ÉVÉNEMENTS ET SÉANCES SPECIALES

LA LOI DU MARCHÉ - Stéphane Brizé

A PROPOS

Au début, il proteste encore. Il est au plus bas, mais il râle. Toujours vivant. Toujours en lutte. Contre l'agent de Pôle emploi qui lui propose un stage qu'il devine aussi inutile que le précédent. Contre le sombre crétin qui veut lui acheter son mobil-home à bas prix. Contre l'entreprise qui, en dépit de bénéfices substantiels, l'a licencié, lui et les autres, il y a vingt mois. Les mots s'agitent, se bousculent : Vincent Lindon semble les ex-tirper de sa gorge, avec des hésitations, de brusques envolées et des pauses, comme si Thierry, son personnage, butait sur eux. Comme s'ils étaient devenus inutiles pour les gens de peu, les coeurs simples, dans un monde où ces derniers sont foutus, déjà. Broyés. Surnuméraires... Jadis on parlait de fatalité. Aujourd'hui, on évoque la loi du marché. C'est pareil, en moins noble.

Et puis voilà que Thierry est engagé comme agent de sécurité dans une galerie marchande. Regarder, observer, surveiller, ce n'est pas son truc : il a trop été abaissé pour vouloir abaisser les autres. Mais il s'applique, tant bien que mal, à faire ce qu'on attend de lui : face à un petit vieux qui a dérobé deux barquettes de viande, il sort des phrases apprises par coeur, des mots de flic, mécaniques, qu'il répète sans y croire. Et en se méprisant un peu. Et puis, un jour, il se tait... Toute l'humanité, toute la tendresse du film passent, alors, par le regard d'un acteur, devenu, avec le temps, l'égal des plus grands d'avant guerre : Gabin, bien sûr, auquel on l'a souvent comparé et à qui il ressemble de plus en plus dans son désir d'épure. Mais aussi Charles Vanel, injustement oublié, toujours incroyable de naturel, qu'il joue les notables ou les voyous. Vincent Lindon est de cette trempe : à la fois massif et léger. On aimerait le voir, désormais, élargir sa palette : aborder les rôles plus tourmentés, plus ambigus qu'il semble, à tort, refuser encore...

Stéphane Brizé est un cinéaste qui colle à ses personnages. Au risque de les perdre, parfois, comme dans Mademoiselle Chambon, où il les asphyxiait à force d'attention. Mais il les exalte, aussi, comme dans Quelques Heures de printemps, ce conte à la Maupassant, où un fils taciturne (toujours Lindon) accompagnait en Suisse une mère mal-aimante et mal-aimée vers une mort choisie et désirée... Sa qualité principale est le réalisme : on a l'impression d'un flux continu d'images que la caméra saisit en longs plans-séquences, avec des comédiens (un professionnel et des amateurs) improvisant en toute liberté. Parfois, hélas, il ne résiste pas à solliciter ouvertement l'émotion : avec le fils handicapé de son héros, la délicatesse de Maupassant s'éloigne, le misérabilisme de Zola se rapproche...

Mais sa sensibilité lui permet des scènes étonnantes. Toutes celles où Vincent Lindon observe ces hommes et ces femmes piégés qu'il est incapable d'aider. Jusqu'à cet affrontement effrayant entre une employée et son patron qui la cerne, l'accule, l'accuse d'avoir gardé pour elle — et non jeté, comme elle le devait — quelques misérables tickets de réduction... Elle proteste, d'abord, comme tout le monde. Mais, peu à peu, on la voit perdre pied, perdre contenance, perdre la face. Elle se défait sous nos yeux : moment atroce, difficilement supportable...

La Loi du marché est un film sur ces humiliés et ces offensés. Sur un système qui les pousse à s'humilier. Qui s'autorise à les offenser. C'est un film de combat. Une tragédie ordinaire. — Pierre Murat (Télérama)

Soirée rencontre
vendredi 24 juin 2016 à 20h15

En présence de Stéphane Brizé, réalisateur et l'association Court&49

Soirée organisée en collaboration avec l'association Court&49 et Cinéma Parlant


LA LOI DU MARCHÉ

de Stéphane Brizé

avec Vincent Lindon, Yves Ory, Karine de Mirbeck
France - 2015 - 1h33 - Cannes 2015

À 51 ans, après 20 mois de chômage, Thierry commence un nouveau travail qui le met bientôt face à un dilemme moral. Pour garder son emploi, peut-il tout accepter ? 
https://www.facebook.com/laloidumarche?fref=ts

A PROPOS

Au début, il proteste encore. Il est au plus bas, mais il râle. Toujours vivant. Toujours en lutte. Contre l'agent de Pôle emploi qui lui propose un stage qu'il devine aussi inutile que le précédent. Contre le sombre crétin qui veut lui acheter son mobil-home à bas prix. Contre l'entreprise qui, en dépit de bénéfices substantiels, l'a licencié, lui et les autres, il y a vingt mois. Les mots s'agitent, se bousculent : Vincent Lindon semble les ex-tirper de sa gorge, avec des hésitations, de brusques envolées et des pauses, comme si Thierry, son personnage, butait sur eux. Comme s'ils étaient devenus inutiles pour les gens de peu, les coeurs simples, dans un monde où ces derniers sont foutus, déjà. Broyés. Surnuméraires... Jadis on parlait de fatalité. Aujourd'hui, on évoque la loi du marché. C'est pareil, en moins noble.

Et puis voilà que Thierry est engagé comme agent de sécurité dans une galerie marchande. Regarder, observer, surveiller, ce n'est pas son truc : il a trop été abaissé pour vouloir abaisser les autres. Mais il s'applique, tant bien que mal, à faire ce qu'on attend de lui : face à un petit vieux qui a dérobé deux barquettes de viande, il sort des phrases apprises par coeur, des mots de flic, mécaniques, qu'il répète sans y croire. Et en se méprisant un peu. Et puis, un jour, il se tait... Toute l'humanité, toute la tendresse du film passent, alors, par le regard d'un acteur, devenu, avec le temps, l'égal des plus grands d'avant guerre : Gabin, bien sûr, auquel on l'a souvent comparé et à qui il ressemble de plus en plus dans son désir d'épure. Mais aussi Charles Vanel, injustement oublié, toujours incroyable de naturel, qu'il joue les notables ou les voyous. Vincent Lindon est de cette trempe : à la fois massif et léger. On aimerait le voir, désormais, élargir sa palette : aborder les rôles plus tourmentés, plus ambigus qu'il semble, à tort, refuser encore...

Stéphane Brizé est un cinéaste qui colle à ses personnages. Au risque de les perdre, parfois, comme dans Mademoiselle Chambon, où il les asphyxiait à force d'attention. Mais il les exalte, aussi, comme dans Quelques Heures de printemps, ce conte à la Maupassant, où un fils taciturne (toujours Lindon) accompagnait en Suisse une mère mal-aimante et mal-aimée vers une mort choisie et désirée... Sa qualité principale est le réalisme : on a l'impression d'un flux continu d'images que la caméra saisit en longs plans-séquences, avec des comédiens (un professionnel et des amateurs) improvisant en toute liberté. Parfois, hélas, il ne résiste pas à solliciter ouvertement l'émotion : avec le fils handicapé de son héros, la délicatesse de Maupassant s'éloigne, le misérabilisme de Zola se rapproche...

Mais sa sensibilité lui permet des scènes étonnantes. Toutes celles où Vincent Lindon observe ces hommes et ces femmes piégés qu'il est incapable d'aider. Jusqu'à cet affrontement effrayant entre une employée et son patron qui la cerne, l'accule, l'accuse d'avoir gardé pour elle — et non jeté, comme elle le devait — quelques misérables tickets de réduction... Elle proteste, d'abord, comme tout le monde. Mais, peu à peu, on la voit perdre pied, perdre contenance, perdre la face. Elle se défait sous nos yeux : moment atroce, difficilement supportable...

La Loi du marché est un film sur ces humiliés et ces offensés. Sur un système qui les pousse à s'humilier. Qui s'autorise à les offenser. C'est un film de combat. Une tragédie ordinaire. — Pierre Murat (Télérama)