LES VIES DE THÉRÈSE - Sébastien Lifshitz

A PROPOS

“Les Vies de Thérèse”, l'ultime combat d'une femme libre
 
A sa demande, le cinéaste Sébastien Lifshitz a filmé les dernières semaines de Thérèse Clerc, figure du féminisme. “Les Vies de Thérèse” sont un miracle de pudeur et de délicatesse.
 
On n'imagine pas un chêne à terre. Quand, à l'automne dernier, le cinéaste Sébastien Lifshitz rend visite à Thérèse Clerc, il a conservé d'elle l'image d'une femme que rien ne saurait abattre. Cinq ans plus tôt, il avait filmé cette grande dame du féminisme pour les besoins des Invisibles, long métrage documentaire autour d'homosexuels nés dans l'entre-deux-guerres. S'il entretient, depuis lors, avec elle une relation suivie, il ignorait le cancer incurable qui la ronge jusqu'à ce qu'elle lui adresse une demande singulière par le biais d'une amie : celle de filmer les dernières semaines qu'il lui reste à vivre. De lever, dans un nouveau film, le déni entourant la vieillesse et la mort. 
 
« Il s'agissait pour elle d'un dernier geste politique », explique Sébastien Lifshitz, qui reconnaît Thérèse dans ce projet inattendu, dont la difficulté le préoccupe. « J'étais venu pour refuser, se souvient-il. Mais elle m'a accueilli avec un sourire immense. Elle m'attendait dans son salon, très amaigrie. Je suis allé vers elle et je l'ai prise dans mes bras. Puis j'ai caressé son visage et elle m'a pris dans son regard. »
 
Piégé, Sébastien Lifshitz a tôt fait d'identifier les écueils qui le guettent, au premier rang desquels l'obscénité que l'on risque à montrer une personne en état de faiblesse. Aussi nous rend-il les témoins du contrat qui les lie dès le tout premier plan de son documentaire Les Vies de Thérèse, centré sur le visage de Thérèse et dont le sien apparaît en amorce. « Elle expose sa demande, je lui fais part de mes réticences ; le spectateur se trouve ainsi autorisé à la regarder. C'était comme le chas d'une aiguille par lequel le film devait passer. »
 
Rien de déplacé dans ce documentaire, qui revisite le parcours intime et militant de Thérèse Clerc dans des flash-back composés d'archives, subtilement induits par des plans de sommeil. « Je l'amenais se coucher et je la regardais s'endormir. Son lit était une sorte de refuge où elle était débarrassée de la pesanteur de son corps, et un sourire se dessinait sur son visage. » Si l'on devine dans ces plans l'annonce de sa fin, l'esthétique du film cultive l'implicite et manie l'allusion avec un art qui le préserve de l'appesantissement. « Je ne voulais pas traquer sur elle les stigmates de la mort. Il y a ce gros plan qui la montre épluchant une clémentine. On l'a tourné avec un objectif particulier, qui laisse une part d'ombre très forte dans l'image. La mort y est sensible, mais sur un mode poétique. »
 
Cette délicatesse, qui baigne le film de bout en bout et participe de l'impression qu'il donne d'un voyage intérieur, se manifeste dans les silences de Thérèse plus encore que dans ses moments de parole. Comme lors de ce goûter où son regard se perd. « Juste après, deux amis sont venus la voir et elle a eu ce mot incroyable : "Voilà" — pour ainsi dire : on y est. Elle est morte quelques jours plus tard. » Le film nous le donne à comprendre quelques minutes après l'image de ce regard absent, et se termine en l'air, élégamment, dans un plan noir qui tire son éloquence de son refus affiché de conclure.
 
François Ekchajzer (Télérama)

Soirée rencontre
mardi 27 août 2019 à 20h15

en présence de Christine Bard, historienne

Les Vies de Thérèse a été sélectionné à Cannes en 2016 à la Quinzaine des Réalisateurs, où il a reçu la Queer Palm.

Projection proposée dans le cadre du 2e congrès international de l'Institut du Genre organisé avec l'Université d'Angers, Premiers Plans et les 400 Coups.

Soirée organisée dans le cadre des Ateliers d'Angers en collaboration avec l'association "Premiers Plans"


LES VIES DE THÉRÈSE

de Sébastien Lifshitz

Documentaire
FRANCE - 2016 - 52 min - Cannes 2016

Thérèse Clerc est l’une des grandes figures du féminisme militant. Du combat pour l’avortement à l’égalité des droits entre les hommes et les femmes en passant par les luttes homosexuelles, elle a été de toutes les batailles. Elle apprend aujourd’hui qu’elle est atteinte d’une maladie incurable et décide de jeter un dernier regard tendre et lucide sur ce que fut sa vie, ses combats et ses amours.

A PROPOS

“Les Vies de Thérèse”, l'ultime combat d'une femme libre
 
A sa demande, le cinéaste Sébastien Lifshitz a filmé les dernières semaines de Thérèse Clerc, figure du féminisme. “Les Vies de Thérèse” sont un miracle de pudeur et de délicatesse.
 
On n'imagine pas un chêne à terre. Quand, à l'automne dernier, le cinéaste Sébastien Lifshitz rend visite à Thérèse Clerc, il a conservé d'elle l'image d'une femme que rien ne saurait abattre. Cinq ans plus tôt, il avait filmé cette grande dame du féminisme pour les besoins des Invisibles, long métrage documentaire autour d'homosexuels nés dans l'entre-deux-guerres. S'il entretient, depuis lors, avec elle une relation suivie, il ignorait le cancer incurable qui la ronge jusqu'à ce qu'elle lui adresse une demande singulière par le biais d'une amie : celle de filmer les dernières semaines qu'il lui reste à vivre. De lever, dans un nouveau film, le déni entourant la vieillesse et la mort. 
 
« Il s'agissait pour elle d'un dernier geste politique », explique Sébastien Lifshitz, qui reconnaît Thérèse dans ce projet inattendu, dont la difficulté le préoccupe. « J'étais venu pour refuser, se souvient-il. Mais elle m'a accueilli avec un sourire immense. Elle m'attendait dans son salon, très amaigrie. Je suis allé vers elle et je l'ai prise dans mes bras. Puis j'ai caressé son visage et elle m'a pris dans son regard. »
 
Piégé, Sébastien Lifshitz a tôt fait d'identifier les écueils qui le guettent, au premier rang desquels l'obscénité que l'on risque à montrer une personne en état de faiblesse. Aussi nous rend-il les témoins du contrat qui les lie dès le tout premier plan de son documentaire Les Vies de Thérèse, centré sur le visage de Thérèse et dont le sien apparaît en amorce. « Elle expose sa demande, je lui fais part de mes réticences ; le spectateur se trouve ainsi autorisé à la regarder. C'était comme le chas d'une aiguille par lequel le film devait passer. »
 
Rien de déplacé dans ce documentaire, qui revisite le parcours intime et militant de Thérèse Clerc dans des flash-back composés d'archives, subtilement induits par des plans de sommeil. « Je l'amenais se coucher et je la regardais s'endormir. Son lit était une sorte de refuge où elle était débarrassée de la pesanteur de son corps, et un sourire se dessinait sur son visage. » Si l'on devine dans ces plans l'annonce de sa fin, l'esthétique du film cultive l'implicite et manie l'allusion avec un art qui le préserve de l'appesantissement. « Je ne voulais pas traquer sur elle les stigmates de la mort. Il y a ce gros plan qui la montre épluchant une clémentine. On l'a tourné avec un objectif particulier, qui laisse une part d'ombre très forte dans l'image. La mort y est sensible, mais sur un mode poétique. »
 
Cette délicatesse, qui baigne le film de bout en bout et participe de l'impression qu'il donne d'un voyage intérieur, se manifeste dans les silences de Thérèse plus encore que dans ses moments de parole. Comme lors de ce goûter où son regard se perd. « Juste après, deux amis sont venus la voir et elle a eu ce mot incroyable : "Voilà" — pour ainsi dire : on y est. Elle est morte quelques jours plus tard. » Le film nous le donne à comprendre quelques minutes après l'image de ce regard absent, et se termine en l'air, élégamment, dans un plan noir qui tire son éloquence de son refus affiché de conclure.
 
François Ekchajzer (Télérama)