PREMIER CONTACT - Denis Villeneuve

A PROPOS

Une forme noire, titanesque et oblongue, lévite verticalement au-dessus de la surface de la Terre. En dépit de ses courbes, cette structure extra-terrestre sibylline suggère inéluctablement le monolithe de 2001, l’Odyssée de l’espace. À la différence qu’ici avec Premier Contact, l’intrigue se propose d’en pénétrer littéralement les arcanes. Denis Villeneuve affiche sans rougir un certain fétichisme à l’égard de Stanley Kubrick. Manière de rappeler peut-être que depuis 1968, plus aucun film de science-fiction hormis peut-être Solaris (Andrei Tarkovski, 1974) et dans une moindre mesure Alien (Ridley Scott, 1979) et Under the Skin (Jonathan Glazer, 2014) n’a au fond esquissé autre chose que l’exégèse du chef d’œuvre de l’Américain. L’heure n’est donc plus au bouleversement cinéphilique mais au commentaire. L’énigme métaphysique laissée par 2001 permet ici l’ouverture d’une boîte de Pandore : le Dr. Louise Banks, experte en linguistique, s’introduit avec une équipe de spécialistes au sein du curieux vaisseau spatial - on notera l’accointance avec Alien, autre film dialoguant intimement avec 2001. Sa mission, établie par le gouvernement américain consiste à déchiffrer le langage des créatures venues d’ailleurs pour comprendre leurs aspirations. Cette rencontre potentielle avec une nouvelle altérité singe aussi en creux les Rencontres du troisième type (Steven Spielberg, 1978) et autres Contact (Robert Zemeckis, 1997). Même si d’un point de vue plus strictement artistique, l’héritage est à chercher du côté de Jonathan Glazer et son kubrickien - encore - Under the Skin.

Mais au-delà de l’herméneutique kubrickienne, Denis Villeneuve poursuit ici ses mantras métaphoriques. Après le motif de l’arbre pour la filiation dans Prisoners, celui de l’araignée emprunté à Louise Bourgeois dans Enemy, ou encore celui du trou noir en guise de cas de conscience dans Sicario, le Canadien développe une nouvelle marotte : le palindrome. A l’image du fameux mot que l’on peut lire dans un sens comme dans l’autre, Premier Contact dispose d’une structure réversible. C’est ce même dispositif qui va permettre à Louise, son héroïne - Amy Adams, pugnace et écorchée telle Emily Blunt dans Sicario - de potentiellement trouver la rédemption là où tout semble perdu pour elle. Parce que Premier Contact puise comme tout film fantastique sa rhétorique dans l’intime et la résolution d’un traumatisme psychologique, ces douze vaisseaux se posant sur la surface de la Terre ne sont que l’image de la blessure de Louise. Elle qui a perdu un être cher perçoit le monde qui l’entoure comme un univers dévasté, au bord de la fin du monde. C’est donc à elle et à elle seule de résoudre un problème d’envergure mondiale : trouver un moyen de communiquer avec le supposé envahisseur. Tous ces plans d’espaces internationaux occupés par des vaisseaux titanesques qui flottent dans l’air représentent ainsi le symptôme d’une contamination mentale - voir par exemple les surimpressions entre l’ovale du visage de Sophie et celui de la structure du vaisseau. Denis Villeneuve en profite cependant pour rapprocher cette difficulté personnelle d’un bouleversement géopolitique : outre la possible imminence d’un conflit interplanétaire, se profile dans le même temps toutes les théories du complot possibles et imaginables. Comme Louise tentant de s’extirper de son deuil et de retrouver goût en l’existence, notre planète se retrouve en proie à une situation cataclysmique.

Science-fiction, surnaturel, thriller, mélodrame… Villeneuve brasse ici comme souvent de nombreux genres. La combinaison fonctionne à merveille, épaulée qu’elle est par une réalisation splendide - même si la photographie de Bradford Young ne vaut pas celle de Roger Deakins (Prisoners, Sicario…). Très loin du sérieux et du superfétatoire de Christopher Nolan, dont quelques-uns des films peuvent par moment faire penser à Premier Contact, le cinéaste ne néglige pas ses personnages et leur apporte même de la douceur. En cela, la dynamique rappelle celle du malickien Jeff Nichols. A noter que comme à l’accoutumée, l’écriture fait la part belle aux archétypes : la figure du jeune soldat assistant les séances de Louise avec les extraterrestres, de même que l’agent Halpbern, est par exemple celle d’un Iago, celle d’un homme ayant, par peur, perdu foi en l’altérité. De quoi polariser l’angélisme du scientifique Ian Donnelly - drolatique et affectueux Jeremy Renner. Mais aussi brillant soit ce huitième long métrage de Denis Villeneuve, aussi astucieuse soit sa direction artistique - mention spéciale pour les vaisseaux, les aliens-poulpes à la The Mist et leur encre en guise de langage -, Premier Contact présente quelques signes d’essoufflements eu égard par exemple à Sicario. La faute certainement à un manque de renouvellement de la part du cinéaste, qui ne fait finalement que réarticuler ses obsessions, et à un certain appesantissement dans le final. Avec un soin minutieux et une facilité enfantine à jongler entre la grandiloquence du film d’invasion extraterrestre et des enjeux plus resserrés - la famille brisée -, Denis Villeneuve démontre néanmoins s’il en faut une nouvelle fois toute l’étendue de ses dispositions de metteur en scène.

Alexandre Jourdain (Avoiralire.com)

Avant première
lundi 5 décembre 2016 à 20h30


PREMIER CONTACT

de Denis Villeneuve

Avec Amy Adams, Jeremy Renner, Forest Whitaker
USA - 2016 - 1h56 - VOST

Lorsque de mystérieux vaisseaux venus du fond de l’espace surgissent un peu partout sur Terre, une équipe d’experts est rassemblée sous la direction de la linguiste Louise Banks afin de tenter de comprendre leurs intentions.
Face à l’énigme que constituent leur présence et leurs messages mystérieux, les réactions dans le monde sont extrêmes et l’humanité se retrouve bientôt au bord d’une guerre absolue. Louise Banks et son équipe n’ont que très peu de temps pour trouver des réponses. Pour les obtenir, la jeune femme va prendre un risque qui pourrait non seulement lui coûter la vie, mais détruire le genre humain…

https://www.facebook.com/PremierContact.LeFilm/?fref=ts

A PROPOS

Une forme noire, titanesque et oblongue, lévite verticalement au-dessus de la surface de la Terre. En dépit de ses courbes, cette structure extra-terrestre sibylline suggère inéluctablement le monolithe de 2001, l’Odyssée de l’espace. À la différence qu’ici avec Premier Contact, l’intrigue se propose d’en pénétrer littéralement les arcanes. Denis Villeneuve affiche sans rougir un certain fétichisme à l’égard de Stanley Kubrick. Manière de rappeler peut-être que depuis 1968, plus aucun film de science-fiction hormis peut-être Solaris (Andrei Tarkovski, 1974) et dans une moindre mesure Alien (Ridley Scott, 1979) et Under the Skin (Jonathan Glazer, 2014) n’a au fond esquissé autre chose que l’exégèse du chef d’œuvre de l’Américain. L’heure n’est donc plus au bouleversement cinéphilique mais au commentaire. L’énigme métaphysique laissée par 2001 permet ici l’ouverture d’une boîte de Pandore : le Dr. Louise Banks, experte en linguistique, s’introduit avec une équipe de spécialistes au sein du curieux vaisseau spatial - on notera l’accointance avec Alien, autre film dialoguant intimement avec 2001. Sa mission, établie par le gouvernement américain consiste à déchiffrer le langage des créatures venues d’ailleurs pour comprendre leurs aspirations. Cette rencontre potentielle avec une nouvelle altérité singe aussi en creux les Rencontres du troisième type (Steven Spielberg, 1978) et autres Contact (Robert Zemeckis, 1997). Même si d’un point de vue plus strictement artistique, l’héritage est à chercher du côté de Jonathan Glazer et son kubrickien - encore - Under the Skin.

Mais au-delà de l’herméneutique kubrickienne, Denis Villeneuve poursuit ici ses mantras métaphoriques. Après le motif de l’arbre pour la filiation dans Prisoners, celui de l’araignée emprunté à Louise Bourgeois dans Enemy, ou encore celui du trou noir en guise de cas de conscience dans Sicario, le Canadien développe une nouvelle marotte : le palindrome. A l’image du fameux mot que l’on peut lire dans un sens comme dans l’autre, Premier Contact dispose d’une structure réversible. C’est ce même dispositif qui va permettre à Louise, son héroïne - Amy Adams, pugnace et écorchée telle Emily Blunt dans Sicario - de potentiellement trouver la rédemption là où tout semble perdu pour elle. Parce que Premier Contact puise comme tout film fantastique sa rhétorique dans l’intime et la résolution d’un traumatisme psychologique, ces douze vaisseaux se posant sur la surface de la Terre ne sont que l’image de la blessure de Louise. Elle qui a perdu un être cher perçoit le monde qui l’entoure comme un univers dévasté, au bord de la fin du monde. C’est donc à elle et à elle seule de résoudre un problème d’envergure mondiale : trouver un moyen de communiquer avec le supposé envahisseur. Tous ces plans d’espaces internationaux occupés par des vaisseaux titanesques qui flottent dans l’air représentent ainsi le symptôme d’une contamination mentale - voir par exemple les surimpressions entre l’ovale du visage de Sophie et celui de la structure du vaisseau. Denis Villeneuve en profite cependant pour rapprocher cette difficulté personnelle d’un bouleversement géopolitique : outre la possible imminence d’un conflit interplanétaire, se profile dans le même temps toutes les théories du complot possibles et imaginables. Comme Louise tentant de s’extirper de son deuil et de retrouver goût en l’existence, notre planète se retrouve en proie à une situation cataclysmique.

Science-fiction, surnaturel, thriller, mélodrame… Villeneuve brasse ici comme souvent de nombreux genres. La combinaison fonctionne à merveille, épaulée qu’elle est par une réalisation splendide - même si la photographie de Bradford Young ne vaut pas celle de Roger Deakins (Prisoners, Sicario…). Très loin du sérieux et du superfétatoire de Christopher Nolan, dont quelques-uns des films peuvent par moment faire penser à Premier Contact, le cinéaste ne néglige pas ses personnages et leur apporte même de la douceur. En cela, la dynamique rappelle celle du malickien Jeff Nichols. A noter que comme à l’accoutumée, l’écriture fait la part belle aux archétypes : la figure du jeune soldat assistant les séances de Louise avec les extraterrestres, de même que l’agent Halpbern, est par exemple celle d’un Iago, celle d’un homme ayant, par peur, perdu foi en l’altérité. De quoi polariser l’angélisme du scientifique Ian Donnelly - drolatique et affectueux Jeremy Renner. Mais aussi brillant soit ce huitième long métrage de Denis Villeneuve, aussi astucieuse soit sa direction artistique - mention spéciale pour les vaisseaux, les aliens-poulpes à la The Mist et leur encre en guise de langage -, Premier Contact présente quelques signes d’essoufflements eu égard par exemple à Sicario. La faute certainement à un manque de renouvellement de la part du cinéaste, qui ne fait finalement que réarticuler ses obsessions, et à un certain appesantissement dans le final. Avec un soin minutieux et une facilité enfantine à jongler entre la grandiloquence du film d’invasion extraterrestre et des enjeux plus resserrés - la famille brisée -, Denis Villeneuve démontre néanmoins s’il en faut une nouvelle fois toute l’étendue de ses dispositions de metteur en scène.

Alexandre Jourdain (Avoiralire.com)