LA MORT DE LOUIS XIV  - Albert Serra

A PROPOS


« La Mort de Louis XIV » : le soleil couchant d’un roi couché

C’est une joie, et c’est une souffrance. C’est peut-être cette phrase, sobre et pleine, que Gérard Depardieu dit à Catherine Deneuve à la fin du Dernier métro, qui traduirait le mieux le sentiment que procure la vision de La Mort de Louis XIV, d’Albert Serra. Pendant une heure et demie, le cinéaste catalan filme Jean-Pierre Léaud dans le rôle du Roi-Soleil arrivé au seuil de son existence, alors que la gangrène le ronge de l’intérieur. Ce mythe de la jeunesse éternelle, à jamais attaché au personnage d’Antoine Doinel et à la Nouvelle Vague, est aujourd’hui un vieillard. Et ce film inouï est son requiem.

Dans la pénombre de sa chambre, la caméra scrute son visage éclairé à la bougie, caresse les rides qui le creusent, le tressaillement de ses joues quand il sourit, le tremblement de ses mains quand il porte une cuiller à sa bouche, la sueur qui luit sur son visage quand la fièvre l’assaille… Tandis qu’à son chevet se relaient, dans un ballet silencieux, une kyrielle de courtisans, médecins plus ou moins charlatans, représentants de l’église, valets, et autres conseillers militaires aux accents exotiques, le vieil acteur explore une palette de jeux extraordinaire.

Souverain au milieu d’une cour qui le flatte sans vergogne, qui applaudit à la moindre de ses déglutitions (mention spéciale à l’hilarant charlatan espagnol qui considère la vérole comme une jolie rose), soudain réduit à la condition de corps déliquescent secoué par les spasmes, râlant à la mort pendant de longues minutes, il se montre émouvant avec son petit-fils, le dauphin, et plus encore avec ses chiens, et trouve encore le moyen d’exprimer sa personnalité fantasque dans les interstices.

Depuis Honor de Cavalleria, variation ascétique sur l’errance dans la Mancha de Don Quichotte et Sancho Pança qui le conduisit, en 2006, à la Quinzaine des réalisateurs, Albert Serra construit son œuvre en se confrontant aux grands mythes occidentaux – les rois mages dans Le Chant des oiseaux, Casanova et Dracula dans Histoire de ma mort, et d’autres encore dans ses installations d’art contemporain. Avec l’hybridation géniale qu’il propose ici, du plus grand roi de France et de son plus grand acteur, il chante l’oraison funèbre de la Nouvelle Vague en prenant au pied de la lettre l’expression de Jean Cocteau : « Le cinéma, c’est filmer la mort au travail. »

Il offre surtout un magnifique cadeau à Jean-Pierre Léaud, dont le dernier grand rôle, celui du Pornographe, de Bertrand Bonello, remonte à 2001 et qu’on se contentait depuis de voir disséminer à droite à gauche, dans de jolies apparitions, les miettes de sa grandeur passée. En le consacrant monarque absolu du cinéma français, il offre à son mythe un écrin beau comme un Rembrandt, que l’Histoire semblait attendre sans oser le demander.

Isabelle Regnier (Le Monde)

Avant première
lundi 24 octobre 2016 à 19h45


LA MORT DE LOUIS XIV

de Albert Serra

avec Jean-Pierre Léaud, Patrick d'Assumçao, Irène Silvagni
FRANCE - 1h45 - 2016 - Cannes 2016

Août 1715. À son retour de promenade, Louis XIV ressent une vive douleur à la jambe. Les jours suivants, le Roi poursuit ses obligations mais ses nuits sont agitées, la fièvre le gagne. Il se nourrit peu et s'affaiblit de plus en plus. C’est le début de la lente agonie du plus grand roi de France, entouré de ses fidèles et de ses médecins.

http://www.capricci.fr/mort-louis-xiv-la-2015-albert-serra-365.html

A PROPOS


« La Mort de Louis XIV » : le soleil couchant d’un roi couché

C’est une joie, et c’est une souffrance. C’est peut-être cette phrase, sobre et pleine, que Gérard Depardieu dit à Catherine Deneuve à la fin du Dernier métro, qui traduirait le mieux le sentiment que procure la vision de La Mort de Louis XIV, d’Albert Serra. Pendant une heure et demie, le cinéaste catalan filme Jean-Pierre Léaud dans le rôle du Roi-Soleil arrivé au seuil de son existence, alors que la gangrène le ronge de l’intérieur. Ce mythe de la jeunesse éternelle, à jamais attaché au personnage d’Antoine Doinel et à la Nouvelle Vague, est aujourd’hui un vieillard. Et ce film inouï est son requiem.

Dans la pénombre de sa chambre, la caméra scrute son visage éclairé à la bougie, caresse les rides qui le creusent, le tressaillement de ses joues quand il sourit, le tremblement de ses mains quand il porte une cuiller à sa bouche, la sueur qui luit sur son visage quand la fièvre l’assaille… Tandis qu’à son chevet se relaient, dans un ballet silencieux, une kyrielle de courtisans, médecins plus ou moins charlatans, représentants de l’église, valets, et autres conseillers militaires aux accents exotiques, le vieil acteur explore une palette de jeux extraordinaire.

Souverain au milieu d’une cour qui le flatte sans vergogne, qui applaudit à la moindre de ses déglutitions (mention spéciale à l’hilarant charlatan espagnol qui considère la vérole comme une jolie rose), soudain réduit à la condition de corps déliquescent secoué par les spasmes, râlant à la mort pendant de longues minutes, il se montre émouvant avec son petit-fils, le dauphin, et plus encore avec ses chiens, et trouve encore le moyen d’exprimer sa personnalité fantasque dans les interstices.

Depuis Honor de Cavalleria, variation ascétique sur l’errance dans la Mancha de Don Quichotte et Sancho Pança qui le conduisit, en 2006, à la Quinzaine des réalisateurs, Albert Serra construit son œuvre en se confrontant aux grands mythes occidentaux – les rois mages dans Le Chant des oiseaux, Casanova et Dracula dans Histoire de ma mort, et d’autres encore dans ses installations d’art contemporain. Avec l’hybridation géniale qu’il propose ici, du plus grand roi de France et de son plus grand acteur, il chante l’oraison funèbre de la Nouvelle Vague en prenant au pied de la lettre l’expression de Jean Cocteau : « Le cinéma, c’est filmer la mort au travail. »

Il offre surtout un magnifique cadeau à Jean-Pierre Léaud, dont le dernier grand rôle, celui du Pornographe, de Bertrand Bonello, remonte à 2001 et qu’on se contentait depuis de voir disséminer à droite à gauche, dans de jolies apparitions, les miettes de sa grandeur passée. En le consacrant monarque absolu du cinéma français, il offre à son mythe un écrin beau comme un Rembrandt, que l’Histoire semblait attendre sans oser le demander.

Isabelle Regnier (Le Monde)