ÉVÉNEMENTS ET SÉANCES SPECIALES

NERUDA - Pablo Larraín

A PROPOS

En suivant moins les faits que les traces de Pablo Neruda dans l'imaginaire chilien, Pablo Larrain filme sa traque comme un grand poème visuel. A la Quinzaine des réalisateurs.

A la fin des années quarante, le fameux poète communiste chilien Pablo Neruda est déclaré traître au régime populiste en place. Il doit fuir, se cacher. L'épisode historique – du moins le début de la cavale, entre 1947 et 1949 – inspire au réalisateur Pablo Larrain un grand poème visuel, tissé de scènes courtes, insolites, caustiques et rêveuses. Le poète se déguise et déclame des vers dans une soirée mondaine. Le poète se moque d'un adversaire politique dans une pissotière… C'est Luis Gnecco, comédien impérial et malicieux, qui habite ce rôle pourtant écrasant avec une légèreté, une rondeur et un charisme étonnants.

Dans cet antibiopic éblouissant, présenté ce vendredi 13 mai à la Quinzaine des réalisateurs, le cinéaste détricote tout, et d'abord la figure du grand homme. Il s'agit moins de montrer les faits que l'effet : l'imaginaire de Neruda, son impact sur tout un peuple, des enfants perdus aux femmes pâmées, sa puissance créative, s'échappent et débordent dans le film, truquent le réel, dévient les trajectoires et la narration.

A la poursuite de l'artiste, mystère immense, à la fois grandiose et facétieux, le film lance un drôle de flic. Raide comme la mort, d'une sinistre drôlerie, Gael Garcia Bernal le rend à la fois pathétique et inquiétant, un personnage en lignes claires, presque un méchant de bande dessinée. L'individu s'appelle Oscar Peluchonneau, qui commente en voix off l'étrange jeu de cache-cache qui se déploie des coulisses du pouvoir de Santiago aux espaces infiniment blancs de la cordillère des Andes. Partout le flic, ce poignant Dupont sud-américain, arrive trop tard, échoue dans sa tentative d'enfermer, de définir, de simplifier. Partout Neruda laisse son sillage de magie et de fascination, et aussi un livre, quelques miettes de mots pour narguer son poursuivant.

De Santiago 73, Post Mortem à El Club, en passant par No, on connaissait la noire dérision de Pablo Larrain, son goût pour les tranches d'humanité découpée au scalpel. S'il a gardé, ici, toute son ironie, s'il s'amuse par moments à déguiser son film en polar à l'ancienne, il se laisse aussi emporter comme jamais, enivré par le souffle épique du sujet. Là où la plupart de ses autres récits se tapissaient dans le froid et la pénombre, celui-ci est inondé de lumière rousse, vibre d'une chaleur romanesque.

Sur ce tableau fantasque et libre d'une époque où les poètes étaient plus grands que la vie, où ils promettaient, avec une confiance effrontée, des lendemains fraternels, plane aussi l'ombre de la dictature. La traque de Neruda ressemble à la répétition générale du drame politique à venir que Pablo Larrain n'a cessé de scruter, dans toute son œuvre. Quelque part, un certain Pinochet, qu'on aperçoit à la tête d'un camp de prisonniers, attend son heure. Celle de tuer la poésie.

Cécile Mury (Télérama)

Ciné Fac
jeudi 23 mars 2017 à 20h15

présenté par Andrea Cabezas Vargas spécialiste de cinéma latino-américain, Maître de Conférences en espagnol à l'Université d'Angers

Soirée organisée en collaboration avec l'Université d'Angers, le CDDP 49 et Cinéma Parlant dans le cadre de la semaine de cinéma de langue espagnole


NERUDA

de Pablo Larraín

avec Gael García Bernal, Luis Gnecco, Alfredo Castro
CHILI - 2016 - 1h47 - VOST

1948, la Guerre Froide s'est propagée jusqu'au Chili. Au Congrès, le sénateur Pablo Neruda critique ouvertement le gouvernement. Le président Videla demande alors sa destitution et confie au redoutable inspecteur Óscar Peluchonneau le soin de procéder à l'arrestation du poète.
Neruda et son épouse, la peintre Delia del Carril, échouent à quitter le pays et sont alors dans l'obligation de se cacher. Il joue avec l'inspecteur, laisse volontairement des indices pour rendre cette traque encore plus dangereuse et plus intime. Dans ce jeu du chat et de la souris, Neruda voit l'occasion de se réinventer et de devenir à la fois un symbole pour la liberté et une légende littéraire 
http://neruda-lefilm.com/presse/

A PROPOS

En suivant moins les faits que les traces de Pablo Neruda dans l'imaginaire chilien, Pablo Larrain filme sa traque comme un grand poème visuel. A la Quinzaine des réalisateurs.

A la fin des années quarante, le fameux poète communiste chilien Pablo Neruda est déclaré traître au régime populiste en place. Il doit fuir, se cacher. L'épisode historique – du moins le début de la cavale, entre 1947 et 1949 – inspire au réalisateur Pablo Larrain un grand poème visuel, tissé de scènes courtes, insolites, caustiques et rêveuses. Le poète se déguise et déclame des vers dans une soirée mondaine. Le poète se moque d'un adversaire politique dans une pissotière… C'est Luis Gnecco, comédien impérial et malicieux, qui habite ce rôle pourtant écrasant avec une légèreté, une rondeur et un charisme étonnants.

Dans cet antibiopic éblouissant, présenté ce vendredi 13 mai à la Quinzaine des réalisateurs, le cinéaste détricote tout, et d'abord la figure du grand homme. Il s'agit moins de montrer les faits que l'effet : l'imaginaire de Neruda, son impact sur tout un peuple, des enfants perdus aux femmes pâmées, sa puissance créative, s'échappent et débordent dans le film, truquent le réel, dévient les trajectoires et la narration.

A la poursuite de l'artiste, mystère immense, à la fois grandiose et facétieux, le film lance un drôle de flic. Raide comme la mort, d'une sinistre drôlerie, Gael Garcia Bernal le rend à la fois pathétique et inquiétant, un personnage en lignes claires, presque un méchant de bande dessinée. L'individu s'appelle Oscar Peluchonneau, qui commente en voix off l'étrange jeu de cache-cache qui se déploie des coulisses du pouvoir de Santiago aux espaces infiniment blancs de la cordillère des Andes. Partout le flic, ce poignant Dupont sud-américain, arrive trop tard, échoue dans sa tentative d'enfermer, de définir, de simplifier. Partout Neruda laisse son sillage de magie et de fascination, et aussi un livre, quelques miettes de mots pour narguer son poursuivant.

De Santiago 73, Post Mortem à El Club, en passant par No, on connaissait la noire dérision de Pablo Larrain, son goût pour les tranches d'humanité découpée au scalpel. S'il a gardé, ici, toute son ironie, s'il s'amuse par moments à déguiser son film en polar à l'ancienne, il se laisse aussi emporter comme jamais, enivré par le souffle épique du sujet. Là où la plupart de ses autres récits se tapissaient dans le froid et la pénombre, celui-ci est inondé de lumière rousse, vibre d'une chaleur romanesque.

Sur ce tableau fantasque et libre d'une époque où les poètes étaient plus grands que la vie, où ils promettaient, avec une confiance effrontée, des lendemains fraternels, plane aussi l'ombre de la dictature. La traque de Neruda ressemble à la répétition générale du drame politique à venir que Pablo Larrain n'a cessé de scruter, dans toute son œuvre. Quelque part, un certain Pinochet, qu'on aperçoit à la tête d'un camp de prisonniers, attend son heure. Celle de tuer la poésie.

Cécile Mury (Télérama)