LOU ANDREAS SALOME - Cordula Kablitz-Post

A PROPOS

À Göttingen en 1933, les nazis amoncellent les livres sur les places et les brûlent. Dans sa grande maison, Lou Andreas­Salomé, 72 ans, vit quasiment en recluse. Son activité de psychanalyste la désigne comme suspecte aux yeux des nouvelles autorités. Lorsque Ernst Pfeiffer, un germaniste prisonnier d’impasses professionnelles et conjugales, sollicite son aide, elle répond ne plus pratiquer, mais lui demande de la seconder dans l’écriture de ses mémoires et l’ultime classement de ses papiers. Commence alors le récit d’une existence terriblement romanesque avec en son cœur la passion du savoir et de la liberté.
« Freud l’admirait, Nietzsche la vénérait, Rilke l’aimait… » Si ces quelques mots pour promouvoir le film et son héroïne font évidemment leur effet, on peut néanmoins déplorer qu’il faille le recours à ces hommes prestigieux pour définir… une féministe. Mais de fait, Lou Andreas-Salomé qui a vécu selon ses principes très avant-gardistes a moins de notoriété que chacun de ces trois hommes, et l’on sait gré à Cordula Kablitz-Post de lui consacrer un film ambitieux.
La réalisatrice avait découvert adolescente l’œuvre de cette écrivaine, philosophe et psychanalyste. Une trentaine d’années plus tard, elle entreprend des recherches sur Lou Andreas-Salomé – on célèbre en 2011 le 150e anniversaire de sa naissance. Faute d’images d’archives et d’enregistrements de la voix d’une femme décédée pourtant en 1937, Cordula Kablitz-Post renonce à un documentaire pour se lancer dans une fiction qui balaie toute une vie hors du commun.
Née en 1861 après cinq garçons, Louise von Salomé grandit à Saint-Pétersbourg, où son père, allemand d’origine française, est général de l’armée russe et conseiller d’État. Comme les siens, l’adolescente maîtrise parfaitement le russe, l’allemand et le français. Elle reçoit un enseignement de qualité par le pasteur hollandais Hendrik Gillot qui l’initie à la philosophie avec les auteurs grecs, Kant, Spinoza et Kierkegaard, éveille sa sensibilité à la poésie, lui enseigne l’histoire des religions.
Véritable mentor, il la rebaptise Lou. Mais il s’éprend de sa protégée et veut divorcer pour l’épouser. Choquée, elle refuse et part pour Zurich, la seule université ouverte aux femmes. Contrainte à s’installer en Italie à cause de sa santé fragile, elle entre dans le brillant cercle d’intellectuels, d’écrivains et d’artistes qu’anime à Rome ­Malwida von Meysenbug, une féministe allemande.
Elle fait la connaissance des philosophes Paul Rée et Friedrich Nietzsche qui, ébloui, interroge : « De quelles étoiles sommes-nous tombés pour nous rencontrer ? » Les deux hommes la demandent en mariage à plusieurs reprises. Refus catégoriques : elle tient à son indépendance. La jeune femme rêve d’une camaraderie à trois sous le même toit, alors que la loi punit toute cohabitation hors mariage. Il lui faut en passer par un pseudonyme masculin, Henri Lou, pour publier son premier roman, Combat pour Dieu, très remarqué. Suivront plus d’une vingtaine de livres : romans, essais sur Nietzsche, Ibsen et Rilke, traités de psychanalyse après sa rencontre décisive avec Sigmund Freud.
Si Lou von Salomé finit par accepter le mariage que lui propose, avec chantage au suicide, l’orientaliste Friedrich Carl Andreas, c’est selon des conditions strictes : une union non consommée qui lui laisse sa liberté de voyager. Elle pourra ainsi vivre, dix ans plus tard, une passion avec René Maria Rilke, son ­cadet de quatorze ans qu’elle rebaptise Rainer.
Le film déroule avec souffle les années et les décennies, les rencontres intellectuelles et amoureuses, les ruades et les pas de côté d’une femme trop libre pour son temps. Une narration plus complexe que nécessaire et quatre actrices pour différents âges avec peu de ressemblances éclatent quelque peu le récit. Mais chaque comédienne incarne Lou ­Andreas-Salomé avec une énergie intense, une intelligence lumineuse.
Conventionnelle, la réalisation est ponctuée, dans une métaphore transparente, de cartes postales sépia où l’héroïne apparaît en mouvement dans un décor figé. S’il est plus aisé de relater une existence qu’un parcours intellectuel, le film de Cordula Kablitz-Post se fait didactique pour montrer dans ses échanges avec Nietzsche, Rilke et Freud le rôle d’inspiratrice, de contradictrice et de penseuse qui fut le sien.
Corinne Renou-Nativel (La Croix)

Ciné Fac
jeudi 15 février 2018 à 19h45

présenté par Andrea Brünig, maîtresse de conférences au département d'Allemand à l'université d'Angers

Séance organisée en collaboration avec l'Université d'Angers et Cinéma Parlant dans le cadre de la semaine de cinéma de langue allemande


LOU ANDREAS SALOME

de Cordula Kablitz-Post

avec Katharina Lorenz, Nicole Heesters, Liv Lisa Fries
ALLEMAGNE - SUISSE - 2015 - 1h53 - VOST

Lou Andreas-Salomé, égérie intellectuelle, romancière et psychanalyste, décide d'écrire ses mémoires…
Elle retrace sa jeunesse parmi la communauté allemande de Saint-Pétersbourg, marquée par le voeu de poursuivre une vie intellectuelle et la certitude que le sexe, donc le mariage, place les femmes dans un rôle subordonné. Elle évoque ses relations mouvementées avec Nietzsche et Freud et la passion qui l'a unie à Rilke. Tous ses souvenirs révèlent une vie marquée par le conflit entre autonomie et intimité, et le désir de vivre sa liberté au lieu de seulement la prêcher comme ses confrères… 
http://www.bodegafilms.com/film/lou-andreas-salome/

A PROPOS

À Göttingen en 1933, les nazis amoncellent les livres sur les places et les brûlent. Dans sa grande maison, Lou Andreas­Salomé, 72 ans, vit quasiment en recluse. Son activité de psychanalyste la désigne comme suspecte aux yeux des nouvelles autorités. Lorsque Ernst Pfeiffer, un germaniste prisonnier d’impasses professionnelles et conjugales, sollicite son aide, elle répond ne plus pratiquer, mais lui demande de la seconder dans l’écriture de ses mémoires et l’ultime classement de ses papiers. Commence alors le récit d’une existence terriblement romanesque avec en son cœur la passion du savoir et de la liberté.
« Freud l’admirait, Nietzsche la vénérait, Rilke l’aimait… » Si ces quelques mots pour promouvoir le film et son héroïne font évidemment leur effet, on peut néanmoins déplorer qu’il faille le recours à ces hommes prestigieux pour définir… une féministe. Mais de fait, Lou Andreas-Salomé qui a vécu selon ses principes très avant-gardistes a moins de notoriété que chacun de ces trois hommes, et l’on sait gré à Cordula Kablitz-Post de lui consacrer un film ambitieux.
La réalisatrice avait découvert adolescente l’œuvre de cette écrivaine, philosophe et psychanalyste. Une trentaine d’années plus tard, elle entreprend des recherches sur Lou Andreas-Salomé – on célèbre en 2011 le 150e anniversaire de sa naissance. Faute d’images d’archives et d’enregistrements de la voix d’une femme décédée pourtant en 1937, Cordula Kablitz-Post renonce à un documentaire pour se lancer dans une fiction qui balaie toute une vie hors du commun.
Née en 1861 après cinq garçons, Louise von Salomé grandit à Saint-Pétersbourg, où son père, allemand d’origine française, est général de l’armée russe et conseiller d’État. Comme les siens, l’adolescente maîtrise parfaitement le russe, l’allemand et le français. Elle reçoit un enseignement de qualité par le pasteur hollandais Hendrik Gillot qui l’initie à la philosophie avec les auteurs grecs, Kant, Spinoza et Kierkegaard, éveille sa sensibilité à la poésie, lui enseigne l’histoire des religions.
Véritable mentor, il la rebaptise Lou. Mais il s’éprend de sa protégée et veut divorcer pour l’épouser. Choquée, elle refuse et part pour Zurich, la seule université ouverte aux femmes. Contrainte à s’installer en Italie à cause de sa santé fragile, elle entre dans le brillant cercle d’intellectuels, d’écrivains et d’artistes qu’anime à Rome ­Malwida von Meysenbug, une féministe allemande.
Elle fait la connaissance des philosophes Paul Rée et Friedrich Nietzsche qui, ébloui, interroge : « De quelles étoiles sommes-nous tombés pour nous rencontrer ? » Les deux hommes la demandent en mariage à plusieurs reprises. Refus catégoriques : elle tient à son indépendance. La jeune femme rêve d’une camaraderie à trois sous le même toit, alors que la loi punit toute cohabitation hors mariage. Il lui faut en passer par un pseudonyme masculin, Henri Lou, pour publier son premier roman, Combat pour Dieu, très remarqué. Suivront plus d’une vingtaine de livres : romans, essais sur Nietzsche, Ibsen et Rilke, traités de psychanalyse après sa rencontre décisive avec Sigmund Freud.
Si Lou von Salomé finit par accepter le mariage que lui propose, avec chantage au suicide, l’orientaliste Friedrich Carl Andreas, c’est selon des conditions strictes : une union non consommée qui lui laisse sa liberté de voyager. Elle pourra ainsi vivre, dix ans plus tard, une passion avec René Maria Rilke, son ­cadet de quatorze ans qu’elle rebaptise Rainer.
Le film déroule avec souffle les années et les décennies, les rencontres intellectuelles et amoureuses, les ruades et les pas de côté d’une femme trop libre pour son temps. Une narration plus complexe que nécessaire et quatre actrices pour différents âges avec peu de ressemblances éclatent quelque peu le récit. Mais chaque comédienne incarne Lou ­Andreas-Salomé avec une énergie intense, une intelligence lumineuse.
Conventionnelle, la réalisation est ponctuée, dans une métaphore transparente, de cartes postales sépia où l’héroïne apparaît en mouvement dans un décor figé. S’il est plus aisé de relater une existence qu’un parcours intellectuel, le film de Cordula Kablitz-Post se fait didactique pour montrer dans ses échanges avec Nietzsche, Rilke et Freud le rôle d’inspiratrice, de contradictrice et de penseuse qui fut le sien.
Corinne Renou-Nativel (La Croix)