ÉVÉNEMENTS ET SÉANCES SPECIALES

A PROPOS
Ce jour-là, Julien (Robinson Stévenin) va montrer aux autres, à
ses proches, le premier film qu'il a réalisé. Une vidéo tournée avec
Lili (Ludivine Sagnier), la fille qu'il aime, en qui il croit. Sans
doute parce qu'elle est la seule qui lui permette de croire en lui. En
son talent. En l'avenir. Dans la grange, métamorphosée en salle de
spectacle, ils sont venus, ils sont tous là. Sa mère, Mado (Nicole
Garcia), actrice renommée depuis longtemps : c'est même ce «longtemps»
qui la tracasse. Brice (Bernard Giraudeau), l'homme avec lequel elle vit
: un cinéaste reconnu, lui aussi, beau, calme séducteur, tout ce que
Julien hait de toutes ses forces.
Il y a aussi Simon (Jean-Pierre Marielle), le frère de Mado, vieil homme
qui ne sait que râler avec drôlerie sur le peu de temps qui lui reste à
vivre et sur celui qu'il a perdu sans même s'en rendre compte. Et puis,
Jeanne-Marie (Julie Depardieu), la fille des domestiques, amoureuse de
Julien. Crevant d'amour pour Julien. Noyant dans l'alcool cet amour pour
Julien, que tout le monde devine, sauf lui.
Sur l'écran télé, au ralenti, apparaît le visage sensuel de Lili, ses
yeux perdus dans le vague, ses lèvres murmurant des mots inaudibles. Un
commentaire semble lier l'origine du monde au sort de l'homme... Sur sa
chaise, Mado s'agite. Une fois. Deux fois. Une fois de trop. Fou de
rage, Julien interrompt la projection. Une explication éclate, où chacun
semble jouer son rôle : Mado est parfaite en actrice et mère, également
agacées par la prétention de son fils. Julien est un écorché vif idéal.
Et Brice n'est pas mal non plus en metteur en scène célèbre, donc
indulgent devant les outrances visuelles et verbales du jeune débutant.
Chacun est à sa place. Chacun est dans sa bulle. Sauf Lili, qui,
insensiblement, va changer de rôle. On la croyait ingénue et fragile. On
la croyait l'âme et l'amour de Julien. Très vite, elle pactise, elle
bascule. Elle se noie dans l'oeil de Brice, qui, en quelques phrases, en
quelques silences, en quelques regards, l'aura fascinée, séduite et, en
un sens, perdue...
Dans cette adaptation libre de La Mouette, de Tchekhov, c'est Lili qui
hérite du mauvais rôle, du sale boulot. Nina, dans la pièce, était un
être pantelant, constamment dans l'erreur. Mais, si elle finissait
théâtreuse provinciale dans une troupe médiocre, elle restait
bouleversante par la douleur que l'on sentait en elle, cette nostalgie
d'une innocence perdue.
Lili, aussi, commence par être une victime. Si ce n'est que, dupée par
les autres, elle se révèle, elle, capable de les duper avec la même
indifférence. Proche, en définitive, d'Eve, la célèbre ambitieuse du
film de Joseph Mankiewicz, elle devient un petit monstre à l'état pur,
corps offert et coeur en berne. Capable de mendier un rôle qu'elle croit
lui revenir de droit à celui-là même qu'elle aura trahi.
Cette jeune femme que l'on croyait fragile comme un oiseau, cette «
mouette » si différente de l'original rend le film désespéré. Et cruel.
Claude Miller est un mélancolique doux. Un idéaliste sombre. Depuis La
Meilleure Façon de marcher jusqu'à Betty Fisher et autres histoires, en
passant par La Petite Voleuse ou La Classe de neige, il n'a eu de cesse
de filmer l'innocence souillée, la déraison menaçante, la cruauté
impardonnable. Gorki disait de Tchekhov qu'il portait sur ses
contemporains un regard qui semblait constamment leur dire : «
Messieurs, vous vivez mal ! »
Chez Miller, on survit et c'est presque pire. A l'image de Julien, qui
ne se tue pas, comme le héros de la pièce, mais devient cinéaste. Ce
pourrait être vaguement pitoyable si Miller ne préservait constamment
son honnêteté : c'est en recréant son passé que Julien trouve
instinctivement la force et l'intransigeance qui lui auront manqué,
jadis. Seul l'irréel est vrai. L'art explique la vie, quand il ne la
justifie pas.
Miller est un moraliste qui ne moralise pas. Ses films reflètent plus le
doute que la certitude. Si les êtres humains l'étonnent, il ne les juge
jamais. D'où, dans la première heure de La Petite Lili, ces portraits
doux de solitaires blessés, cherchant désespérément de l'aide. Moment
cruel : la mère et le fils, abandonnés tous deux, se retrouvent, la
nuit, réunis, un instant, mais rien qu'un instant, dans une même
douleur. Moment tendre : un après-midi, non loin de la propriété aux
volets bleus, le vieux Simon (Marielle, au sommet de son talent) s'est
endormi dans un champ. A son réveil, il trouve un mot, griffonné à la
hâte, nostalgique et apaisé : « On t'a laissé dormir. Tu avais l'air
heureux. »
Pierre Murat Télérama
Soirée rencontre
lundi 5 novembre
2012 à 20h15
en présence de Nicole Garcia et Frédéric Bélier-Garcia
La petite Lili transpose La Mouette de Tchekhov dans le monde du cinéma français. Dans le film, Mado est jouée par Nicole Garcia qui jouera Arkadina la mère de Treplev dans le spectacle du NTA mis en scène par Frédéric Bélier-Garcia
La petite Lili de Claude Miller transpose La Mouette de Tchekhov dans le monde du cinéma français. Les relations de Mado, une actrice célèbre, et de son fils Julien sont tumultueuses. Le garçon est fou amoureux de Lili, une jeune voisine qui rêve d’être comédienne. Dans le film, Mado est jouée par Nicole Garcia qui jouera Arkadina la mère de Treplev dans le spectacle du NTA mis en scène par Frédéric Bélier-Garcia.
Dates de représentations :
-au Théâtre Le Quai :
du mercredi 14 au samedi 24 novembre 2012 (à 19h30 le lundi, mardi et mercredi, à 20h30 le jeudi et vendredi, à 17h00 le samedi, relâche le dimanche 18)
-au Grand Théâtre, Place du Ralliement :
du jeudi 14 au lundi 18 février 2013 à 20h30 (à 19h30 le lundi, à 20h30 le jeudi vendredi et samedi et 16h00 le dimanche)
LA PETITE LILI
de Claude Miller
avec Ludivine Sagnier, Nicole Garcia, Bernard Giraudeau...
France - 2002 - 1h44
Mado, une actrice célèbre, passe ses vacances d'été dans sa propriété de Bretagne, en compagnie de son frère Simon, de son fils Julien qui veut devenir cinéaste et de Brice, son amant du moment, réalisateur de ses derniers films. Entre la mère et le fils, les relations sont tumultueuses. Julien est fou amoureux de Lili, une jeune fille de la région qui ambitionne d'être comédienne. Celle-ci est davantage fascinée par Brice, un metteur en scène reconnu qui ne semble pas insensible à son charme. Il l'emmène bientôt à Paris. Cinq ans plus tard, Lili a réussi et est devenu une actrice célèbre. Elle a quitté Brice. Par hasard, elle apprend que Julien va tourner son premier long métrage et qu'il parle d'elle.
A PROPOS
Ce jour-là, Julien (Robinson Stévenin) va montrer aux autres, à
ses proches, le premier film qu'il a réalisé. Une vidéo tournée avec
Lili (Ludivine Sagnier), la fille qu'il aime, en qui il croit. Sans
doute parce qu'elle est la seule qui lui permette de croire en lui. En
son talent. En l'avenir. Dans la grange, métamorphosée en salle de
spectacle, ils sont venus, ils sont tous là. Sa mère, Mado (Nicole
Garcia), actrice renommée depuis longtemps : c'est même ce «longtemps»
qui la tracasse. Brice (Bernard Giraudeau), l'homme avec lequel elle vit
: un cinéaste reconnu, lui aussi, beau, calme séducteur, tout ce que
Julien hait de toutes ses forces.
Il y a aussi Simon (Jean-Pierre Marielle), le frère de Mado, vieil homme
qui ne sait que râler avec drôlerie sur le peu de temps qui lui reste à
vivre et sur celui qu'il a perdu sans même s'en rendre compte. Et puis,
Jeanne-Marie (Julie Depardieu), la fille des domestiques, amoureuse de
Julien. Crevant d'amour pour Julien. Noyant dans l'alcool cet amour pour
Julien, que tout le monde devine, sauf lui.
Sur l'écran télé, au ralenti, apparaît le visage sensuel de Lili, ses
yeux perdus dans le vague, ses lèvres murmurant des mots inaudibles. Un
commentaire semble lier l'origine du monde au sort de l'homme... Sur sa
chaise, Mado s'agite. Une fois. Deux fois. Une fois de trop. Fou de
rage, Julien interrompt la projection. Une explication éclate, où chacun
semble jouer son rôle : Mado est parfaite en actrice et mère, également
agacées par la prétention de son fils. Julien est un écorché vif idéal.
Et Brice n'est pas mal non plus en metteur en scène célèbre, donc
indulgent devant les outrances visuelles et verbales du jeune débutant.
Chacun est à sa place. Chacun est dans sa bulle. Sauf Lili, qui,
insensiblement, va changer de rôle. On la croyait ingénue et fragile. On
la croyait l'âme et l'amour de Julien. Très vite, elle pactise, elle
bascule. Elle se noie dans l'oeil de Brice, qui, en quelques phrases, en
quelques silences, en quelques regards, l'aura fascinée, séduite et, en
un sens, perdue...
Dans cette adaptation libre de La Mouette, de Tchekhov, c'est Lili qui
hérite du mauvais rôle, du sale boulot. Nina, dans la pièce, était un
être pantelant, constamment dans l'erreur. Mais, si elle finissait
théâtreuse provinciale dans une troupe médiocre, elle restait
bouleversante par la douleur que l'on sentait en elle, cette nostalgie
d'une innocence perdue.
Lili, aussi, commence par être une victime. Si ce n'est que, dupée par
les autres, elle se révèle, elle, capable de les duper avec la même
indifférence. Proche, en définitive, d'Eve, la célèbre ambitieuse du
film de Joseph Mankiewicz, elle devient un petit monstre à l'état pur,
corps offert et coeur en berne. Capable de mendier un rôle qu'elle croit
lui revenir de droit à celui-là même qu'elle aura trahi.
Cette jeune femme que l'on croyait fragile comme un oiseau, cette «
mouette » si différente de l'original rend le film désespéré. Et cruel.
Claude Miller est un mélancolique doux. Un idéaliste sombre. Depuis La
Meilleure Façon de marcher jusqu'à Betty Fisher et autres histoires, en
passant par La Petite Voleuse ou La Classe de neige, il n'a eu de cesse
de filmer l'innocence souillée, la déraison menaçante, la cruauté
impardonnable. Gorki disait de Tchekhov qu'il portait sur ses
contemporains un regard qui semblait constamment leur dire : «
Messieurs, vous vivez mal ! »
Chez Miller, on survit et c'est presque pire. A l'image de Julien, qui
ne se tue pas, comme le héros de la pièce, mais devient cinéaste. Ce
pourrait être vaguement pitoyable si Miller ne préservait constamment
son honnêteté : c'est en recréant son passé que Julien trouve
instinctivement la force et l'intransigeance qui lui auront manqué,
jadis. Seul l'irréel est vrai. L'art explique la vie, quand il ne la
justifie pas.
Miller est un moraliste qui ne moralise pas. Ses films reflètent plus le
doute que la certitude. Si les êtres humains l'étonnent, il ne les juge
jamais. D'où, dans la première heure de La Petite Lili, ces portraits
doux de solitaires blessés, cherchant désespérément de l'aide. Moment
cruel : la mère et le fils, abandonnés tous deux, se retrouvent, la
nuit, réunis, un instant, mais rien qu'un instant, dans une même
douleur. Moment tendre : un après-midi, non loin de la propriété aux
volets bleus, le vieux Simon (Marielle, au sommet de son talent) s'est
endormi dans un champ. A son réveil, il trouve un mot, griffonné à la
hâte, nostalgique et apaisé : « On t'a laissé dormir. Tu avais l'air
heureux. »
Pierre Murat Télérama