ZAMA - Lucrecia Martel

A PROPOS

Après neuf ans d’absence, la cinéaste argentine Lucrecia Martel revient avec un envoûtant récit de dépaysement magique dans l’Amérique du Sud du XVIIIe siècle. Une mise en scène sidérante pour des vertiges multiples.

C’est à plusieurs titres que l’on peut dire que Zama est un film d’aventures. En premier lieu, parce qu’il nous transporte dans une époque ancienne (le XVIIIe siècle) et des lieux lointains (le Gran Chaco, à l’entrecroisement de l’Argentine, de la Bolivie, du Brésil et du Paraguay), où des conquérants se confrontent à la moiteur et à l’hostilité d’un monde qui leur échappe, bien qu’ils s’en croient les maîtres. Diego de Zama est corrégidor, sorte de juge représentant le pouvoir royal dans les colonies espagnoles. Souffrant de l’éloignement, il espère la lettre d’un vice-roi qui lui permettra d’être muté à Buenos Aires. Puis, n’en pouvant plus d’attendre, il se lance dans la recherche d’un mystérieux bandit, périple qui le conduira dans un territoire presque inexploré et peuplé d’indiens fantomatiques.
Cette quête peut lointainement faire songer à Aguirre, la colère de Dieu de Werner Herzog, ou même à Apocalypse Now de Francis Ford Coppola, par sa manière de filmer la dérive des personnages comme une montée de fièvre progressive, de plus en plus hallucinatoire, puis proprement délirante. Car l’aventure du récit se double aussi d’une aventure des sens, que la mise en scène magistrale et constamment surprenante de Lucrecia Martel parvient à faire éprouver au spectateur, de la première à la dernière minute du film.
Son utilisation du son est particulièrement remarquable : il ouvre l’espace, lui donne une dimension plus mouvante et insaisissable, au-delà des limites du visible. Dans la première partie, ce trouble sensoriel provoque un déphasage enivrant : on assiste aux agissements et discussions de toute une communauté de colons dont on perçoit clairement les dialogues, parfois sibyllins, et les attitudes, vaguement étranges, sans jamais tout à fait les saisir. Il ne faut alors surtout pas résister à cette incompréhension qui nous gagne. Elle est non seulement volontaire - et il n’est pas si aisé de savoir égarer son spectateur tout en ne lui lâchant jamais la main -, mais elle est surtout la condition grâce à laquelle le film devient une envoûtante expérience de dépaysement spatio-temporelle.
Au début, un indien évoque une espèce de poisson que l’eau rejette et qui doit se battre continûment pour ne pas être expulsé par le fleuve. Zama est comme ce poisson : plongé dans un environnement dont il se sent mentalement et physiquement rejeté, comme repoussé vers les rivages. Et l’on peut aussi dire que le film résiste à son spectateur comme cette eau résiste à ce poisson, mais cet inconfort est merveilleux dans la mesure où il nous permet de voir et d’entendre différemment en nous plaçant comme à côté des rails du récit, là où l’intelligibilité ne commande plus les sens.
Et, même si l’ennui qu’éprouve Zama venait à vous gagner, ne partez surtout pas avant la fin. La première partie prépare à la seconde où, la perte de repères devenant totale, nous sommes emportés dans un monde véritablement inconnu, ahurissant. Vertige qui est moins dû à la nature sauvage et aux indiens peints en rouge, aussi impressionnants soient-ils, qu’à la mise en scène sidérante de Lucrecia Martel. Et ils sont très rares, les cinéastes qui savent encore aujourd’hui nous faire voir, entendre et éprouver la stupeur première de l’inédit.
Marcos Uzal (Libération)

Ciné découverte
dimanche 10 mars 2019 à 11h00

Tarif unique  : 5

Séance organisée en collaboration avec l'Université d'Angers et Cinéma Parlant dans le cadre de la semaine de cinéma de langue espagnole


ZAMA

de Lucrecia Martel

avec Daniel Giménez Cacho, Lola Dueñas, Juan Minujin
ARGENTINE - 2017 - 1h55 - VOST

Fin du siècle. Le corrégidor don Diego de Zama, isolé dans le Gran Chaco, espère une lettre du vice roi du Río de la Plata signifiant sa mutation pour Buenos Aires. Souffrant de l'éloignement de sa famille, de l'ennui de son travail de fonctionnaire et du manque de reconnaissance de sa hiérarchie, il perd patience et se lance dans une entreprise désespérée.

A PROPOS

Après neuf ans d’absence, la cinéaste argentine Lucrecia Martel revient avec un envoûtant récit de dépaysement magique dans l’Amérique du Sud du XVIIIe siècle. Une mise en scène sidérante pour des vertiges multiples.

C’est à plusieurs titres que l’on peut dire que Zama est un film d’aventures. En premier lieu, parce qu’il nous transporte dans une époque ancienne (le XVIIIe siècle) et des lieux lointains (le Gran Chaco, à l’entrecroisement de l’Argentine, de la Bolivie, du Brésil et du Paraguay), où des conquérants se confrontent à la moiteur et à l’hostilité d’un monde qui leur échappe, bien qu’ils s’en croient les maîtres. Diego de Zama est corrégidor, sorte de juge représentant le pouvoir royal dans les colonies espagnoles. Souffrant de l’éloignement, il espère la lettre d’un vice-roi qui lui permettra d’être muté à Buenos Aires. Puis, n’en pouvant plus d’attendre, il se lance dans la recherche d’un mystérieux bandit, périple qui le conduira dans un territoire presque inexploré et peuplé d’indiens fantomatiques.
Cette quête peut lointainement faire songer à Aguirre, la colère de Dieu de Werner Herzog, ou même à Apocalypse Now de Francis Ford Coppola, par sa manière de filmer la dérive des personnages comme une montée de fièvre progressive, de plus en plus hallucinatoire, puis proprement délirante. Car l’aventure du récit se double aussi d’une aventure des sens, que la mise en scène magistrale et constamment surprenante de Lucrecia Martel parvient à faire éprouver au spectateur, de la première à la dernière minute du film.
Son utilisation du son est particulièrement remarquable : il ouvre l’espace, lui donne une dimension plus mouvante et insaisissable, au-delà des limites du visible. Dans la première partie, ce trouble sensoriel provoque un déphasage enivrant : on assiste aux agissements et discussions de toute une communauté de colons dont on perçoit clairement les dialogues, parfois sibyllins, et les attitudes, vaguement étranges, sans jamais tout à fait les saisir. Il ne faut alors surtout pas résister à cette incompréhension qui nous gagne. Elle est non seulement volontaire - et il n’est pas si aisé de savoir égarer son spectateur tout en ne lui lâchant jamais la main -, mais elle est surtout la condition grâce à laquelle le film devient une envoûtante expérience de dépaysement spatio-temporelle.
Au début, un indien évoque une espèce de poisson que l’eau rejette et qui doit se battre continûment pour ne pas être expulsé par le fleuve. Zama est comme ce poisson : plongé dans un environnement dont il se sent mentalement et physiquement rejeté, comme repoussé vers les rivages. Et l’on peut aussi dire que le film résiste à son spectateur comme cette eau résiste à ce poisson, mais cet inconfort est merveilleux dans la mesure où il nous permet de voir et d’entendre différemment en nous plaçant comme à côté des rails du récit, là où l’intelligibilité ne commande plus les sens.
Et, même si l’ennui qu’éprouve Zama venait à vous gagner, ne partez surtout pas avant la fin. La première partie prépare à la seconde où, la perte de repères devenant totale, nous sommes emportés dans un monde véritablement inconnu, ahurissant. Vertige qui est moins dû à la nature sauvage et aux indiens peints en rouge, aussi impressionnants soient-ils, qu’à la mise en scène sidérante de Lucrecia Martel. Et ils sont très rares, les cinéastes qui savent encore aujourd’hui nous faire voir, entendre et éprouver la stupeur première de l’inédit.
Marcos Uzal (Libération)