entre eux, fébrile mais déterminé, est son père. Pendant que l'enquête du FBI progresse (en tête, un Adam Driver à la fois perspicace et lunaire), d'autres gens se lancent dans la traque : les membres de la secte religieuse où vivait le petit Alton.
Drôle de cavale, où la mélancolie le dispute à l'action. De motels crépusculaires en cascades sur le bitume, Jeff Nichols joue sur tous les tableaux : la complexité des sentiments, autant que le vertige du spectacle. Du plus délicat au plus fracassant, des demi-teintes et demi-mots du cinéma indépendant au surgissement démesuré du merveilleux, ce film atypique change peu à peu de registre et d'ampleur : c'est une incursion très personnelle sur les terres de la science-fiction. L'enfant a des pouvoirs. Il est hanté par une force surnaturelle, écho d'un ailleurs inconnu, vers lequel le récit roule à tombeau ouvert. Pour son quatrième long métrage, le réalisateur joue avec les codes du genre, emprunte ses voies rapides — suspense, hypothèses et révélations — et ses chemins oubliés — effets spéciaux un peu « vintage », volontairement artisanaux, presque bricolo, hommage à la SF des années 70-80.
Mais, au-delà des explosions de lumière, des secousses telluriques et autres bizarreries ébouriffantes — ne pas manquer l'extraordinaire chute d'un satellite sur une station-service —, Jeff Nichols poursuit les mêmes thèmes. Où l'on retrouve son acteur fétiche, le poignant et sourcilleux Michael Shannon dans le rôle du père, mais aussi ses obsessions. Comme dans Take shelter, il est question de l'amour filial, ce gouffre d'angoisses, et d'un père de famille face à la nécessité de laisser son enfant s'émanciper, malgré la violence du monde. Comme avec Matthew McConaughey, le héros idéaliste et marginal de Mud, le cinéaste fait aussi la part belle à la foi, poétique, totale, insensée. Les parents d'Alton (Kirsten Dunst, tout en retenue, joue la mère, embarquée en chemin), les membres de la secte, et même la police, tous courent vers quelque chose qui les dépasse, qui nous dépasse.
Ne comptez pas
sur Jeff Nichols pour dévoiler la totalité du mystère. Il l'a voulu trop
grand pour ses personnages, largement ouvert à l'imagination de ses
spectateurs. C'est à la fois passionnant — une espèce d'ode fervente et
douloureuse à l'inconnu — et presque naïf, dans la vision finale
grandiose et clinquante d'un autre monde. Un mélange de toc et de
rêveuse exaltation qui rappelle à dessein un grand classique du genre
signé Spielberg, Rencontres du troisième type. — Cécile Mury (Télérama)
Soirée Road Movies
lundi 12 septembre
2016 à 20h00
20h : MIDNIGHT SPECIAL de Jeff Nichols
22h15 : PRINCE OF TEXAS de David Gordon Green
Tarif spécial soirée : 9€ les 2 films sinon tarifs habituels
Soirée organisée en collaboration avec l'association Premiers Plans et Austin Film Society
MIDNIGHT SPECIAL
de Jeff Nichols
avec Michael Shannon, Jaeden Lieberher, Joel Edgerton
USA - 2016 - 1h51 - VOST
Alton, 8 ans et séquestré pendant deux ans dans une communauté sectaire,
est enlevé par son père. L'enfant a des pouvoirs extraordinaires qu'il a
du mal à maîtriser. Il ne peut pas être exposé à la lumière du jour,
car il est pris de convulsions aux effets dévastateurs. Ses yeux lancent
alors des faisceaux lumineux destructeurs. Roy, son père, veut le
mettre à l'abri et découvre que l'enfant est chargée d'une mission.
Accompagné de Lucas, un policier et ami d'enfance, et de Sarah, la mère
de son fils, il tente d'échapper aux autorités qui les pourchassent dans
tout le pays. Alton découvre que son destin ne lui appartient plus..
https://www.facebook.com/Midnight-Special-Movie-156333801404664/?fref=ts
A PROPOS
Deux hommes ont enlevé un petit garçon. L'alerte est déclenchée, toutes les polices sont à leurs trousses. Sauf que, dans la nuit profonde des petites routes américaines, où les fuyards circulent tous feux éteints, rien n'est ce qu'il paraît. Pourquoi le gamin, Alton, cache-t-il son regard derrière de curieuses lunettes noires ? Et surtout, pourquoi n'a-t-il pas peur de ses ravisseurs ? Presque tout de suite, on comprend que Roy, l'un d'entre eux, fébrile mais déterminé, est son père. Pendant que l'enquête du FBI progresse (en tête, un Adam Driver à la fois perspicace et lunaire), d'autres gens se lancent dans la traque : les membres de la secte religieuse où vivait le petit Alton.
Drôle de cavale, où la mélancolie le dispute à l'action. De motels crépusculaires en cascades sur le bitume, Jeff Nichols joue sur tous les tableaux : la complexité des sentiments, autant que le vertige du spectacle. Du plus délicat au plus fracassant, des demi-teintes et demi-mots du cinéma indépendant au surgissement démesuré du merveilleux, ce film atypique change peu à peu de registre et d'ampleur : c'est une incursion très personnelle sur les terres de la science-fiction. L'enfant a des pouvoirs. Il est hanté par une force surnaturelle, écho d'un ailleurs inconnu, vers lequel le récit roule à tombeau ouvert. Pour son quatrième long métrage, le réalisateur joue avec les codes du genre, emprunte ses voies rapides — suspense, hypothèses et révélations — et ses chemins oubliés — effets spéciaux un peu « vintage », volontairement artisanaux, presque bricolo, hommage à la SF des années 70-80.
Mais, au-delà des explosions de lumière, des secousses telluriques et autres bizarreries ébouriffantes — ne pas manquer l'extraordinaire chute d'un satellite sur une station-service —, Jeff Nichols poursuit les mêmes thèmes. Où l'on retrouve son acteur fétiche, le poignant et sourcilleux Michael Shannon dans le rôle du père, mais aussi ses obsessions. Comme dans Take shelter, il est question de l'amour filial, ce gouffre d'angoisses, et d'un père de famille face à la nécessité de laisser son enfant s'émanciper, malgré la violence du monde. Comme avec Matthew McConaughey, le héros idéaliste et marginal de Mud, le cinéaste fait aussi la part belle à la foi, poétique, totale, insensée. Les parents d'Alton (Kirsten Dunst, tout en retenue, joue la mère, embarquée en chemin), les membres de la secte, et même la police, tous courent vers quelque chose qui les dépasse, qui nous dépasse.
Ne comptez pas
sur Jeff Nichols pour dévoiler la totalité du mystère. Il l'a voulu trop
grand pour ses personnages, largement ouvert à l'imagination de ses
spectateurs. C'est à la fois passionnant — une espèce d'ode fervente et
douloureuse à l'inconnu — et presque naïf, dans la vision finale
grandiose et clinquante d'un autre monde. Un mélange de toc et de
rêveuse exaltation qui rappelle à dessein un grand classique du genre
signé Spielberg, Rencontres du troisième type. — Cécile Mury (Télérama)

A PROPOS
Dans "Prince of Texas", deux ouvriers (Emile Hirsch et Paul Rudd) repeignent les lignes d'une route dévastée par un incendie.
D'abord il y a le feu. Un feu de forêt terrible, intense et magnifique. Ce feu dans lequel s'ouvre Prince of Texas, le très beau et très étrange film de David Gordon Green, ravagea, nous dit un carton, 43 000 acres de terre aux Etats-Unis en 1987, détruisit 1 600 maisons, fit 4 morts. L'action se passe après, dans cette même forêt, dont la chatoyante et splendide robe automnale est striée de lignes noires formées par les troncs d'arbres calcinés, trouée par les ruines d'anciennes habitations tapissées de cendres, hantée par de gentils fantômes… Lance et Alvin, deux types aussi paumés l'un que l'autre, missionnés pour reconstruire la route qui la traverse, sont condamnés pour la durée du film à partager leurs solitudes respectives.
Prince Avalanche, le titre américain, reflète mieux la poésie baroque du film. Il fait écho, en outre, à son programme écologique, vaste catégorie récemment mise au jour par une programmation thématique du Festival de La Roche-sur-Yon, qui renvoie à tout un pan du cinéma actuel, à Gravity, par exemple, le film d'Alfonso Cuaron, dont la mise en scène donne forme aux thématiques écologiques suggérées par le scénario. Prince of Texas est écologique en tant qu'il part d'une situation de terre brûlée –– une terre réellement brûlée, et deux personnages symboliquement cramés… –– et enregistre patiemment la manière dont les cendres vont sédimenter, fertiliser la terre, et s'articuler selon toutes sortes de combinatoires pour nourrir un nouveau cycle de vie.
Comme Gravity, Prince of Texas se déroule dans un décor unique, que l'auteur poétise par des échappées élégiaques grisantes, tendant parfois à l'abstraction, et dans lequel évoluent deux personnages isolés –– ils en croiseront deux autres, à de brèves reprises, mais rien ne dit que ceux-ci sont réels. Comme Gravity encore, Prince of Texas invente une forme hybride nouvelle, qui semble embrasser toutes les voix de son auteur, cinéaste aussi à l'aise dans la méditation mélancolique (George Washington, L'Autre Rive) que dans le burlesque potache (Délire Express, la série télé « Eastbound and Down »…).
Quand on les découvre, seuls au monde dans l'immensité de cette nature majestueuse, Lance et Alvin poussent un petit véhicule à moteur qui dépose sur la route des lignes de marquage au sol d'un jaune solaire. Calé sur la machine, un vieux radiocassette crachouille des leçons d'allemand que Lance interrompt pour les remplacer par une cassette de folk, ce qui lui vaut une volée de bois vert. Certes, ils se sont mis d'accord pour partager la programmation musicale, concède Alvin, mais seulement pendant les heures de repos. Décidé à imposer ses leçons d'allemand pendant le travail, il fait remarquer à son compagnon qu'il lui doit son job –– Alvin le lui a dégotté pour être agréable à sa sœur, dont il est amoureux –– et qu'à ce titre il n'a pas voix au chapitre.
Lance (Emile Hirsch) se comporte comme un adolescent qu'il n'est plus. Il ne pense qu'à faire la fête en ville et à courir les filles, sans souci du lendemain. Alvin (Paul Rudd, qui délaisse pour l'occasion le masque du « guy next door » sous lequel il s'est fait connaître, notamment chez Judd Apatow) n'est guère plus âgé que son compagnon, mais ses manies de vieux garçon psychorigide dans cette forêt où a été effacée toute trace de civilisation le fait paraître infiniment plus vieux. Sous prétexte de mettre de l'argent de côté pour préparer son avenir et le foyer qu'il veut construire avec sa fiancée, il se protège en réalité de la vie, qui le terrifie.
Ces deux inadaptés ont l'un comme l'autre toutes les qualités du pilier de buddy movie (« film de potes »). Mais la tonalité dépressive et contemplative du film sape les fondements du genre. Lequel se régénère en même temps au gré des saillies comiques des personnages, ou encore d'un épisode de biture homérique qui les conduira, après que chacun eut vécu un épisode d'effondrement, à constituer ensemble une tendre et émouvante alliance de losers.
Prince of Texas invente sa propre voix en tissant ensemble des petits blocs de sensations pures, d'émotion muette, un film qui, à la faveur d'une merveilleuse lumière d'automne, d'une bande originale de toute beauté, de la justesse tranquille de ses deux acteurs, de l'amour avec lequel l'auteur filme cette forêt, fait tout tenir ensemble. Un petit miracle.
Isabelle Regnier (Le Monde)
PRINCE OF TEXAS
de David Gordon Green
avec Emile Hirsch, Paul Rudd, Joyce Payne
USA - 2013 - 1h34 - VOST
Eté 1988, Texas. Alvin et Lance travaillent ensemble sur le marquage
d’une route endommagée par un feu de forêt. Tandis que l’un profite des
joies de la nature et des grands espaces, l’autre ne pense qu’aux fêtes
et aux filles…
http://distribution.memento-films.com/film/infos/56
A PROPOS
Dans "Prince of Texas", deux ouvriers (Emile Hirsch et Paul Rudd) repeignent les lignes d'une route dévastée par un incendie.
D'abord il y a le feu. Un feu de forêt terrible, intense et magnifique. Ce feu dans lequel s'ouvre Prince of Texas, le très beau et très étrange film de David Gordon Green, ravagea, nous dit un carton, 43 000 acres de terre aux Etats-Unis en 1987, détruisit 1 600 maisons, fit 4 morts. L'action se passe après, dans cette même forêt, dont la chatoyante et splendide robe automnale est striée de lignes noires formées par les troncs d'arbres calcinés, trouée par les ruines d'anciennes habitations tapissées de cendres, hantée par de gentils fantômes… Lance et Alvin, deux types aussi paumés l'un que l'autre, missionnés pour reconstruire la route qui la traverse, sont condamnés pour la durée du film à partager leurs solitudes respectives.
Prince Avalanche, le titre américain, reflète mieux la poésie baroque du film. Il fait écho, en outre, à son programme écologique, vaste catégorie récemment mise au jour par une programmation thématique du Festival de La Roche-sur-Yon, qui renvoie à tout un pan du cinéma actuel, à Gravity, par exemple, le film d'Alfonso Cuaron, dont la mise en scène donne forme aux thématiques écologiques suggérées par le scénario. Prince of Texas est écologique en tant qu'il part d'une situation de terre brûlée –– une terre réellement brûlée, et deux personnages symboliquement cramés… –– et enregistre patiemment la manière dont les cendres vont sédimenter, fertiliser la terre, et s'articuler selon toutes sortes de combinatoires pour nourrir un nouveau cycle de vie.
Comme Gravity, Prince of Texas se déroule dans un décor unique, que l'auteur poétise par des échappées élégiaques grisantes, tendant parfois à l'abstraction, et dans lequel évoluent deux personnages isolés –– ils en croiseront deux autres, à de brèves reprises, mais rien ne dit que ceux-ci sont réels. Comme Gravity encore, Prince of Texas invente une forme hybride nouvelle, qui semble embrasser toutes les voix de son auteur, cinéaste aussi à l'aise dans la méditation mélancolique (George Washington, L'Autre Rive) que dans le burlesque potache (Délire Express, la série télé « Eastbound and Down »…).
Quand on les découvre, seuls au monde dans l'immensité de cette nature majestueuse, Lance et Alvin poussent un petit véhicule à moteur qui dépose sur la route des lignes de marquage au sol d'un jaune solaire. Calé sur la machine, un vieux radiocassette crachouille des leçons d'allemand que Lance interrompt pour les remplacer par une cassette de folk, ce qui lui vaut une volée de bois vert. Certes, ils se sont mis d'accord pour partager la programmation musicale, concède Alvin, mais seulement pendant les heures de repos. Décidé à imposer ses leçons d'allemand pendant le travail, il fait remarquer à son compagnon qu'il lui doit son job –– Alvin le lui a dégotté pour être agréable à sa sœur, dont il est amoureux –– et qu'à ce titre il n'a pas voix au chapitre.
Lance (Emile Hirsch) se comporte comme un adolescent qu'il n'est plus. Il ne pense qu'à faire la fête en ville et à courir les filles, sans souci du lendemain. Alvin (Paul Rudd, qui délaisse pour l'occasion le masque du « guy next door » sous lequel il s'est fait connaître, notamment chez Judd Apatow) n'est guère plus âgé que son compagnon, mais ses manies de vieux garçon psychorigide dans cette forêt où a été effacée toute trace de civilisation le fait paraître infiniment plus vieux. Sous prétexte de mettre de l'argent de côté pour préparer son avenir et le foyer qu'il veut construire avec sa fiancée, il se protège en réalité de la vie, qui le terrifie.
Ces deux inadaptés ont l'un comme l'autre toutes les qualités du pilier de buddy movie (« film de potes »). Mais la tonalité dépressive et contemplative du film sape les fondements du genre. Lequel se régénère en même temps au gré des saillies comiques des personnages, ou encore d'un épisode de biture homérique qui les conduira, après que chacun eut vécu un épisode d'effondrement, à constituer ensemble une tendre et émouvante alliance de losers.
Prince of Texas invente sa propre voix en tissant ensemble des petits blocs de sensations pures, d'émotion muette, un film qui, à la faveur d'une merveilleuse lumière d'automne, d'une bande originale de toute beauté, de la justesse tranquille de ses deux acteurs, de l'amour avec lequel l'auteur filme cette forêt, fait tout tenir ensemble. Un petit miracle.
Isabelle Regnier (Le Monde)