PRÉJUDICE - Antoine Cuypers

A PROPOS

Prix du Public lors de l’édition 2016 du Festival Premiers Plans d’Angers, Préjudice impose un silence glaçant. Scalpel chirurgical qui opère une découpe tranchante de la petite bourgeoisie de province (le film est en fait une coproduction belge et luxembourgeoise, tournée au Luxembourg), le premier long d’Antoine Cuypers distille un savoureux malaise autour d’un dîner de famille qui atteint un paroxysme dans la tension.
Fort de modèles déjà épatants (Festen, les oeuvre cliniques de Michael Haneke, comme Funny Games), Préjudice impose un personnage lunaire, inadapté au monde, dont le sourire semble avoir été effacé du visage dès sa prime jeunesse. Cédric, trentenaire au physique un peu adolescent, vit cloîtré chez ses parents, avec l’espoir, un jour, d’aller visiter l’Autriche de ses rêves. Un voyage systématiquement différé par sa mère surprotectrice.

Mais de quoi souffre Cédric, incapable d’actes quotidiens, du luxe commun de l’indépendance, autiste dans une bulle de déprime où le fantasme d’une nature verdoyante lui fait retrouver l’envie de continuer à vivre ? Le cinéaste ne nous le dit pas, mais oriente le repas sous très haute tension vers des relations familiales complexes, en particulier en direction de la mère dont la froideur traumatisante pourrait, pourquoi pas, insinuer l’original du mal-être. Mais ne pourrait-il pas être partagé ?
Au cœur d’une gigantesque demeure à palier, où les secrets confinés sont autant de rebondissements à chaque étage, la présentation des personnages adroitement brossée est essentielle à la cohésion psychologique du drame humain qui vire au calvaire de vie. Dans le rôle d’une mère courage qui évolue en matrice prédatrice, en tout cas castratrice, Nathalie Baye, épate par l’intensité de son jeu. Avec un brio de chaque instant, elle incarne à la fois le sacrifice maternel, la victime et le bourreau quand le danger semble venir autant de son engeance borderline que d’elle-même. Alors que l’étau se resserre et que la langue vipérine de son fils en quête de reconnaissance se délie, son approche du personnage est digne des rôles fêlés alignés par Isabelle Huppert depuis des décennies, celui d’une femme tarie à l’intérieur de tout sentiment, sèche des aléas de la vie, et pourtant jamais dans le renoncement. Elle écrase le spectateur de ses regards, réfutant toute responsabilité des maux qui tourmentent son fils "anormal", qui, dans une hystérie effroyable, et un jeu de manipulation qui monte en crescendo, clame en tout cas, ne pas l’être.

Dans notre belle famille, nous citerons aussi, le père. Accablé par le regret, celui du silence, de la lâcheté et de la soumission, ce rôle plus en recul est joué par l’immense Arno, impeccable, alors que l’on croise autour de la table notamment Eric Caravaca en beau-frère ou beau-fils, tout dépend du point de vue où l’on se place. Et justement, le jeu des points de vue est ce qui fait la force de cette analyse sous cloche de la famille, effroyablement vénéneuse et anxiogène. Le cinéaste fin manipulateur, notamment dans la tension qu’il instaure, démontre une ahurissante maîtrise narrative, mais aussi technique.
Brillamment mis en scène, avec, notamment, un plan séquence formidable et une scène anthologique tournée au ralenti, dans le jardin sous la pluie, qui convoque l’irréel, Préjudice épate par sa forme autant que par son fond, suscitant un malaise que l’on avait rarement ressenti de façon aussi trouble et menaçante au cinéma. Il faut dire que Thomas Blanchard, l’ado déprimé de Bon Plan (1999), incarne cette forme de dépression sans retour, avec une puissance et une désespérance sidérantes. Un César, pour le monsieur. Et pour l’ensemble de l’oeuvre, s’il vous plaît.

Frédéric Mignard (aVoiraLire.com)

Soirée rencontre
mardi 4 octobre 2016 à 20h15

En présence de Gérard Seyeux et Dominique  Fraboulet,
psychanalystes et membres de l'association de la cause freudienne à Angers.


PRÉJUDICE

de Antoine Cuypers

avec Nathalie Baye, Arno Hintjens, Thomas Blanchard
BELGIQUE - LUXEMBOURG - PAYS BAS - 2016 - 1h45 - Prix du public Festival Premiers Plans 2016

Lors d'un repas de famille, Cédric, la trentaine, vivant toujours chez ses parents, apprend que sa soeur attend un enfant. Alors que tout le monde se réjouit de cette nouvelle, elle provoque chez lui un ressentiment qui va se transformer en fureur. Il tente alors d'établir, aux yeux des autres, le préjudice dont il se sent victime depuis toujours. Entre non-dits et paranoïa, révolte et faux-semblants, jusqu'où une famille peut-elle aller pour préserver son équilibre ?
http://www.filmsdulosange.fr/fr/film/221/prejudice

A PROPOS

Prix du Public lors de l’édition 2016 du Festival Premiers Plans d’Angers, Préjudice impose un silence glaçant. Scalpel chirurgical qui opère une découpe tranchante de la petite bourgeoisie de province (le film est en fait une coproduction belge et luxembourgeoise, tournée au Luxembourg), le premier long d’Antoine Cuypers distille un savoureux malaise autour d’un dîner de famille qui atteint un paroxysme dans la tension.
Fort de modèles déjà épatants (Festen, les oeuvre cliniques de Michael Haneke, comme Funny Games), Préjudice impose un personnage lunaire, inadapté au monde, dont le sourire semble avoir été effacé du visage dès sa prime jeunesse. Cédric, trentenaire au physique un peu adolescent, vit cloîtré chez ses parents, avec l’espoir, un jour, d’aller visiter l’Autriche de ses rêves. Un voyage systématiquement différé par sa mère surprotectrice.

Mais de quoi souffre Cédric, incapable d’actes quotidiens, du luxe commun de l’indépendance, autiste dans une bulle de déprime où le fantasme d’une nature verdoyante lui fait retrouver l’envie de continuer à vivre ? Le cinéaste ne nous le dit pas, mais oriente le repas sous très haute tension vers des relations familiales complexes, en particulier en direction de la mère dont la froideur traumatisante pourrait, pourquoi pas, insinuer l’original du mal-être. Mais ne pourrait-il pas être partagé ?
Au cœur d’une gigantesque demeure à palier, où les secrets confinés sont autant de rebondissements à chaque étage, la présentation des personnages adroitement brossée est essentielle à la cohésion psychologique du drame humain qui vire au calvaire de vie. Dans le rôle d’une mère courage qui évolue en matrice prédatrice, en tout cas castratrice, Nathalie Baye, épate par l’intensité de son jeu. Avec un brio de chaque instant, elle incarne à la fois le sacrifice maternel, la victime et le bourreau quand le danger semble venir autant de son engeance borderline que d’elle-même. Alors que l’étau se resserre et que la langue vipérine de son fils en quête de reconnaissance se délie, son approche du personnage est digne des rôles fêlés alignés par Isabelle Huppert depuis des décennies, celui d’une femme tarie à l’intérieur de tout sentiment, sèche des aléas de la vie, et pourtant jamais dans le renoncement. Elle écrase le spectateur de ses regards, réfutant toute responsabilité des maux qui tourmentent son fils "anormal", qui, dans une hystérie effroyable, et un jeu de manipulation qui monte en crescendo, clame en tout cas, ne pas l’être.

Dans notre belle famille, nous citerons aussi, le père. Accablé par le regret, celui du silence, de la lâcheté et de la soumission, ce rôle plus en recul est joué par l’immense Arno, impeccable, alors que l’on croise autour de la table notamment Eric Caravaca en beau-frère ou beau-fils, tout dépend du point de vue où l’on se place. Et justement, le jeu des points de vue est ce qui fait la force de cette analyse sous cloche de la famille, effroyablement vénéneuse et anxiogène. Le cinéaste fin manipulateur, notamment dans la tension qu’il instaure, démontre une ahurissante maîtrise narrative, mais aussi technique.
Brillamment mis en scène, avec, notamment, un plan séquence formidable et une scène anthologique tournée au ralenti, dans le jardin sous la pluie, qui convoque l’irréel, Préjudice épate par sa forme autant que par son fond, suscitant un malaise que l’on avait rarement ressenti de façon aussi trouble et menaçante au cinéma. Il faut dire que Thomas Blanchard, l’ado déprimé de Bon Plan (1999), incarne cette forme de dépression sans retour, avec une puissance et une désespérance sidérantes. Un César, pour le monsieur. Et pour l’ensemble de l’oeuvre, s’il vous plaît.

Frédéric Mignard (aVoiraLire.com)