ÉVÉNEMENTS ET SÉANCES SPECIALES

A PROPOS
Des poursuites, de la bagarre, des dialogues, du charme… 007 retrouve le Spectre et lui fait passer un sale quart d'heure. Retour de projection à Londres.
La file d'attente s'allonge et tournicote sur Leicester square, mais les invités à la toute première projection de 007 Spectre, vingt-quatrième opus de la « franchise » James Bond (sortie en France le 11 novembre 2015), sont disciplinés comme des Anglais. En attendant que les portes s'ouvrent, une heure avant le début de la projection, et que, peur du piratage oblige, environ mille cinq cents portables soient obligatoirement déposés à la consigne (émeute à la sortie pour récupérer son bien), on regarde ad nauseam le vieux marionnettiste au coin de la rue qui fait danser un mini-squelette sur des rengaines syncopées. Miraculeusement, l'amuseur est raccord avec le premier temps fort de 007 Spectre, poursuite tonitruante – un immeuble s'écroule sur Bond – pendant la « fête des morts » à Mexico, où les costumes de squelette sont légion. « Les Morts sont vivants », a-t-il été écrit sur l'écran avant la toute première image du film…
Déjà fortement médiatisée – toute la presse britannique égrène les tours de force du tournage –, cette séquence pré-générique est un passage obligé des « James Bond movies », un peu comme les trompettes à l'ouverture d'un opéra historique de Verdi. Mais de 007 Spectre, on attend un peu plus que de l'action sur-speedée. En confiant Skyfall, il y a trois ans, à un cinéaste doté de vrais ambitions artistiques, Sam Mendes, oscarisé pour American beauty, plus connu pour sa direction d'acteurs que pour ses films d'action, les producteurs avaient visé juste : approfondissant le personnage d'espion-play-boy désormais joué par Daniel Craig, assombrissant l'action, le réalisateur avait actualisé et enrichi la série. Accessoirement, Skyfall avait cassé la baraque : 1,1 milliard de dollars (un peu moins en euros mais pas mal quand même).
007 Spectre n'a pas tout à fait la même épaisseur que Skyfall. C'est un film plus composite, plus inégal, qui déroule ses péripéties – et les différents lieux qui en sont le cadre – comme un feuilleton d'aventures. C'est, littéralement, le baroud d'honneur d'un loup solitaire. James Bond a 52 ans (au cinéma), Daniel Craig 47, et comme tout salarié dans la deuxième partie de sa carrière, il se voit confronté à des méthodes de travail qui ont évolué, voire à des chefs plus jeunes que lui, sûrs de leur science infuse (ici, l'Irlandais Andrew Scott, très bien dans le rôle de C). Bref, son poste ne tient qu'à un fil, le programme « 00 » – ceux qui bénéficient de la « license to kill » – est menacé, on lui préfère une surveillance totale et permanente, selon les méthodes Google, NSA, ou Big Brother. Mais, invariablement, avec ordre ou sans, James part lutter contre les magnats du mal, ici l'organisation dont le sigle est une pieuvre (jolie animation au générique), le légendaire Spectre inventé par Ian Fleming, mais peu à peu disparu des films…
Bourre-pif boum boum à Mexico, course de voitures à Rome sur les berges du Tibre, le film démarre un peu bourrin, s'arrange quand il prend davantage son temps : Bond/Craig arrive sur les traces d'un vieil ennemi (du temps de Casino Royal et Quantum of Solace), Mr. White. La scène est mieux dialoguée, enfin riche d'un sous-texte – les années qui ont passé et leurs ravages. Elle met surtout le héros sur la piste de l'héroïne, qui est jouée par Léa Seydoux. Laquelle est plutôt à son aise, bien qu'on l'ait rebaptisée de façon un peu trop voyante Madeleine Swann, uhuh… Au passage, immortelle remarque du critique du Hollywood Reporter : « la résonance proustienne ne peut être que délibérée ». Vraiment ? L'actrice est au diapason du caractère, disons, plus graphique que psychologique du film : une larme coule sur son visage par ailleurs impassible, à l'annonce de la mort de son père. C'est beau comme du manga.
Après une poursuite enneigée avion contre voiture, ultra-réussie (le coucou finit par pénétrer l'arrière de l'auto qu'il traque, ce qui est délicatement symbolique, vu la présence de Léa sur la banquette arrière), c'est désormais autre chose qui se joue : le domptage du tueur par la belle, « the taming of the spy ». Partis pour Tanger – danger à Tanger ! –, c'est comme si nos héros plongeaient dans le passé : lui Bogart, elle Monroe plus que Bacall, mais fragment de glamour passé. Dans un train lancé dans le désert, suit une bagarre à mains nues qui rappelle celle de Bons Baisers de Russie.
A l'heure des bilans, Mendes plonge volontairement Bond dans son propre « best of », nombreux clins d'œil aux films passés et pour l'espion, analyse sur le mode « rewind », quête d'un trauma originel. Qui prend parfois des airs de delirium tremens : rires en cascade quand 007, insomniaque dans son hôtel marocain décati, s'adresse à… une souris, « Qui t'envoie ? », « Pour qui travailles-tu ? »… Ici ,il s'agit moins de terminer une mission – régler son compte à Christoph Waltz, en roue libre, limite Docteur Denfer – que de clore une époque. Au retour à Londres, il y a encore du suspense et des explosions, un hélico qui se crashe (Mendes doit détester les hélicos) mais c'est bien un sentiment élégiaque qui domine, palette émotionnelle déjà explorée (avec plus de subtilité) dans Skyfall. L'idée de la fin d'un monde se précise. 007 Spectre comme danse des spectres (et des furies). On ne sait pas encore si ce sera le dernier Bond de Daniel Craig, mais je parierai fort que Sam Mendes, lui, a clos son parcours…
Aurélien Ferenczi (Télérama)
Avant première
mardi 10 novembre
2015 à 20h30
La séance est complète
007 SPECTRE
de Sam Mendes
avec Daniel Craig, Christoph Waltz, Monica Bellucci
GB - USA - 2015 - 2h30 - VOST
Un message cryptique venu tout droit de son passé pousse Bond à enquêter sur une sinistre organisation. Alors que M affronte une tempête politique pour que les services secrets puissent continuer à opérer, Bond s'échine à révéler la terrible vérité derrière... le Spectre
https://www.facebook.com/JamesBond007FR?fref=ts
A PROPOS
Des poursuites, de la bagarre, des dialogues, du charme… 007 retrouve le Spectre et lui fait passer un sale quart d'heure. Retour de projection à Londres.
La file d'attente s'allonge et tournicote sur Leicester square, mais les invités à la toute première projection de 007 Spectre, vingt-quatrième opus de la « franchise » James Bond (sortie en France le 11 novembre 2015), sont disciplinés comme des Anglais. En attendant que les portes s'ouvrent, une heure avant le début de la projection, et que, peur du piratage oblige, environ mille cinq cents portables soient obligatoirement déposés à la consigne (émeute à la sortie pour récupérer son bien), on regarde ad nauseam le vieux marionnettiste au coin de la rue qui fait danser un mini-squelette sur des rengaines syncopées. Miraculeusement, l'amuseur est raccord avec le premier temps fort de 007 Spectre, poursuite tonitruante – un immeuble s'écroule sur Bond – pendant la « fête des morts » à Mexico, où les costumes de squelette sont légion. « Les Morts sont vivants », a-t-il été écrit sur l'écran avant la toute première image du film…
Déjà fortement médiatisée – toute la presse britannique égrène les tours de force du tournage –, cette séquence pré-générique est un passage obligé des « James Bond movies », un peu comme les trompettes à l'ouverture d'un opéra historique de Verdi. Mais de 007 Spectre, on attend un peu plus que de l'action sur-speedée. En confiant Skyfall, il y a trois ans, à un cinéaste doté de vrais ambitions artistiques, Sam Mendes, oscarisé pour American beauty, plus connu pour sa direction d'acteurs que pour ses films d'action, les producteurs avaient visé juste : approfondissant le personnage d'espion-play-boy désormais joué par Daniel Craig, assombrissant l'action, le réalisateur avait actualisé et enrichi la série. Accessoirement, Skyfall avait cassé la baraque : 1,1 milliard de dollars (un peu moins en euros mais pas mal quand même).
007 Spectre n'a pas tout à fait la même épaisseur que Skyfall. C'est un film plus composite, plus inégal, qui déroule ses péripéties – et les différents lieux qui en sont le cadre – comme un feuilleton d'aventures. C'est, littéralement, le baroud d'honneur d'un loup solitaire. James Bond a 52 ans (au cinéma), Daniel Craig 47, et comme tout salarié dans la deuxième partie de sa carrière, il se voit confronté à des méthodes de travail qui ont évolué, voire à des chefs plus jeunes que lui, sûrs de leur science infuse (ici, l'Irlandais Andrew Scott, très bien dans le rôle de C). Bref, son poste ne tient qu'à un fil, le programme « 00 » – ceux qui bénéficient de la « license to kill » – est menacé, on lui préfère une surveillance totale et permanente, selon les méthodes Google, NSA, ou Big Brother. Mais, invariablement, avec ordre ou sans, James part lutter contre les magnats du mal, ici l'organisation dont le sigle est une pieuvre (jolie animation au générique), le légendaire Spectre inventé par Ian Fleming, mais peu à peu disparu des films…
Bourre-pif boum boum à Mexico, course de voitures à Rome sur les berges du Tibre, le film démarre un peu bourrin, s'arrange quand il prend davantage son temps : Bond/Craig arrive sur les traces d'un vieil ennemi (du temps de Casino Royal et Quantum of Solace), Mr. White. La scène est mieux dialoguée, enfin riche d'un sous-texte – les années qui ont passé et leurs ravages. Elle met surtout le héros sur la piste de l'héroïne, qui est jouée par Léa Seydoux. Laquelle est plutôt à son aise, bien qu'on l'ait rebaptisée de façon un peu trop voyante Madeleine Swann, uhuh… Au passage, immortelle remarque du critique du Hollywood Reporter : « la résonance proustienne ne peut être que délibérée ». Vraiment ? L'actrice est au diapason du caractère, disons, plus graphique que psychologique du film : une larme coule sur son visage par ailleurs impassible, à l'annonce de la mort de son père. C'est beau comme du manga.
Après une poursuite enneigée avion contre voiture, ultra-réussie (le coucou finit par pénétrer l'arrière de l'auto qu'il traque, ce qui est délicatement symbolique, vu la présence de Léa sur la banquette arrière), c'est désormais autre chose qui se joue : le domptage du tueur par la belle, « the taming of the spy ». Partis pour Tanger – danger à Tanger ! –, c'est comme si nos héros plongeaient dans le passé : lui Bogart, elle Monroe plus que Bacall, mais fragment de glamour passé. Dans un train lancé dans le désert, suit une bagarre à mains nues qui rappelle celle de Bons Baisers de Russie.
A l'heure des bilans, Mendes plonge volontairement Bond dans son propre « best of », nombreux clins d'œil aux films passés et pour l'espion, analyse sur le mode « rewind », quête d'un trauma originel. Qui prend parfois des airs de delirium tremens : rires en cascade quand 007, insomniaque dans son hôtel marocain décati, s'adresse à… une souris, « Qui t'envoie ? », « Pour qui travailles-tu ? »… Ici ,il s'agit moins de terminer une mission – régler son compte à Christoph Waltz, en roue libre, limite Docteur Denfer – que de clore une époque. Au retour à Londres, il y a encore du suspense et des explosions, un hélico qui se crashe (Mendes doit détester les hélicos) mais c'est bien un sentiment élégiaque qui domine, palette émotionnelle déjà explorée (avec plus de subtilité) dans Skyfall. L'idée de la fin d'un monde se précise. 007 Spectre comme danse des spectres (et des furies). On ne sait pas encore si ce sera le dernier Bond de Daniel Craig, mais je parierai fort que Sam Mendes, lui, a clos son parcours…
Aurélien Ferenczi (Télérama)