ÉVÉNEMENTS ET SÉANCES SPECIALES

A PROPOS
Dans ce film captivant sur le procès d’un juif laïc d’extrême gauche, qui fait écho au présent, Cédric Kahn nous assoit à la place complexe des jurés, et souligne les limites de la justice.
À sa manière, Pierre Goldman était une légende. Que les moins de 20 ans ne connaissent sans doute pas. Car ce juif laïc, intellectuel, militant d’extrême gauche, écrivain et braqueur, se rattache surtout à une époque, celle des années 1960 et 1970, où l’idéal d’une révolution était à portée de main et faisait vibrer une masse de personnes. En novembre 1975, s’ouvre à Paris son deuxième procès. Condamné en première instance à la réclusion criminelle à perpétuité pour quatre braquages à main armée, Goldman en reconnaît trois, mais pas le quatrième, ayant entraîné la mort de deux pharmaciennes et pour lequel il clame son innocence. Peu avant ce nouveau procès, retentissant, suivi de près par toute la presse de l’époque, il a écrit un livre à succès, Souvenirs obscurs d’un juif polonais né en France, qui en a fait une figure emblématique de la gauche intellectuelle. Dans le public venu le soutenir, on compte Simone Signoret et Régis Debray, ancien camarade de guérilla en Amérique du Sud.
Tumultueuse, à la fois remarquable et minable, l’existence de ce révolutionnaire devenu mi-flambeur, mi-zonard aurait pu nourrir un biopic romanesque. Cédric Kahn a préféré s’en tenir au compte rendu du procès, restituant ce qui s’y est dit, tout en s’autorisant parfois quelques libertés. Ce qui frappe d’emblée, c’est la verve de l’accusé, son éloquence sèche, nerveuse, sa dialectique fascinante, teintée d’un je-ne-sais-quoi de délirant. Un tribun cinglant et un peu paranoïaque (Arieh Worthalter, formidable d’humanité, de colère et de bile mêlées), qui en veut à la Terre entière et aurait préféré assurer lui-même sa défense. Il fait peu confiance à ses trois avocats, en particulier au déjà réputé Georges Kiejman (ténor du barreau, disparu tout récemment, le 9 mai dernier, et interprété très finement par Arthur Harari), qui est, à ses yeux, un mondain surtout avide de gloire.
Cédric Kahn met en lumière toute la complexité de cet insurgé lucide, qui devance en quelque sorte les jugements qu’on peut porter sur lui, en se livrant à une autoanalyse. Comme un agent double de sa conscience, voire de son inconscience – attrait de l’échec, part suicidaire, etc. On a du mal à le cerner, à savoir s’il est vraiment innocent. Nous voilà à la place très délicate du juré : c’est le choix fort opéré par le réalisateur. Qui montre à la fois la nécessité juste des règles de la justice tout en pointant ses limites, son incapacité à saisir l’indicible de la vérité ou le fait même qu’elle puisse être multiple.
Le Procès Goldman est captivant, passionnant, à plus d’un titre. Comme lecture de cette période bouillonnante, des débats agitant le militantisme d’alors, de ses espoirs, dérives et trahisons. Et comme chambre d’écho saisissante du présent, sur les méfaits de la police, le racisme, l’antisémitisme, la société du spectacle. Quant au passé plus ancien, celui de la Seconde Guerre mondiale, de la Shoah, de la résistance héroïque en France d’immigrés communistes, il est aussi présent dans le film et en constitue sans doute la clef essentielle. Pour mieux appréhender le fiasco d’un révolté assoiffé de pureté, produit d’une Histoire le dépassant, pieds et poings liés à elle.
Jacques Morice (Télérama)
Avant-première / Estival Premiers Plans
samedi 26 août
2023 à 20h00
Présentée et suivie d'une rencontre avec Cédric Kahn, réalisateur
Le film a été présenté en ouverture de la Quinzaine des cinéastes au Festival de Cannes 2023. Le premier long métrage de Cédric Kahn, Bar des rails, a été sélectionné en 1992 en avant-première au Festival Premiers Plans. Il est revenu à Angers en 2019 en tant que président du jury.
Sortie du film le 27 septembre 2023
Séance organisée en partenariat avec le Festival Premiers Plans
LE PROCÈS GOLDMAN
de Cédric Kahn
avec Arieh Worthalter, Arthur Harari, Jeremy Lewin
FRANCE - 2023 - 1h56 - Cannes 2023
https://www.advitamdistribution.com/films/le-proces-goldman/
A PROPOS
Dans ce film captivant sur le procès d’un juif laïc d’extrême gauche, qui fait écho au présent, Cédric Kahn nous assoit à la place complexe des jurés, et souligne les limites de la justice.
À sa manière, Pierre Goldman était une légende. Que les moins de 20 ans ne connaissent sans doute pas. Car ce juif laïc, intellectuel, militant d’extrême gauche, écrivain et braqueur, se rattache surtout à une époque, celle des années 1960 et 1970, où l’idéal d’une révolution était à portée de main et faisait vibrer une masse de personnes. En novembre 1975, s’ouvre à Paris son deuxième procès. Condamné en première instance à la réclusion criminelle à perpétuité pour quatre braquages à main armée, Goldman en reconnaît trois, mais pas le quatrième, ayant entraîné la mort de deux pharmaciennes et pour lequel il clame son innocence. Peu avant ce nouveau procès, retentissant, suivi de près par toute la presse de l’époque, il a écrit un livre à succès, Souvenirs obscurs d’un juif polonais né en France, qui en a fait une figure emblématique de la gauche intellectuelle. Dans le public venu le soutenir, on compte Simone Signoret et Régis Debray, ancien camarade de guérilla en Amérique du Sud.
Tumultueuse, à la fois remarquable et minable, l’existence de ce révolutionnaire devenu mi-flambeur, mi-zonard aurait pu nourrir un biopic romanesque. Cédric Kahn a préféré s’en tenir au compte rendu du procès, restituant ce qui s’y est dit, tout en s’autorisant parfois quelques libertés. Ce qui frappe d’emblée, c’est la verve de l’accusé, son éloquence sèche, nerveuse, sa dialectique fascinante, teintée d’un je-ne-sais-quoi de délirant. Un tribun cinglant et un peu paranoïaque (Arieh Worthalter, formidable d’humanité, de colère et de bile mêlées), qui en veut à la Terre entière et aurait préféré assurer lui-même sa défense. Il fait peu confiance à ses trois avocats, en particulier au déjà réputé Georges Kiejman (ténor du barreau, disparu tout récemment, le 9 mai dernier, et interprété très finement par Arthur Harari), qui est, à ses yeux, un mondain surtout avide de gloire.
Cédric Kahn met en lumière toute la complexité de cet insurgé lucide, qui devance en quelque sorte les jugements qu’on peut porter sur lui, en se livrant à une autoanalyse. Comme un agent double de sa conscience, voire de son inconscience – attrait de l’échec, part suicidaire, etc. On a du mal à le cerner, à savoir s’il est vraiment innocent. Nous voilà à la place très délicate du juré : c’est le choix fort opéré par le réalisateur. Qui montre à la fois la nécessité juste des règles de la justice tout en pointant ses limites, son incapacité à saisir l’indicible de la vérité ou le fait même qu’elle puisse être multiple.
Le Procès Goldman est captivant, passionnant, à plus d’un titre. Comme lecture de cette période bouillonnante, des débats agitant le militantisme d’alors, de ses espoirs, dérives et trahisons. Et comme chambre d’écho saisissante du présent, sur les méfaits de la police, le racisme, l’antisémitisme, la société du spectacle. Quant au passé plus ancien, celui de la Seconde Guerre mondiale, de la Shoah, de la résistance héroïque en France d’immigrés communistes, il est aussi présent dans le film et en constitue sans doute la clef essentielle. Pour mieux appréhender le fiasco d’un révolté assoiffé de pureté, produit d’une Histoire le dépassant, pieds et poings liés à elle.
Jacques Morice (Télérama)