LE PRINCE DE HOMBOURG - Marco Bellocchio

A PROPOS

Dans un des récits rassemblés sous le titre Aucun lieu, nulle part, l’écrivaine Christa Wolf fait revivre Heinrich von Kleist, lui prêtant ces mots : «Je ne puis diviser le monde en deux parties, la bonne et la mauvaise ; ni en deux branches de la raison, ni en ce qui est sain et ce qui est malade.» On ne saurait mieux décrire le caractère mêlé des scènes et personnages du Prince de Hombourg, dernière pièce écrite par Kleist en 1810, un an avant qu’il ne se suicide.

La version qu’en donne Marco Bellocchio date de 1997. Le film représentait l’Italie en compétition à Cannes et il n’avait pas fait le poids face au Goût de la cerise d’Abbas Kiarostami ou Happy Together de Wong Kar-waï, au point de ne pas sortir en France. Presque vingt ans plus tard, le Prince de Hombourg réémerge aux bons soins de Carlotta Films et ce qui pouvait à l’époque paraître académique ou vaguement poussiéreux ne l’est plus du tout aujourd’hui. Au contraire, le hiératisme nocturne, somnambule et martial du récit donne des idées au cinéaste italien qui, lui aussi, ne veut ou ne peut démêler les deux faces du monde, liant étroitement rêve et réalité, audace et crainte, sentiment de tous les possibles et abrupte conscience de la mort imminente.

L’action se déroule dans la Prusse à la veille d’une décisive bataille contre les Suédois. Friedrich, prince de Hombourg, commandant de la cavalerie allemande pendant la guerre, est surpris dans un jardin à minuit par un ami. Le prince s’écroule, évanoui, revient à lui, la tête assaillie de pensées équivoques entre une vision presciente de la cour basculant dans le néant et sa consécration glorieuse après la victoire, une couronne de lauriers lui étant remise des mains de Nathalie, sa cousine, qu’il traque le lendemain du regard alors qu’elle va prendre la fuite pour échapper aux troupes ennemies. Friedrich est décrit comme un jeune soldat fiévreux et néanmoins distrait quand les instructions de bataille sont dictées par le Grand Electeur. Puis à la manœuvre, il prend l’initiative de donner la charge avant d’en recevoir l’ordre hiérarchique et, à terme, on ne sait plus s’il est un héros ou un traître. Lui-même ne le sait pas d’évidence car il alterne les instants d’exaltation aristocratique et les crises de dépression hagarde. Toujours en avance, et toujours en retard, jamais sûr de ce qui lui arrive à titre personnel ni dans la fureur de l’histoire, il est l’homme enfoncé dans la confusion de ses instincts et de son intelligence.

Marco Bellocchio est fasciné par l’indécision critique d’une trame qui se déploie en un précipité de coups du sort et de choix hasardeux. Il a confié le rôle du prince à un comédien encore inconnu, Andrea Di Stefano, archétype du ténébreux rital à bouche humide et front fiévreux. Depuis, il a repris de la pizza et gagné des cheveux gris, et il s’est éloigné du romantisme allemand : son premier long métrage en tant que réalisateur est un thriller autour de Pablo Escobar (Paradise Lost, sorti en France fin 2014). Kleist a été adapté à nouveau au cinéma en 2013, la version du roman Michael Kohlhaas par Arnaud des Pallières, et il est même devenu le personnage d’un biopic acide de Jessica Hausner, Amour fou, qui tournait en ridicule la quête éperdue de l’artiste suicidaire pour trouver une femme qui accepte de l’accompagner dans la mort.
Didier Péron (Libération)

Ciné classique
dimanche 18 octobre 2015 à 18h00

présenté par Jean-Pierre Bleys, spécialiste en histoire du cinéma


LE PRINCE DE HOMBOURG

de Marco Bellocchio

avec Andrea Di Stefano, Barbora Bobulova, Toni Bertorelli
ITALIE - 1996 - 1h25 - version originale sous titrée - Cannes 1997

Le jeune prince de Hombourg, commandant de la cavalerie du Brandebourg pendant la guerre de Hollande, est en proie au somnambulisme. Une nuit, il ramasse un gant laissé par sa fiancée Natalia. Le lendemain, fasciné par la vision de ce gant, il n’écoute que distraitement les consignes militaires et, sur le champ de bataille, désobéit. L'oncle du prince, chef de l'armée, exige que son indiscipline soit punie de façon exemplaire… 
http://www.carlottavod.com/prince-de-hombourg-le

A PROPOS

Dans un des récits rassemblés sous le titre Aucun lieu, nulle part, l’écrivaine Christa Wolf fait revivre Heinrich von Kleist, lui prêtant ces mots : «Je ne puis diviser le monde en deux parties, la bonne et la mauvaise ; ni en deux branches de la raison, ni en ce qui est sain et ce qui est malade.» On ne saurait mieux décrire le caractère mêlé des scènes et personnages du Prince de Hombourg, dernière pièce écrite par Kleist en 1810, un an avant qu’il ne se suicide.

La version qu’en donne Marco Bellocchio date de 1997. Le film représentait l’Italie en compétition à Cannes et il n’avait pas fait le poids face au Goût de la cerise d’Abbas Kiarostami ou Happy Together de Wong Kar-waï, au point de ne pas sortir en France. Presque vingt ans plus tard, le Prince de Hombourg réémerge aux bons soins de Carlotta Films et ce qui pouvait à l’époque paraître académique ou vaguement poussiéreux ne l’est plus du tout aujourd’hui. Au contraire, le hiératisme nocturne, somnambule et martial du récit donne des idées au cinéaste italien qui, lui aussi, ne veut ou ne peut démêler les deux faces du monde, liant étroitement rêve et réalité, audace et crainte, sentiment de tous les possibles et abrupte conscience de la mort imminente.

L’action se déroule dans la Prusse à la veille d’une décisive bataille contre les Suédois. Friedrich, prince de Hombourg, commandant de la cavalerie allemande pendant la guerre, est surpris dans un jardin à minuit par un ami. Le prince s’écroule, évanoui, revient à lui, la tête assaillie de pensées équivoques entre une vision presciente de la cour basculant dans le néant et sa consécration glorieuse après la victoire, une couronne de lauriers lui étant remise des mains de Nathalie, sa cousine, qu’il traque le lendemain du regard alors qu’elle va prendre la fuite pour échapper aux troupes ennemies. Friedrich est décrit comme un jeune soldat fiévreux et néanmoins distrait quand les instructions de bataille sont dictées par le Grand Electeur. Puis à la manœuvre, il prend l’initiative de donner la charge avant d’en recevoir l’ordre hiérarchique et, à terme, on ne sait plus s’il est un héros ou un traître. Lui-même ne le sait pas d’évidence car il alterne les instants d’exaltation aristocratique et les crises de dépression hagarde. Toujours en avance, et toujours en retard, jamais sûr de ce qui lui arrive à titre personnel ni dans la fureur de l’histoire, il est l’homme enfoncé dans la confusion de ses instincts et de son intelligence.

Marco Bellocchio est fasciné par l’indécision critique d’une trame qui se déploie en un précipité de coups du sort et de choix hasardeux. Il a confié le rôle du prince à un comédien encore inconnu, Andrea Di Stefano, archétype du ténébreux rital à bouche humide et front fiévreux. Depuis, il a repris de la pizza et gagné des cheveux gris, et il s’est éloigné du romantisme allemand : son premier long métrage en tant que réalisateur est un thriller autour de Pablo Escobar (Paradise Lost, sorti en France fin 2014). Kleist a été adapté à nouveau au cinéma en 2013, la version du roman Michael Kohlhaas par Arnaud des Pallières, et il est même devenu le personnage d’un biopic acide de Jessica Hausner, Amour fou, qui tournait en ridicule la quête éperdue de l’artiste suicidaire pour trouver une femme qui accepte de l’accompagner dans la mort.
Didier Péron (Libération)