FAUTE D'AMOUR - Andreï Zviaguintsev

A PROPOS

Andreï Zviaguintsev ne donne pas cher du genre humain. Faute d’amour, premier film de la compétition projeté le 17 mai, ne signale aucune amélioration de la cote de confiance en l’espèce du cinéaste russe. Pourtant, ce film qui vacille au bord du désespoir est peut-être le plus bouleversant de son auteur. Dans le paysage désolé du chauvinisme, de la bigoterie et de l’égoïsme qui enserrent la société russe, l’auteur de Leviathan cherche avec frénésie des raisons de ne pas se décourager, entraînant son film et son public dans cette quête. Ces parents indignes, qu’on aurait pris pour des criminels au début du film, deviennent comme une sœur et un frère en imperfection, et l’on sort épuisé mais étrangement apaisé de la rude épreuve qu’impose Zviaguintsev.

Genia (Mariana Spivak) et Boris (Alexeï Rozin) se haïssent. Il l’a trompée, et s’apprête à la quitter pour la très jeune femme qui attend son enfant. Elle le trompe aussi, avec un homme riche et plus âgé. Ils ont environ 35 ans et seraient tout à fait heureux de mettre fin à leur mariage, s’il ne leur restait pas quelques problèmes à régler. Vendre l’appartement, situé dans un ensemble de la périphérie de Moscou. Et surtout trouver un point de chute pour Aliocha, 12 ans, leur fils, dont ni l’un ni l’autre ne veut s’encombrer. Le premier moment terriblesurvient lorsque, au terme d’une dispute entre Genia et Boris, on découvre dans la pénombre le visage déformé par les larmes de l’enfant, qui vient d’entendre qu’il pourrait finir dans un orphelinat.

Un moment – qui paraît long lorsqu’on le traverse, mais qui restera comme un souvenir fugace après la fin du film–, le scénario s’attarde sur le quotidien des ­futurs ex-époux. Il est vendeur pour un patron intégriste, elle travaille dans un salon de beauté. Il incarne la nouvelle hypocrisie russe, elle l’hédonisme imbécile des nouveaux riches. On craint une critique systématique des perversions de la Russie, tonnée depuis une chaire de prophète de malheur, d’où Zviaguintsev a parfois prêché par le passé. Mais voilà qu’Aliocha disparaît, empêchant par son absence la séparation désirée de ses parents.

A partir de là, Faute d’amour se déploie comme un grand poème triste, une déploration sincère. Les parents, qui étaient jusque-là haïssables, deviennent des êtres humains à part entière (et Mariana Spivak, en mère qui a reçu en héritage la haine de l’amour maternel, est particulièrement impressionnante) ; très vite leur tourment, qu’on aurait pu prendre pour une juste rétribution de leur égoïsme, se transforme en vraie douleur.

Face à l’impéritie de la police, ils se tournent vers une ONG qui se consacre à la recherche des enfants disparus. Un homme d’allure militaire, qu’on ne connaîtra que sous le nom de « coordinateur », leur offre un secours désintéressé. La recherche d’Aliocha dans un paysage de plus en plus austère et enneigé (la disparition survient au début de l’automne) devient une quête de rédemption. Zviaguintsev est trop lucide pour lui donner une issue univoque. Ce n’est pas le but qui l’intéresse, mais le chemin parcouru. Même si, cette fois, c’est le triangle infernal, mère-père-enfant, qui détermine le cours du récit, il continue, comme dans Leviathan, de faire résonner le cours de l’Histoire et celui des destins individuels (le film commence en 2012, alors que la reprise en main de la vie publique se fait de plus en plus pesante, il se termine avec les nouvelles de la guerre en Ukraine orientale).

A l’écran, ce chemin passe par des bâtiments de l’ère soviétique désertés, une isba isolée dans laquelle survit la mère abominable de Genia et l’appartement monstrueux de son amant, les grands ensembles de la périphérie, et les bois de bouleaux qui s’insinuent entre les lambeaux de la ville. A chaque station de ce chemin de croix, le metteur en scène trouve le juste rapport entre ces décors et ses personnages, servi par la photographie froide et majestueuse de Mikhaïl Kritchman, par la musique funèbre et obsédante d’Evgueni et Sacha Galperine.

Thomas Sotinel (Le Monde)

Avant première
lundi 18 septembre 2017 à 20h15


FAUTE D'AMOUR

de Andreï Zviaguintsev

avec Maryana Spivak, Matvey Novikov, Andris Keishs
RUSSIE - 2017 - 2h07 - VOST - Prix du jury Cannes 2017

Boris et Genia sont en train de divorcer. Ils se disputent sans cesse et enchaînent les visites de leur appartement en vue de le vendre. Ils préparent déjà leur avenir respectif : Boris est en couple avec une jeune femme enceinte et Genia fréquente un homme aisé qui semble prêt à l'épouser... Aucun des deux ne semble avoir d'intérêt pour Aliocha, leur fils de 12 ans. Jusqu'à ce qu'il disparaisse. 
http://distrib.pyramidefilms.com/pyramide-distribution-catalogue/faute-amour-loveless.html

A PROPOS

Andreï Zviaguintsev ne donne pas cher du genre humain. Faute d’amour, premier film de la compétition projeté le 17 mai, ne signale aucune amélioration de la cote de confiance en l’espèce du cinéaste russe. Pourtant, ce film qui vacille au bord du désespoir est peut-être le plus bouleversant de son auteur. Dans le paysage désolé du chauvinisme, de la bigoterie et de l’égoïsme qui enserrent la société russe, l’auteur de Leviathan cherche avec frénésie des raisons de ne pas se décourager, entraînant son film et son public dans cette quête. Ces parents indignes, qu’on aurait pris pour des criminels au début du film, deviennent comme une sœur et un frère en imperfection, et l’on sort épuisé mais étrangement apaisé de la rude épreuve qu’impose Zviaguintsev.

Genia (Mariana Spivak) et Boris (Alexeï Rozin) se haïssent. Il l’a trompée, et s’apprête à la quitter pour la très jeune femme qui attend son enfant. Elle le trompe aussi, avec un homme riche et plus âgé. Ils ont environ 35 ans et seraient tout à fait heureux de mettre fin à leur mariage, s’il ne leur restait pas quelques problèmes à régler. Vendre l’appartement, situé dans un ensemble de la périphérie de Moscou. Et surtout trouver un point de chute pour Aliocha, 12 ans, leur fils, dont ni l’un ni l’autre ne veut s’encombrer. Le premier moment terriblesurvient lorsque, au terme d’une dispute entre Genia et Boris, on découvre dans la pénombre le visage déformé par les larmes de l’enfant, qui vient d’entendre qu’il pourrait finir dans un orphelinat.

Un moment – qui paraît long lorsqu’on le traverse, mais qui restera comme un souvenir fugace après la fin du film–, le scénario s’attarde sur le quotidien des ­futurs ex-époux. Il est vendeur pour un patron intégriste, elle travaille dans un salon de beauté. Il incarne la nouvelle hypocrisie russe, elle l’hédonisme imbécile des nouveaux riches. On craint une critique systématique des perversions de la Russie, tonnée depuis une chaire de prophète de malheur, d’où Zviaguintsev a parfois prêché par le passé. Mais voilà qu’Aliocha disparaît, empêchant par son absence la séparation désirée de ses parents.

A partir de là, Faute d’amour se déploie comme un grand poème triste, une déploration sincère. Les parents, qui étaient jusque-là haïssables, deviennent des êtres humains à part entière (et Mariana Spivak, en mère qui a reçu en héritage la haine de l’amour maternel, est particulièrement impressionnante) ; très vite leur tourment, qu’on aurait pu prendre pour une juste rétribution de leur égoïsme, se transforme en vraie douleur.

Face à l’impéritie de la police, ils se tournent vers une ONG qui se consacre à la recherche des enfants disparus. Un homme d’allure militaire, qu’on ne connaîtra que sous le nom de « coordinateur », leur offre un secours désintéressé. La recherche d’Aliocha dans un paysage de plus en plus austère et enneigé (la disparition survient au début de l’automne) devient une quête de rédemption. Zviaguintsev est trop lucide pour lui donner une issue univoque. Ce n’est pas le but qui l’intéresse, mais le chemin parcouru. Même si, cette fois, c’est le triangle infernal, mère-père-enfant, qui détermine le cours du récit, il continue, comme dans Leviathan, de faire résonner le cours de l’Histoire et celui des destins individuels (le film commence en 2012, alors que la reprise en main de la vie publique se fait de plus en plus pesante, il se termine avec les nouvelles de la guerre en Ukraine orientale).

A l’écran, ce chemin passe par des bâtiments de l’ère soviétique désertés, une isba isolée dans laquelle survit la mère abominable de Genia et l’appartement monstrueux de son amant, les grands ensembles de la périphérie, et les bois de bouleaux qui s’insinuent entre les lambeaux de la ville. A chaque station de ce chemin de croix, le metteur en scène trouve le juste rapport entre ces décors et ses personnages, servi par la photographie froide et majestueuse de Mikhaïl Kritchman, par la musique funèbre et obsédante d’Evgueni et Sacha Galperine.

Thomas Sotinel (Le Monde)