ÉVÉNEMENTS ET SÉANCES SPECIALES
A PROPOS
L’intrigue a beau ne s’inspirer qu’exclusivement de faits réels, chaque
once de Loving reste entièrement soluble avec la patte de Jeff Nichols.
Famille, nature, paranoïa, amour... toutes les thématiques gri-gri du
cinéaste se retrouvent de nouveau déclinées. La démarche, toujours aussi
classique et circonscrite, ne surprend guère mais irradie de maîtrise.
Plutôt que de citer une fois encore en guise d’influences Terrence
Malick - plus métaphysique - ou Clint Eastwood - plus tenté de relier
image actuelle et image souvenirs -, soutenons que Jeff Nichols possède
son propre style. La facture générale est sobre voire traditionnelle (le
format 2,35:1 - 35 mm est comme toujours splendide), mais c’est
précisément via cette apparente convention que le génie de Little Rock
vient fusionner ses obsessions. En cela peut-être faut-il y voir un
héritage de John Ford, lui dont le cadrage mathématique remuait les
tréfonds de l’Amérique et du genre humain ?
Bien qu’aucun objet
transitoire ne renvoie l’histoire des Loving au présent comme chez
Eastwood, le dispositif imposé par Jeff Nichols a tout de même vocation à
poser des questions à ses contemporains. Et pour cause : s’inscrivant
dans la généalogie des films récents rappelant les démons de l’esclavage
(Django Unchained, Twelve Years a Slave), Loving montre avec finesse
que le combat pour les droits civiques des noirs américains ne s’est
jamais arrêté et se poursuit aujourd’hui. Tous ces plans qui cadrent
inlassablement Richard Loving (Joel Edgerton) façonnant brique après
brique le mur d’une maison ne sont là que pour le marteler. De même que
le plan final avec la famille Loving réunie au beau milieu d’un terrain
vierge lézardé de pans de murs toujours en chantier. A titre de
comparaison, l’on préfèrera cette allégorie à celle du cercle fermé - et
quelque part un peu désespéré - choisi par Steve McQueen pour conclure
Twelve Years a Slave, où planait presque l’ombre du communautarisme.
Comme
dans chacun de ses précédents films, Jeff Nichols tisse son intrigue
avec simplicité, mais sans jamais tomber dans la mièvrerie ou le
sentimentalisme creux. Il suffit chez lui d’un échange de regard et
parfois de quelques mots pour signifier énormément. Cette économie dans
l’affect et dans les moyens utilisés force une nouvelle fois
l’admiration. Parce qu’il est inutile de laisser s’attarder la caméra
dans le tribunal pendant une audience, le réalisateur coupe et filme
parallèlement l’essentiel. Ce sera par exemple ce mutisme un peu
rocailleux mais aimant dans l’expression de Richard Loving, se
retournant depuis le jardin vers sa femme sur le perron. L’amour
affleure, et l’on se dit que jamais auparavant Nichols ne s’était montré
aussi superbement sentimental, à la manière de Douglas Sirk. Exit les
belles paroles, et place au sentiment dans son plus simple appareil.
Rien de neuf diront certains, mais quelle habileté.
Pas dépaysés,
les habitués du réalisateur reconnaîtront aussi quelques-unes de ses
gestuelles typiques : le cauchemar qui s’immisce la nuit dans la
maisonnée tranquille à la faveur d’une porte laissée ouverte, avant de
pénétrer avec déflagration dans la chambre. Ou encore cette soudaine
montée d’adrénaline de Richard Loving accélérant l’allure de son
véhicule pour échapper à un poursuivant probablement imaginaire. Autant
de court-circuitages fulgurants où Loving vacille : nappes musicales
débridées, montage enfiévré... ce sont peut-être ces instants de
détraquement qui permettent à l’édifice de tenir sans chanceler. Parce
que l’on sait alors que Nichols cache entre les mailles sibyllines de
son film des angoisses originelles. A noter que les inconditionnels de
Michael Shannon, l’acteur fétiche de Nichols, seront heureux de
l’entrevoir quelques minutes dans le rôle d’un photojournaliste de Life
Magazine. Le personnage a beau sembler propre sur lui, les apparences
sont comme souvent trompeuses.
Finissons sur deux motifs utilisés
amplement par le cinéaste dans Loving : la course de voiture et le
prés. Le premier, avec ses vrombissements de moteur et ses
accélérations, permet de polariser la question des droits civiques : ces
voitures qui foncent en ligne droite avancent bien plus vite que le
feront jamais des thèmes comme la justice ou l’égalité des droits. Le
second, qui renvoie comme chez Malick à un paradis perdu mais à portée
de main, sert à montrer le dépit du couple une fois installé en ville :
ne reste alors plus qu’une touffe d’herbes émergeant du bitume. C’est
toutefois cette même touffe qui permet à Mildred Loving d’espérer et de
redoubler d’efforts pour vivre enfin la vie qu’elle désire.
Alexandre Jourdain (avoiralire.com)
Ciné Cosy
jeudi 2 mars
2017 à 13h15
Séance adaptée aux parents avec leur bébé, avec son adouci, mise à disposition d'une table à langer, d'un chauffe biberon...
LOVING
de Jeff Nichols
avec Joel Edgerton, Ruth Negga, Marton Csokas
USA - 2016 - 2h03 - VOST - Cannes 2016
Mildred et Richard Loving s'aiment et décident de se marier. Rien de
plus naturel – sauf qu'il est blanc et qu'elle est noire dans l'Amérique
ségrégationniste de 1958. L'État de Virginie où les Loving ont décidé
de s'installer les poursuit en justice : le couple est condamné à une
peine de prison, avec suspension de la sentence à condition qu'il quitte
l'État. Considérant qu'il s'agit d'une violation de leurs droits
civiques, Richard et Mildred portent leur affaire devant les tribunaux.
Ils iront jusqu'à la Cour Suprême qui, en 1967, casse la décision de la
Virginie. Désormais, l'arrêt "Loving v. Virginia" symbolise le droit de
s'aimer pour tous, sans aucune distinction d'origine.
http://www.marsdistribution.com/film/loving/
A PROPOS
L’intrigue a beau ne s’inspirer qu’exclusivement de faits réels, chaque
once de Loving reste entièrement soluble avec la patte de Jeff Nichols.
Famille, nature, paranoïa, amour... toutes les thématiques gri-gri du
cinéaste se retrouvent de nouveau déclinées. La démarche, toujours aussi
classique et circonscrite, ne surprend guère mais irradie de maîtrise.
Plutôt que de citer une fois encore en guise d’influences Terrence
Malick - plus métaphysique - ou Clint Eastwood - plus tenté de relier
image actuelle et image souvenirs -, soutenons que Jeff Nichols possède
son propre style. La facture générale est sobre voire traditionnelle (le
format 2,35:1 - 35 mm est comme toujours splendide), mais c’est
précisément via cette apparente convention que le génie de Little Rock
vient fusionner ses obsessions. En cela peut-être faut-il y voir un
héritage de John Ford, lui dont le cadrage mathématique remuait les
tréfonds de l’Amérique et du genre humain ?
Bien qu’aucun objet
transitoire ne renvoie l’histoire des Loving au présent comme chez
Eastwood, le dispositif imposé par Jeff Nichols a tout de même vocation à
poser des questions à ses contemporains. Et pour cause : s’inscrivant
dans la généalogie des films récents rappelant les démons de l’esclavage
(Django Unchained, Twelve Years a Slave), Loving montre avec finesse
que le combat pour les droits civiques des noirs américains ne s’est
jamais arrêté et se poursuit aujourd’hui. Tous ces plans qui cadrent
inlassablement Richard Loving (Joel Edgerton) façonnant brique après
brique le mur d’une maison ne sont là que pour le marteler. De même que
le plan final avec la famille Loving réunie au beau milieu d’un terrain
vierge lézardé de pans de murs toujours en chantier. A titre de
comparaison, l’on préfèrera cette allégorie à celle du cercle fermé - et
quelque part un peu désespéré - choisi par Steve McQueen pour conclure
Twelve Years a Slave, où planait presque l’ombre du communautarisme.
Comme
dans chacun de ses précédents films, Jeff Nichols tisse son intrigue
avec simplicité, mais sans jamais tomber dans la mièvrerie ou le
sentimentalisme creux. Il suffit chez lui d’un échange de regard et
parfois de quelques mots pour signifier énormément. Cette économie dans
l’affect et dans les moyens utilisés force une nouvelle fois
l’admiration. Parce qu’il est inutile de laisser s’attarder la caméra
dans le tribunal pendant une audience, le réalisateur coupe et filme
parallèlement l’essentiel. Ce sera par exemple ce mutisme un peu
rocailleux mais aimant dans l’expression de Richard Loving, se
retournant depuis le jardin vers sa femme sur le perron. L’amour
affleure, et l’on se dit que jamais auparavant Nichols ne s’était montré
aussi superbement sentimental, à la manière de Douglas Sirk. Exit les
belles paroles, et place au sentiment dans son plus simple appareil.
Rien de neuf diront certains, mais quelle habileté.
Pas dépaysés,
les habitués du réalisateur reconnaîtront aussi quelques-unes de ses
gestuelles typiques : le cauchemar qui s’immisce la nuit dans la
maisonnée tranquille à la faveur d’une porte laissée ouverte, avant de
pénétrer avec déflagration dans la chambre. Ou encore cette soudaine
montée d’adrénaline de Richard Loving accélérant l’allure de son
véhicule pour échapper à un poursuivant probablement imaginaire. Autant
de court-circuitages fulgurants où Loving vacille : nappes musicales
débridées, montage enfiévré... ce sont peut-être ces instants de
détraquement qui permettent à l’édifice de tenir sans chanceler. Parce
que l’on sait alors que Nichols cache entre les mailles sibyllines de
son film des angoisses originelles. A noter que les inconditionnels de
Michael Shannon, l’acteur fétiche de Nichols, seront heureux de
l’entrevoir quelques minutes dans le rôle d’un photojournaliste de Life
Magazine. Le personnage a beau sembler propre sur lui, les apparences
sont comme souvent trompeuses.
Finissons sur deux motifs utilisés
amplement par le cinéaste dans Loving : la course de voiture et le
prés. Le premier, avec ses vrombissements de moteur et ses
accélérations, permet de polariser la question des droits civiques : ces
voitures qui foncent en ligne droite avancent bien plus vite que le
feront jamais des thèmes comme la justice ou l’égalité des droits. Le
second, qui renvoie comme chez Malick à un paradis perdu mais à portée
de main, sert à montrer le dépit du couple une fois installé en ville :
ne reste alors plus qu’une touffe d’herbes émergeant du bitume. C’est
toutefois cette même touffe qui permet à Mildred Loving d’espérer et de
redoubler d’efforts pour vivre enfin la vie qu’elle désire.
Alexandre Jourdain (avoiralire.com)