ÉVÉNEMENTS ET SÉANCES SPECIALES

A PROPOS
En 1962, le tout jeune Bernardo Bertolucci (21 ans), déjà auteur de courts métrages amateurs (La teleferica et La morte del maiale, 1956-1957), puis assistant sur Accatone, avait réalisé son premier long métrage, le très beau La commare secca / La Camarde (film adolescent sur l’adolescence selon Adriano Aprá), sous l’égide de Pier Paolo Pasolini qui l’avait écrit et devait au départ en assurer aussi la mise en scène.
Pasolini est encore une des nombreuses figures tutélaires de Prima della rivoluzzione, le film suivant, tourné par Bertolucci dans sa ville natale de Parme à l’automme 1963, qui s’ouvre, après la fameuse phrase attribuée à Talleyrand et placée en exergue, par une citation extraite du recueil La religione del mio tempo (Eppure Chiesa ero venuto a te. / Pascal e i Canti del Popolo Greco / …) et convoquera aussi Stendhal (les noms et la configuration des personnages empruntés à la Chartreuse), le poète Attilio Bertolucci (père de Bernardo), Rossellini (On ne peut pas vivre sans Rossellini, dit l’ami cinéphile joué par Gianni Amelio), Godard (l’affiche de Une femme est une femme) et tant d’autres, en s’ingéniant à multiplier les (fausses) fausses pistes de lecture d’une oeuvre à la première personne, intime et engagée, d’une complexité inouïe, kaléiodoscopique, et pourtant d’une totale limpidité.
Le film, magnifiquement photographié par Aldo Scavarda, n’est que ruptures, faux raccords, impuretés, collages. Il appartient entièrement à ce cinema di poesia que Pasolini appelait de ses voeux et enchaîne, ou plutôt réunit avec une urgence virtuose, séductrice mais lucide, les tubes de Gino Paoli au Macbetto de Verdi (et à une partition d’Ennio Moricone), l’allègresse ludique (les courses en ville avec la tante ; le surgissement de la couleur lors de l’épisode de la chambre optique) et les accès lancinants de mélancolie (le paysage soudain automnal à la fin de la première partie), les envolées lyriques (Puck clamant Addio Stagno Lombardo dans le marécage sur les bords du Po, voué à disparaître comme sa caste) et des pointes de causticité satirique (l’événement mondain de l’ouverture de la saison du Reggio) non exempte de tendresse, car, comme son protagoniste, le cinéaste est déchiré entre sa révolte, ses aspirations aux changements et son attachement teinté de mauvaise conscience à un monde ancien, décadent, indéfendable, fondé sur l’injustice mais producteur aussi de beautés dont la disparition est perçue comme une perte irréparable (Ici finit la vie et commence la survie - qui finisce la vita e inizia la sopravvivenza).
Interdit aux moins de 18 ans au moment de sa sortie italienne (à cause, sans doute, du caractère incestueux de la flambée passionnelle entre le neveu et sa jeune tante), ce film intime, narcissique, mais aussi totalement ouvert sur le monde et captant avec une acuité extrème l’air de son temps fut mal vu en raison de la complexité, du caractère ouvertement contradictoire de son discours politique à une époque où les lignes de front étaient clairement tracées.
Il est rapidement devenu un classique, mais un de ceux dont l’actualité et l’urgence poétique restent brûlantes comme au premier jour, par son allégresse formelle inépuisable, sa sincérité paradoxale et la fascination émanant des figures incarnées par Allen Midgette (Agostino, l’ange tourmenté, voué à une mort précoce) et Adriana Asti (Gina, la tante névrosée, à la beauté si fragile et si singulière).
Bertolucci fera d’autres films admirables par la suite, mais Prima della rivoluzzione reste le plus beau, le plus dérangeant, et le plus émouvant.
claude Rieffel (Avoiralire.com)
Ciné classique
dimanche 31 mai
2015 à 18h00
présenté par Jean Pierre Bleys, enseignant spécialisé en histoire du cinéma.
PRIMA DELLA RIVOLUZIONE
de Bernardo Bertolucci
avec Adriana Asti, Francesco Barilli, Allen Midgette
ITALIE - 1964 - 1h56 - Version originale sous titrée - Cannes 1964
Fabrizio, digne représentant de la haute bourgeoisie de Parme, vient de rompre avec Clelia. Influencé par l’un de ses amis, l’instituteur Cesare, il se laisse tenter par les idées marxistes. Agostino, un jeune homme qui s’est enfui de chez ses parents, recherche l’amitié de Fabrizio. Mais ce dernier ne peut l’héberger, car sa tante, Gina, vient lui rendre visite. Créature névrosée entourée d’amants, Gina parvient à le séduire...
http://www.tamasadiffusion.com/Images/DP/prima-dp.pdf
A PROPOS
En 1962, le tout jeune Bernardo Bertolucci (21 ans), déjà auteur de courts métrages amateurs (La teleferica et La morte del maiale, 1956-1957), puis assistant sur Accatone, avait réalisé son premier long métrage, le très beau La commare secca / La Camarde (film adolescent sur l’adolescence selon Adriano Aprá), sous l’égide de Pier Paolo Pasolini qui l’avait écrit et devait au départ en assurer aussi la mise en scène.
Pasolini est encore une des nombreuses figures tutélaires de Prima della rivoluzzione, le film suivant, tourné par Bertolucci dans sa ville natale de Parme à l’automme 1963, qui s’ouvre, après la fameuse phrase attribuée à Talleyrand et placée en exergue, par une citation extraite du recueil La religione del mio tempo (Eppure Chiesa ero venuto a te. / Pascal e i Canti del Popolo Greco / …) et convoquera aussi Stendhal (les noms et la configuration des personnages empruntés à la Chartreuse), le poète Attilio Bertolucci (père de Bernardo), Rossellini (On ne peut pas vivre sans Rossellini, dit l’ami cinéphile joué par Gianni Amelio), Godard (l’affiche de Une femme est une femme) et tant d’autres, en s’ingéniant à multiplier les (fausses) fausses pistes de lecture d’une oeuvre à la première personne, intime et engagée, d’une complexité inouïe, kaléiodoscopique, et pourtant d’une totale limpidité.
Le film, magnifiquement photographié par Aldo Scavarda, n’est que ruptures, faux raccords, impuretés, collages. Il appartient entièrement à ce cinema di poesia que Pasolini appelait de ses voeux et enchaîne, ou plutôt réunit avec une urgence virtuose, séductrice mais lucide, les tubes de Gino Paoli au Macbetto de Verdi (et à une partition d’Ennio Moricone), l’allègresse ludique (les courses en ville avec la tante ; le surgissement de la couleur lors de l’épisode de la chambre optique) et les accès lancinants de mélancolie (le paysage soudain automnal à la fin de la première partie), les envolées lyriques (Puck clamant Addio Stagno Lombardo dans le marécage sur les bords du Po, voué à disparaître comme sa caste) et des pointes de causticité satirique (l’événement mondain de l’ouverture de la saison du Reggio) non exempte de tendresse, car, comme son protagoniste, le cinéaste est déchiré entre sa révolte, ses aspirations aux changements et son attachement teinté de mauvaise conscience à un monde ancien, décadent, indéfendable, fondé sur l’injustice mais producteur aussi de beautés dont la disparition est perçue comme une perte irréparable (Ici finit la vie et commence la survie - qui finisce la vita e inizia la sopravvivenza).
Interdit aux moins de 18 ans au moment de sa sortie italienne (à cause, sans doute, du caractère incestueux de la flambée passionnelle entre le neveu et sa jeune tante), ce film intime, narcissique, mais aussi totalement ouvert sur le monde et captant avec une acuité extrème l’air de son temps fut mal vu en raison de la complexité, du caractère ouvertement contradictoire de son discours politique à une époque où les lignes de front étaient clairement tracées.
Il est rapidement devenu un classique, mais un de ceux dont l’actualité et l’urgence poétique restent brûlantes comme au premier jour, par son allégresse formelle inépuisable, sa sincérité paradoxale et la fascination émanant des figures incarnées par Allen Midgette (Agostino, l’ange tourmenté, voué à une mort précoce) et Adriana Asti (Gina, la tante névrosée, à la beauté si fragile et si singulière).
Bertolucci fera d’autres films admirables par la suite, mais Prima della rivoluzzione reste le plus beau, le plus dérangeant, et le plus émouvant.
claude Rieffel (Avoiralire.com)