EN LIBERTÉ ! - Pierre Salvadori

A PROPOS

Allez, monsieur Salvadori, encore une ! Le spectateur est comme le petit garçon d’Yvonne, jeune inspectrice de police impétueuse : il aime qu’on lui raconte des histoires. Et plus elles sont à dormir debout, mieux c’est. Celle que raconte Yvonne est toujours focalisée sur le défunt papa (Vincent Elbaz), un flic héroïque. Les images de son récit défilent à l’écran. On voit le père qui explose la porte d’un appartement, s’engouffre à l’intérieur le magnum au poing, neutralise un à un les méchants avec une dextérité et une force digne de Mel Gibson ou de Belmondo. Un ­polar standard ? Plutôt une caricature volontaire de film d’action musclé, rehaussée d’humour. Dans la vraie vie, c’est moins drôle : le père est mort en grand professionnel. On a érigé une statue (d’un mauvais goût irrésistible) à sa mémoire, face au port. Sa veuve l’a mauvaise. Mais le pire l’attend : elle apprend accidentellement que son mari était en fait un ripou doublé d’un salaud, qui s’est débrouillé pour qu’Antoine, un joaillier (Pio Marmaï, déchaîné), porte le chapeau dans l’une de ses combines et aille en prison.
L’idée forte, c’est qu’Yvonne, abasourdie d’avoir été dupée et rongée par la culpabilité, se met en tête de retrouver le bel innocent, qui sort tout juste de prison. Celui-ci parle tout seul et semble bien dérangé. En le prenant en filature, la flic découvre qu’il peut vite dérailler et se transformer en bête enragée. Comme une sorte d’ange gardien, elle fait tout pour l’aider, mais rien ne se passe comme prévu. Leur rencontre provoque une cascade d’épisodes aussi farfelus que rocambolesques, dans un grand cafouillis maison entre vérité et mensonge. Le chassé-croisé, ébouriffant, concerne quatre personnages, qui ne savent plus qui ils sont, qui ils aiment. A côté de l’inspectrice, feu follet très burlesque (Adèle Haenel, lumineuse comme jamais, même quand elle pleure), et du repris de ­justice, il faut aussi compter avec un autre flic, distrait et affectueux ­(Damien Bonnard), et une bien-aimée, fébrile et lucide, profondément altruiste (Audrey Tautou).
Comment être une mère à la hauteur ? Comment dépasser le stade de victime ? Comment réenchanter le couple ? Les enjeux sont multiples, mais la pagaille est telle qu’elle mène à des échanges aberrants. Quand, par exemple, Antoine confesse à Yvonne : « Je voulais me tuer. » Elle, du tac au tac : « C’est vrai ? Vous ne dites pas ça pour me faire plaisir ? » Riche de situations délicieusement absurdes, le film se distingue surtout par la haute qualité de ses dialogues poétiques, qui fusent. Pierre Salvadori met en scène la quête de l’instant parfait — magnifique séquence que celle des retrouvailles dans le jardin, où la compagne d’Antoine, déstabilisée parce qu’il est sorti de prison plus tôt que prévu, lui demande de revenir en arrière et de refaire le trajet. Tout le film prône un art d’aimer, qui passe par l’artifice, le travestissement, le plaisir de la déclaration étoffée. En ce sens, c’est une comédie romantique par excellence.
Nul miel pour autant. C’est même amusant de constater à quel point le film est masochiste et sadique. Entre les corps menottés, les gifles et l’oreille arrachée, l’épaule démise qui fait horriblement mal, le tueur en série tout penaud qui trimballe avec lui les têtes de ses victimes dans des sacs plastique, Salvadori nous gâte. On a d’ailleurs droit à une séquence de braquage anthologique dans une bijouterie, avec tenue SM et vocodeur déformant les voix… Mené tambour battant, En liberté ! nous fouette comme un alcool fort, en ayant une vertu magique que ne recèlent ni le cognac ni la vodka. Celle de nous tendre un miroir sur ce que nous sommes : des spectateurs toujours assoiffés d’émotions.
Jacques Morice (Télérama)

Cap ciné / Festival Télérama
mardi 22 janvier 2019 à 15h55

Séances en audiodescription et sous-titrées en français

Séance organisée en partenariat avec Premiers Plans et Cinéma Parlant


EN LIBERTÉ !

de Pierre Salvadori

avec Adèle Haenel, Pio Marmai, Audrey Tautou
FRANCE - 2018 - 1h47

Yvonne jeune inspectrice de police, découvre que son mari, le capitaine Santi, héros local tombé au combat, n'était pas le flic courageux et intègre qu'elle croyait mais un véritable ripou. Déterminée à réparer les torts commis par ce dernier, elle va croiser le chemin d'Antoine injustement incarcéré par Santi pendant huit longues années. Une rencontre inattendue et folle qui va dynamiter leurs vies à tous les deux.
http://distribution.memento-films.com/film/infos/92

A PROPOS

Allez, monsieur Salvadori, encore une ! Le spectateur est comme le petit garçon d’Yvonne, jeune inspectrice de police impétueuse : il aime qu’on lui raconte des histoires. Et plus elles sont à dormir debout, mieux c’est. Celle que raconte Yvonne est toujours focalisée sur le défunt papa (Vincent Elbaz), un flic héroïque. Les images de son récit défilent à l’écran. On voit le père qui explose la porte d’un appartement, s’engouffre à l’intérieur le magnum au poing, neutralise un à un les méchants avec une dextérité et une force digne de Mel Gibson ou de Belmondo. Un ­polar standard ? Plutôt une caricature volontaire de film d’action musclé, rehaussée d’humour. Dans la vraie vie, c’est moins drôle : le père est mort en grand professionnel. On a érigé une statue (d’un mauvais goût irrésistible) à sa mémoire, face au port. Sa veuve l’a mauvaise. Mais le pire l’attend : elle apprend accidentellement que son mari était en fait un ripou doublé d’un salaud, qui s’est débrouillé pour qu’Antoine, un joaillier (Pio Marmaï, déchaîné), porte le chapeau dans l’une de ses combines et aille en prison.
L’idée forte, c’est qu’Yvonne, abasourdie d’avoir été dupée et rongée par la culpabilité, se met en tête de retrouver le bel innocent, qui sort tout juste de prison. Celui-ci parle tout seul et semble bien dérangé. En le prenant en filature, la flic découvre qu’il peut vite dérailler et se transformer en bête enragée. Comme une sorte d’ange gardien, elle fait tout pour l’aider, mais rien ne se passe comme prévu. Leur rencontre provoque une cascade d’épisodes aussi farfelus que rocambolesques, dans un grand cafouillis maison entre vérité et mensonge. Le chassé-croisé, ébouriffant, concerne quatre personnages, qui ne savent plus qui ils sont, qui ils aiment. A côté de l’inspectrice, feu follet très burlesque (Adèle Haenel, lumineuse comme jamais, même quand elle pleure), et du repris de ­justice, il faut aussi compter avec un autre flic, distrait et affectueux ­(Damien Bonnard), et une bien-aimée, fébrile et lucide, profondément altruiste (Audrey Tautou).
Comment être une mère à la hauteur ? Comment dépasser le stade de victime ? Comment réenchanter le couple ? Les enjeux sont multiples, mais la pagaille est telle qu’elle mène à des échanges aberrants. Quand, par exemple, Antoine confesse à Yvonne : « Je voulais me tuer. » Elle, du tac au tac : « C’est vrai ? Vous ne dites pas ça pour me faire plaisir ? » Riche de situations délicieusement absurdes, le film se distingue surtout par la haute qualité de ses dialogues poétiques, qui fusent. Pierre Salvadori met en scène la quête de l’instant parfait — magnifique séquence que celle des retrouvailles dans le jardin, où la compagne d’Antoine, déstabilisée parce qu’il est sorti de prison plus tôt que prévu, lui demande de revenir en arrière et de refaire le trajet. Tout le film prône un art d’aimer, qui passe par l’artifice, le travestissement, le plaisir de la déclaration étoffée. En ce sens, c’est une comédie romantique par excellence.
Nul miel pour autant. C’est même amusant de constater à quel point le film est masochiste et sadique. Entre les corps menottés, les gifles et l’oreille arrachée, l’épaule démise qui fait horriblement mal, le tueur en série tout penaud qui trimballe avec lui les têtes de ses victimes dans des sacs plastique, Salvadori nous gâte. On a d’ailleurs droit à une séquence de braquage anthologique dans une bijouterie, avec tenue SM et vocodeur déformant les voix… Mené tambour battant, En liberté ! nous fouette comme un alcool fort, en ayant une vertu magique que ne recèlent ni le cognac ni la vodka. Celle de nous tendre un miroir sur ce que nous sommes : des spectateurs toujours assoiffés d’émotions.
Jacques Morice (Télérama)