RESTER VERTICAL - Alain Guiraudie

A PROPOS

Par débordements poétiques, Alain Guiraudie donne à penser un cinéma fait de dérèglements jouissifs. Où l’érotisme, la politique et notre société convergent en un grand big bang radical et licencieux. Superbe et touchant.

L’ouverture de Rester Vertical sur une route de campagne, avec d’un côté un jeune homme maussade, et de l’autre un vieil homme sédentaire, l’air bonhomme, fixe déjà les règles du nouveau dispositif de Guiraudie. Dès le départ, le film repose sur une négation. S’avançant en voiture sur le chemin, Léo les dépasse puis fait demi-tour - premier changement. Celui-ci demande au jeune homme s’il désire jouer dans un film, lui précise que son physique est cinégénique. Lui n’en a que faire, argue qu’il n’est pas intéressé. Cut, le titre apparaît sur fond noir. Ce refus inaugural structure peut-être toute la verticalité - à penser comme une barrière, une radicalité - de Rester Vertical, œuvre qui préfère arrêter, juguler le regard et les espérances là où l’horizon du lac du précédent Guiraudie préférait les ouvertures béantes, totales. Plutôt que les plans d’éjaculations plein cadre, par exemple, le cinéaste cadre le sexe paresseux de Léo dans la main de Marie. Ou filme celui de cette dernière en plein accouchement jusqu’à la rupture du cordon, autre séparation.

En lieu et place de l’espace circonscrit mais infini de L’inconnu du Lac, Guiraudie met en scène des parcelles opposées et inconciliables dans Rester Vertical. Initiée sur une route en aval des Causses, l’intrigue - toujours indécise - sera partagée entre la ville, les grands espaces et une ferme. Le propos pourrait d’abord sonner comme un récit exclusivement social, à commencer par un discours en filigrane sur la place de l’agriculture aujourd’hui, mais les pistes se multiplient très vite et débouchent sur des questions plus existentielles. Léo est un homme désireux de trouver l’inspiration pour écrire un scénario et tourner un film. C’est dans ce contexte qu’il recherche le loup, obstinément, même si c’est sans surprise en l’homme qu’il se niche. Sur le sentier d’un causse arpenté avidement, il croise une bergère esseulée, Marie, avec laquelle il a bientôt un enfant. Enfant dont la jeune femme, en proie au baby blues, préfère se délester. Dans Rester Vertical, aucun protagoniste ne trouve son équilibre : Marie vit seule avec deux enfants chez son père, lui-même esseulé. Le vieil homme rencontré en bord de route, Marcel, a perdu sa femme. Et l’adolescent qui vit chez lui, avec lequel il n’a aucun lien de parenté, fait figure de greffe protubérante. Aucun des personnages ne trouve ainsi de plénitude, aussi bien sur le plan personnel qu’avec le monde environnant. Pourtant, par vents et marées, ces derniers restent verticaux, ne cèdent jamais au renoncement. Pourtant, leur rencontre avec Léo, sorte de Jésus Christ, va faire office de déclencheur pour chacun d’entre eux, comme si tous trouvaient soudainement grâce à lui un sens à leur existence.

Les brebis, la bergère, le loup, les causses façon jardin d’éden, l’enfantement... Alain Guiraudie multiplie comme souvent les allégories religieuses. Les plans, tour à tour oniriques et réalistes, sont superbes, rivalisant parfois avec le cadre enchanteur mais vénéneux de L’inconnu du lac et de Le roi de l’évasion. Dans une urgence fiévreuse et bien évidemment radicale, le français va jusqu’à altérer les relations qu’entretiennent initialement les protagonistes du film. Bientôt, les uns deviennent les amants des autres et inversement. Seul Léo, toujours en retrait vis à vis de ces dérèglements saisissants du scénario, ne se voit qu’à de rares exceptions gratifié par l’amour de l’autre. Inexplicablement mais inexorablement, celui-ci glisse vers la déchéance, se retrouve même dénudé dans une fureur démente par des sans-abris amoncelés sous un pont - là-même où quelques semaines plus tôt, pourtant, il donnait quelques pièces de monnaie à un malheureux mutique alors qu’il portait son bébé dans les bras. Au bout du compte, les trajectoires possibles de l’intrigue, sans cesse contenues, avortées ou démultipliées dans Rester Vertical sont encore une fois la preuve, s’il en fallait une, d’une sédition chez Guiraudie. Énième mise en scène de nouveaux fragments d’une utopie politique et sexuelle, où les genres n’existent plus et où les impressions et les sensations valent plus que le cheminement du scénario, scénario que le producteur de Léo dira, dans une séquence délirante, n’avoir toujours pas reçu. Ainsi, l’humour, la transgression - voir ces incalculables gros plans sur les sexes des uns et des autres, entrouvert, en érection ou au repos -, l’inventivité, participent d’une idée d’un cinéma polisson et libre, traitant des sujets politiques ou sociaux par débordements poétiques - Rester Vertical, nouveau slogan de Nuit Debout ? La preuve que même lorsque Alain Guiraudie prend à contre-courant le découpage corseté et sur-maîtrisé de L’inconnu du lac, son cinéma brille toujours.

Alexandre Jourdain (Avoiralire.com)

Soirée rencontre / Les Ateliers d'Angers
dimanche 28 août 2016 à 20h15

Projection suivie d'une rencontre avec le réalisateur

Soirée organisée en collaboration avec l'association "Premiers Plans"


RESTER VERTICAL

de Alain Guiraudie

avec Damien Bonnard, India Hair, Raphaël Thiéry
FRANCE - 2016 - 1h40 - Cannes 2016

Léo est à la recherche du loup sur un grand causse de Lozère lorsqu'il rencontre une bergère, Marie. Quelques mois plus tard, ils ont un enfant. En proie au baby blues, et sans aucune confiance en Léo qui s'en va et puis revient sans prévenir, elle les abandonne tous les deux. Léo se retrouve alors avec un bébé sur les bras. C'est compliqué mais au fond, il aime bien ça. Et pendant ce temps, il ne travaille pas beaucoup, il sombre peu à peu dans la misère. C'est la déchéance sociale qui le ramène vers les causses de Lozère et vers le loup.
http://www.filmsdulosange.fr/fr/film/227/rester-vertical

A PROPOS

Par débordements poétiques, Alain Guiraudie donne à penser un cinéma fait de dérèglements jouissifs. Où l’érotisme, la politique et notre société convergent en un grand big bang radical et licencieux. Superbe et touchant.

L’ouverture de Rester Vertical sur une route de campagne, avec d’un côté un jeune homme maussade, et de l’autre un vieil homme sédentaire, l’air bonhomme, fixe déjà les règles du nouveau dispositif de Guiraudie. Dès le départ, le film repose sur une négation. S’avançant en voiture sur le chemin, Léo les dépasse puis fait demi-tour - premier changement. Celui-ci demande au jeune homme s’il désire jouer dans un film, lui précise que son physique est cinégénique. Lui n’en a que faire, argue qu’il n’est pas intéressé. Cut, le titre apparaît sur fond noir. Ce refus inaugural structure peut-être toute la verticalité - à penser comme une barrière, une radicalité - de Rester Vertical, œuvre qui préfère arrêter, juguler le regard et les espérances là où l’horizon du lac du précédent Guiraudie préférait les ouvertures béantes, totales. Plutôt que les plans d’éjaculations plein cadre, par exemple, le cinéaste cadre le sexe paresseux de Léo dans la main de Marie. Ou filme celui de cette dernière en plein accouchement jusqu’à la rupture du cordon, autre séparation.

En lieu et place de l’espace circonscrit mais infini de L’inconnu du Lac, Guiraudie met en scène des parcelles opposées et inconciliables dans Rester Vertical. Initiée sur une route en aval des Causses, l’intrigue - toujours indécise - sera partagée entre la ville, les grands espaces et une ferme. Le propos pourrait d’abord sonner comme un récit exclusivement social, à commencer par un discours en filigrane sur la place de l’agriculture aujourd’hui, mais les pistes se multiplient très vite et débouchent sur des questions plus existentielles. Léo est un homme désireux de trouver l’inspiration pour écrire un scénario et tourner un film. C’est dans ce contexte qu’il recherche le loup, obstinément, même si c’est sans surprise en l’homme qu’il se niche. Sur le sentier d’un causse arpenté avidement, il croise une bergère esseulée, Marie, avec laquelle il a bientôt un enfant. Enfant dont la jeune femme, en proie au baby blues, préfère se délester. Dans Rester Vertical, aucun protagoniste ne trouve son équilibre : Marie vit seule avec deux enfants chez son père, lui-même esseulé. Le vieil homme rencontré en bord de route, Marcel, a perdu sa femme. Et l’adolescent qui vit chez lui, avec lequel il n’a aucun lien de parenté, fait figure de greffe protubérante. Aucun des personnages ne trouve ainsi de plénitude, aussi bien sur le plan personnel qu’avec le monde environnant. Pourtant, par vents et marées, ces derniers restent verticaux, ne cèdent jamais au renoncement. Pourtant, leur rencontre avec Léo, sorte de Jésus Christ, va faire office de déclencheur pour chacun d’entre eux, comme si tous trouvaient soudainement grâce à lui un sens à leur existence.

Les brebis, la bergère, le loup, les causses façon jardin d’éden, l’enfantement... Alain Guiraudie multiplie comme souvent les allégories religieuses. Les plans, tour à tour oniriques et réalistes, sont superbes, rivalisant parfois avec le cadre enchanteur mais vénéneux de L’inconnu du lac et de Le roi de l’évasion. Dans une urgence fiévreuse et bien évidemment radicale, le français va jusqu’à altérer les relations qu’entretiennent initialement les protagonistes du film. Bientôt, les uns deviennent les amants des autres et inversement. Seul Léo, toujours en retrait vis à vis de ces dérèglements saisissants du scénario, ne se voit qu’à de rares exceptions gratifié par l’amour de l’autre. Inexplicablement mais inexorablement, celui-ci glisse vers la déchéance, se retrouve même dénudé dans une fureur démente par des sans-abris amoncelés sous un pont - là-même où quelques semaines plus tôt, pourtant, il donnait quelques pièces de monnaie à un malheureux mutique alors qu’il portait son bébé dans les bras. Au bout du compte, les trajectoires possibles de l’intrigue, sans cesse contenues, avortées ou démultipliées dans Rester Vertical sont encore une fois la preuve, s’il en fallait une, d’une sédition chez Guiraudie. Énième mise en scène de nouveaux fragments d’une utopie politique et sexuelle, où les genres n’existent plus et où les impressions et les sensations valent plus que le cheminement du scénario, scénario que le producteur de Léo dira, dans une séquence délirante, n’avoir toujours pas reçu. Ainsi, l’humour, la transgression - voir ces incalculables gros plans sur les sexes des uns et des autres, entrouvert, en érection ou au repos -, l’inventivité, participent d’une idée d’un cinéma polisson et libre, traitant des sujets politiques ou sociaux par débordements poétiques - Rester Vertical, nouveau slogan de Nuit Debout ? La preuve que même lorsque Alain Guiraudie prend à contre-courant le découpage corseté et sur-maîtrisé de L’inconnu du lac, son cinéma brille toujours.

Alexandre Jourdain (Avoiralire.com)