A PROPOS
“Le Traître”, la fresque magistrale de Marco Bellocchio sur la mafia sicilienne
À 79 ans, le réalisateur italien revient sur la Croisette avec un portrait de Tommaso Buscetta, le repenti qui a témoigné lors du “maxi-procès” de Palerme dans les années 1980. Impressionnant de maîtrise et de lucidité
“Ni un héros ni un monstre” : c’est ainsi que le réalisateur italien Marco Bellochio (Vincere, Buongiorno, notte) dépeint dans Le Traître – son nouveau film présenté à Cannes – le mafieux palermitain Tommaso Buscetta, l’un des plus célèbres repentis de Sicile. Un parti pris gagnant si l’on en croit le critique Paolo Mereghetti, qui salue dans le Corriere della Sera un panorama virtuose de “vingt années d’histoire italienne”.
Ce n’est pas la première fois, tant s’en faut, que Bellochio présente un film en sélection officielle à Cannes. Mais à 79 ans, cet habitué de la Croisette (dont il n’est jamais reparti avec un prix pour sa réalisation), semble avoir atteint le sommet de son art.
Interprété par un Pierfrancesco Favino “d’une rare perfection”, le personnage principal du Traître donne à voir “un monde dont on parle plus qu’on ne le connaît” : celui de la “deuxième guerre de la mafia” (Corléonais contre Palermitains), qui fit des centaines de morts en Sicile dans les années 1980. Un sommet de violence, dont l’un des protagonistes s’appelait Toto Riina.
Autant dire que tout, dans cet épisode de l’histoire de Cosa Nostra, pouvait porter au spectaculaire et à la théâtralité. Chez Bellochio, la mise en scène est certes impressionnante (comme l’était la réalité qu’il décrit), mais à la veine hollywoodienne il préfère un portrait tout en retenue, qui cherche à approcher la vérité d’un homme sans jamais en surinterpréter les actes. Qu’est-ce qui a pu conduire Tommaso Buscetta (1928-2000) à trahir et à briser l’omerta de son clan pour témoigner devant le juge Falcone et, plus tard, lors du “maxi-procès” de Palerme en 1986 ? Le remords ? Un sens retrouvé de la morale ? La terreur ?
Sous la caméra de Bellochio, “Tommaso Buscetta n’apparaît jamais sous les traits d’un hypothétique héros qui serait passé du camp des ‘méchants’ à celui des ‘gentils’”, observe Mereghetti. Pas plus que le film n’essaie de “bâtir des hypothèses sur ses possibles tourments psychologiques ou moraux”. Lorsqu’il est arrêté au Brésil en 1983, Buscetta ne parle pas. Ce n’est qu’une fois extradé qu’il se met à table. Un “choix de survie”, selon Mereghetti, qui précise que la repentance était “le seul moyen [pour Buscetta] d’assurer sa protection et celle de sa nouvelle famille [il avait épousé une Brésilienne en troisième noce]”.
Là est l’intention de Marco Bellocchio selon ce critique :
Raconter un traître sans le transformer en héros et faire revivre un pays [l’Italie des années 1980] à propos duquel il reste beaucoup de secrets à découvrir.”
Corriere della Sera - Milan