ÉVÉNEMENTS ET SÉANCES SPECIALES

VOYAGE AU PÔLE SUD - Ciné Rencontre - 2024-04-29

Ciné Rencontre - lundi 29 avril à 20h00

VOYAGE AU PÔLE SUD de Luc Jacquet

CASINO - Plans Cultes - 2024-05-14

Plans Cultes - mardi 14 mai à 20h00

CASINO de Martin Scorsese

LE DEUXIÈME ACTE - Avant-première - 2024-05-14

Avant-première - mardi 14 mai à 20h00

LE DEUXIÈME ACTE de Quentin Dupieux

LE DEUXIÈME ACTE - Ciné Cosy - 2024-05-17

Ciné Cosy - vendredi 17 mai à 13h15

LE DEUXIÈME ACTE de Quentin Dupieux

LES CHOSES HUMAINES - Soirée Rencontre - 2024-05-21

Soirée Rencontre - mardi 21 mai à 20h00

LES CHOSES HUMAINES de Yvan Attal

ANGERS, TEXAS : TEN YEARS AFTER - Festival Levitation - 2024-05-25

Festival Levitation - samedi 25 mai à 11h00

ANGERS, TEXAS : TEN YEARS AFTER de Antony Bou

CAROL - Todd Haynes

A PROPOS

Todd Haynes filme souvent des prisons. Morales. Et qu'elles soient luxueuses ne les rend pas forcément moins féroces. Des femmes y sont enfermées, victimes des autres ou d'elles-mêmes, mais victimes, toujours. Dans Loin du paradis (2002), situé, comme Carol, dans les années 1950, l'héroïne, interprétée par Julianne Moore, totalement dévastée par l'homosexualité secrète de son mari, s'éprenait d'un Noir, ce qui en faisait la risée et la honte de son entourage. Le film était un hommage visible à Douglas Sirk et à son style : Todd Haynes y filmait des êtres constamment soumis aux oukases d'une société pudibonde et tyrannique. « Ce que je trouve beau dans les mélos de Sirk, disait-il, c'est l'entrelacs de dépendances entre les personnages. Dès que l'un commet une transgression, cela produit une réaction en chaîne et tout le monde en souffre. Il n'y a pas de méchant. Seuls des désirs humains se heurtent à la rigidité de la société (1) . »

Dans Loin du paradis, Todd Haynes contemplait la souffrance. Dans Carol, il l'éprouve. Il se glisse dans la peau de ses deux héroïnes, il ressent, coup après coup, les épreuves qu'elles traversent. Bref, il redevient lui-même : plus impliqué, plus compassionnel, plus proche d'un autre maître des mélos, Vincente Minnelli, l'auteur de Comme un torrent et de Thé et sympathie. Dans Carol, chaque mouvement de caméra semble trahir un état d'âme. L'écran est parsemé de couleurs vives : les robes rouges et vertes de Cate Blanchett donnent même à la grisaille de New York des airs de comédie musicale. Et puis, entre la psychologie des personnages et l'art se tissent des liens secrets : dans Le Chevalier des sables, l'un des Minnelli les plus beaux et les plus méconnus, Elizabeth Taylor incarnait une artiste qui, par misanthropie et mélancolie, ne peignait que des oiseaux. Chez Todd Haynes, Therese (Rooney Mara), apprentie photographe, se borne elle aussi, mais par peur et timidité, à ne saisir dans son objectif que des ciels, des fenêtres et des portes. C'est en voyant, au loin, Carol acheter un sapin de Noël à sa petite fille qu'elle ose, presque instinctivement, appuyer sur le déclic, voler cet instant indiscret. Chez Haynes comme chez Minnelli, l'art reflète toujours la naissance de l'humain chez ceux qui s'en excluent, mais qui l'acceptent après un périple qui les révèle à eux-mêmes.

Donc, Therese, vendeuse dans un grand magasin de New York, rencontre Carol, grande bourgeoise en train de divorcer d'un mari qui, par vengeance, s'est mis en tête de lui retirer la garde de leur fille. Carol, qui aime les femmes, s'éprend de Therese, au risque de se perdre... « En travail­lant sur le film, a dit Todd Haynes, j'ai relu Fragments d'un discours amoureux, de Roland Barthes. Car le film ne parle que du théâtre fou et solitaire de l'imagination amoureuse. »

C'est dans ce pointillisme exacerbé qu'éclate l'invention du cinéaste : la précision de la lumière qu'il exige de son génial chef opérateur, Ed ­Lachman. Et la minutie avec laquelle il dirige ses actrices. Cate Blanchett joue Carol comme Greta Garbo, jadis : avec une emphase légère, un emportement diffus. Une même extravagance les réunit : Garbo, toujours à la lisière du surjeu dans ses mélos, et Cate Blanchett, au seuil de la déraison en fausse héroïne de Tennessee Williams (dans Blue Jasmine, de Woody Allen) ou en avatar de Bob Dylan (dans I'm not there, de Todd Haynes, déjà). Dans Carol, chaque geste, chaque sourire, chaque silence qui pourraient agacer, tant ils sont maîtrisés, ne font qu'exprimer les efforts de l'actrice à se plier aux destins du personnage. Pour survivre, Carol doit composer. Tricher. Exagérer. Se déguiser. C'est en soulignant constamment l'artifice que Cate Blanchett parvient à être juste et vraie... Rooney Mara, elle, rappelle Audrey Hepburn. La Sabrina de Billy Wilder. Même frange. Même fragilité. Même androgynie. Même désir de s'élever dans l'échelle sociale. Même mépris devant la rouerie de certains êtres (un aimable représentant), lorsqu'elle la découvre...

Durant tout le film — de la première rencontre jusqu'aux dernières secon­des du dénouement —, le cinéaste préfère le chemin qui mène à la passion que la passion elle-même. Et c'est avec la même subtilité qu'il suggère l'éternel poids de l'intolérance sur nos vies. La force du film, c'est de nous faire réaliser qu'en dépit des masques rassurants dont il s'affuble, le moralisme ne cède jamais. Il se cache. Il attend son heure.

(1) Entretien avec Michael Henry, Positif, mars 2003.

Pierre Murat (Télérama)

Ciné Fac
jeudi 1 décembre 2016 à 19h45

présenté par Marie-Anne Lieb, Docteur en Cinéma, formatrice et auteur pour l'Education à l'Image

Tarif étudiant spécial "Cinéfac" : 4.80

Soirée organisée en collaboration avec Cinéma Parlant


CAROL

de Todd Haynes

avec Cate Blanchett, Rooney Mara, Kyle Chandler
USA - 2015 - 1h58 - VOST

Dans le New York des années 1950, Therese, jeune employée d'un grand magasin de Manhattan, fait la connaissance d'une cliente distinguée, Carol, femme séduisante, prisonnière d'un mariage peu heureux. À l'étincelle de la première rencontre succède rapidement un sentiment plus profond. Les deux femmes se retrouvent bientôt prises au piège entre les conventions et leur attirance mutuelle. 
https://www.facebook.com/CarolFilm/?fref=ts

A PROPOS

Todd Haynes filme souvent des prisons. Morales. Et qu'elles soient luxueuses ne les rend pas forcément moins féroces. Des femmes y sont enfermées, victimes des autres ou d'elles-mêmes, mais victimes, toujours. Dans Loin du paradis (2002), situé, comme Carol, dans les années 1950, l'héroïne, interprétée par Julianne Moore, totalement dévastée par l'homosexualité secrète de son mari, s'éprenait d'un Noir, ce qui en faisait la risée et la honte de son entourage. Le film était un hommage visible à Douglas Sirk et à son style : Todd Haynes y filmait des êtres constamment soumis aux oukases d'une société pudibonde et tyrannique. « Ce que je trouve beau dans les mélos de Sirk, disait-il, c'est l'entrelacs de dépendances entre les personnages. Dès que l'un commet une transgression, cela produit une réaction en chaîne et tout le monde en souffre. Il n'y a pas de méchant. Seuls des désirs humains se heurtent à la rigidité de la société (1) . »

Dans Loin du paradis, Todd Haynes contemplait la souffrance. Dans Carol, il l'éprouve. Il se glisse dans la peau de ses deux héroïnes, il ressent, coup après coup, les épreuves qu'elles traversent. Bref, il redevient lui-même : plus impliqué, plus compassionnel, plus proche d'un autre maître des mélos, Vincente Minnelli, l'auteur de Comme un torrent et de Thé et sympathie. Dans Carol, chaque mouvement de caméra semble trahir un état d'âme. L'écran est parsemé de couleurs vives : les robes rouges et vertes de Cate Blanchett donnent même à la grisaille de New York des airs de comédie musicale. Et puis, entre la psychologie des personnages et l'art se tissent des liens secrets : dans Le Chevalier des sables, l'un des Minnelli les plus beaux et les plus méconnus, Elizabeth Taylor incarnait une artiste qui, par misanthropie et mélancolie, ne peignait que des oiseaux. Chez Todd Haynes, Therese (Rooney Mara), apprentie photographe, se borne elle aussi, mais par peur et timidité, à ne saisir dans son objectif que des ciels, des fenêtres et des portes. C'est en voyant, au loin, Carol acheter un sapin de Noël à sa petite fille qu'elle ose, presque instinctivement, appuyer sur le déclic, voler cet instant indiscret. Chez Haynes comme chez Minnelli, l'art reflète toujours la naissance de l'humain chez ceux qui s'en excluent, mais qui l'acceptent après un périple qui les révèle à eux-mêmes.

Donc, Therese, vendeuse dans un grand magasin de New York, rencontre Carol, grande bourgeoise en train de divorcer d'un mari qui, par vengeance, s'est mis en tête de lui retirer la garde de leur fille. Carol, qui aime les femmes, s'éprend de Therese, au risque de se perdre... « En travail­lant sur le film, a dit Todd Haynes, j'ai relu Fragments d'un discours amoureux, de Roland Barthes. Car le film ne parle que du théâtre fou et solitaire de l'imagination amoureuse. »

C'est dans ce pointillisme exacerbé qu'éclate l'invention du cinéaste : la précision de la lumière qu'il exige de son génial chef opérateur, Ed ­Lachman. Et la minutie avec laquelle il dirige ses actrices. Cate Blanchett joue Carol comme Greta Garbo, jadis : avec une emphase légère, un emportement diffus. Une même extravagance les réunit : Garbo, toujours à la lisière du surjeu dans ses mélos, et Cate Blanchett, au seuil de la déraison en fausse héroïne de Tennessee Williams (dans Blue Jasmine, de Woody Allen) ou en avatar de Bob Dylan (dans I'm not there, de Todd Haynes, déjà). Dans Carol, chaque geste, chaque sourire, chaque silence qui pourraient agacer, tant ils sont maîtrisés, ne font qu'exprimer les efforts de l'actrice à se plier aux destins du personnage. Pour survivre, Carol doit composer. Tricher. Exagérer. Se déguiser. C'est en soulignant constamment l'artifice que Cate Blanchett parvient à être juste et vraie... Rooney Mara, elle, rappelle Audrey Hepburn. La Sabrina de Billy Wilder. Même frange. Même fragilité. Même androgynie. Même désir de s'élever dans l'échelle sociale. Même mépris devant la rouerie de certains êtres (un aimable représentant), lorsqu'elle la découvre...

Durant tout le film — de la première rencontre jusqu'aux dernières secon­des du dénouement —, le cinéaste préfère le chemin qui mène à la passion que la passion elle-même. Et c'est avec la même subtilité qu'il suggère l'éternel poids de l'intolérance sur nos vies. La force du film, c'est de nous faire réaliser qu'en dépit des masques rassurants dont il s'affuble, le moralisme ne cède jamais. Il se cache. Il attend son heure.

(1) Entretien avec Michael Henry, Positif, mars 2003.

Pierre Murat (Télérama)