PHOENIX - Christian Petzold

A PROPOS

Dans le douzième long métrage de Christian Petzold, Phoenix est le nom d’un bar pour soldats américains dans l’Allemagne occupée de l’immédiat après-guerre. On y chante, contre toute vraisemblance, des chansons de Kurt Weill. Cela suffit pour signaler qu’exactitude de la reconstitution historique et stylisation font ici bon ménage.
Phoenix (Arizona) est aussi la ville américaine où se déroulent les premières séquences de Psychose. Ce n’est probablement pas un hasard.
La filiation hitchcockienne ne surprendra pas les familiers du cinéma de Petzold qui, outre son admiration déclarée pour le maître, partage avec celui-ci la précision maniaque d’une mise en scène à la fois classique et organisée autour de choix formels tranchés, ainsi qu’une capacité à donner une importance déterminante à des détails et gestes a priori anodins, et à transformer n’importe quel décor en lieu du crime et de la réminiscence.
Mais Phoenix c’est d’abord le Phénix, l’oiseau qui renaît de ses cendres.
Le film est donc le récit d’un retour d’entre les morts, d’une renaissance suivie d’un cheminement douloureux vers l’âge adulte à l’issue duquel l’héroïne pourra se libérer d’un passé, d’une vie et d’une identité antérieures qu’elle est obligée d’abord de reconstruire, de ressusciter pour pouvoir s’en défaire, depuis ses premiers pas chancelants dans la chambre d’hôpital, le visage enveloppé de bandelettes telle une frêle momie (on pense forcément aux Yeux sans visage), jusqu’à sa sortie de champ finale, lorsqu’elle s’échappe du film (Petzold interdisant tout simplement à son opérateur de faire le point sur elle lorsqu’elle s’éloigne).
Cette renaissance passe par le biais d’une opération de reconstitution qui, Hitchcock toujours, vient tout droit de Vertigo, c’est à dire du mythe de Pygmalion et Galatée, le cinéaste et son co-scénariste Harun Farocki ayant décidé de reproduire l’histoire de la transformation de la femme vivante en sosie d’une femme (crue) morte qui n’est autre qu’elle même, mais en adoptant son point de vue à elle et non plus celui de l’homme.
Ce changement de perspective permet de donner un relief particulier au mari metteur en scène interprété par un Ronald Zehrfeld fébrile qui, jouant pour la première fois un rôle de méchant, réussit à rendre touchant un personnage auquel le scénario se refuse d’accorder des circonstances atténuantes et dont l’aveuglement (il est évident qu’il ne veut pas la reconnaître), l’obstination à dissocier le corps et la voix jusqu’au moment de leur irréfutable réunion dans le chant, relève du déni pur et simple, de l’impossibilité d’assumer sa culpabilité.
Il permet surtout au personnage féminin de devenir le véritable moteur du film, celle qui observe et très vite prend les choses en main, dirigeant celui qui croit la diriger, cherchant à lui faciliter les choses, à provoquer une reconnaissance, un aveu d’amour (ou de culpabilité) impossible.
Nina Hoss est simplement extraordinaire et réussit à ne pas réduire l’évolution, le lent cheminement de son personnage à une simple (et époustouflante) performance.
En reformant le couple de Barbara pour accompagner cette fois ci, non la naissance progressive d’un amour mais la tentative d’un recommencement (im)possible, Petzold a assurément fait le bon choix, tant l’alchimie entre ces deux là fonctionne à fond.
Par ailleurs, et tout en assumant le côté un peu conceptuel (et, on l’a vu, fortement référentiel) de sa démarche, il parvient de mieux en mieux à incarner son cinéma, à en intensifier l’impact émotionnel et dramatique.
S’aventurant en terrain périlleux (associer Auschwitz et le roman de gare, ce qu’il appelle lui-même le pulp) avec une audace contrôlée, visant l’effet maximum sans verser dans la complaisance (par exemple en gommant en partie la dimension érotique du roman pour éviter de tomber, comme tant d’autres, dans l’amalgame inepte entre nazisme et perversion sexuelle, rien n’étant, comme il tient à le rappeler, plus aseptisé et désérotisé que cette idéologie dont l’horizon serait la clinique désinfectée et l’élevage de poulets en batterie), il réussit un film qui garde une dimension ludique mais avec de véritables enjeux dramatiques, moraux, existentiels.
Claude Rieffel (avoiralire.com)

Ciné fac
lundi 25 mars 2019 à 19h45

présenté par Milan Vucurovic, Attaché Temporaire de Recherche à la Faculté des Lettres, Université d’Angers

Séance organisée en collaboration avec l'Université d'Angers et Cinéma Parlant dans le cadre de la semaine de cinéma de langue allemande


PHOENIX

de Christian Petzold

avec Nina Hoss, Ronald Zehrfeld, Nina Kunzendorf
ALLEMAGNE - 2014 - 1h38 - VOST

Nelly, chanteuse berlinoise, est la seule de sa famille à avoir survécu à Auschwitz, mais elle est défigurée. Après une opération de chirurgie esthétique, elle retrouve son mari dans un cabaret. Johannes ne reconnaît pas son épouse, qu’il croit morte. Mais la ressemblance est troublante… Pour récupérer sa fortune, il va lui proposer de prendre l’identité de la défunte…

A PROPOS

Dans le douzième long métrage de Christian Petzold, Phoenix est le nom d’un bar pour soldats américains dans l’Allemagne occupée de l’immédiat après-guerre. On y chante, contre toute vraisemblance, des chansons de Kurt Weill. Cela suffit pour signaler qu’exactitude de la reconstitution historique et stylisation font ici bon ménage.
Phoenix (Arizona) est aussi la ville américaine où se déroulent les premières séquences de Psychose. Ce n’est probablement pas un hasard.
La filiation hitchcockienne ne surprendra pas les familiers du cinéma de Petzold qui, outre son admiration déclarée pour le maître, partage avec celui-ci la précision maniaque d’une mise en scène à la fois classique et organisée autour de choix formels tranchés, ainsi qu’une capacité à donner une importance déterminante à des détails et gestes a priori anodins, et à transformer n’importe quel décor en lieu du crime et de la réminiscence.
Mais Phoenix c’est d’abord le Phénix, l’oiseau qui renaît de ses cendres.
Le film est donc le récit d’un retour d’entre les morts, d’une renaissance suivie d’un cheminement douloureux vers l’âge adulte à l’issue duquel l’héroïne pourra se libérer d’un passé, d’une vie et d’une identité antérieures qu’elle est obligée d’abord de reconstruire, de ressusciter pour pouvoir s’en défaire, depuis ses premiers pas chancelants dans la chambre d’hôpital, le visage enveloppé de bandelettes telle une frêle momie (on pense forcément aux Yeux sans visage), jusqu’à sa sortie de champ finale, lorsqu’elle s’échappe du film (Petzold interdisant tout simplement à son opérateur de faire le point sur elle lorsqu’elle s’éloigne).
Cette renaissance passe par le biais d’une opération de reconstitution qui, Hitchcock toujours, vient tout droit de Vertigo, c’est à dire du mythe de Pygmalion et Galatée, le cinéaste et son co-scénariste Harun Farocki ayant décidé de reproduire l’histoire de la transformation de la femme vivante en sosie d’une femme (crue) morte qui n’est autre qu’elle même, mais en adoptant son point de vue à elle et non plus celui de l’homme.
Ce changement de perspective permet de donner un relief particulier au mari metteur en scène interprété par un Ronald Zehrfeld fébrile qui, jouant pour la première fois un rôle de méchant, réussit à rendre touchant un personnage auquel le scénario se refuse d’accorder des circonstances atténuantes et dont l’aveuglement (il est évident qu’il ne veut pas la reconnaître), l’obstination à dissocier le corps et la voix jusqu’au moment de leur irréfutable réunion dans le chant, relève du déni pur et simple, de l’impossibilité d’assumer sa culpabilité.
Il permet surtout au personnage féminin de devenir le véritable moteur du film, celle qui observe et très vite prend les choses en main, dirigeant celui qui croit la diriger, cherchant à lui faciliter les choses, à provoquer une reconnaissance, un aveu d’amour (ou de culpabilité) impossible.
Nina Hoss est simplement extraordinaire et réussit à ne pas réduire l’évolution, le lent cheminement de son personnage à une simple (et époustouflante) performance.
En reformant le couple de Barbara pour accompagner cette fois ci, non la naissance progressive d’un amour mais la tentative d’un recommencement (im)possible, Petzold a assurément fait le bon choix, tant l’alchimie entre ces deux là fonctionne à fond.
Par ailleurs, et tout en assumant le côté un peu conceptuel (et, on l’a vu, fortement référentiel) de sa démarche, il parvient de mieux en mieux à incarner son cinéma, à en intensifier l’impact émotionnel et dramatique.
S’aventurant en terrain périlleux (associer Auschwitz et le roman de gare, ce qu’il appelle lui-même le pulp) avec une audace contrôlée, visant l’effet maximum sans verser dans la complaisance (par exemple en gommant en partie la dimension érotique du roman pour éviter de tomber, comme tant d’autres, dans l’amalgame inepte entre nazisme et perversion sexuelle, rien n’étant, comme il tient à le rappeler, plus aseptisé et désérotisé que cette idéologie dont l’horizon serait la clinique désinfectée et l’élevage de poulets en batterie), il réussit un film qui garde une dimension ludique mais avec de véritables enjeux dramatiques, moraux, existentiels.
Claude Rieffel (avoiralire.com)